L’histoire de l’Afrique est abâtardie


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Président fondateur de la Ligue camerounaise des droits de l’homme, ancien homme d’Etat, enseignant et africaniste de la première heure, le doyen Kapet de Bana est à lui seul une bibliothèque vivante. Il prépare une titanesque encyclopédie africaine de 240 volumes pour remettre à l’heure les pendules de l’histoire. Interview.

Afrik : Vous préparez une gigantesque encyclopédie africaine. De quoi s’agit-il ?

Kapet de Bana : Il s’agit d’une encyclopédie historique, économique, politique et sociale en 12 tomes pour un total de 240 volumes. J’en suis l’instigateur mais chaque pays africain devra contribuer à l’ensemble en constituant chacun 4 volumes.

Afrik : Pourquoi une telle initiative ?

Kapet de Bana : Pour la réhabilitation et la renaissance de l’Afrique et des peuples noirs. Pour que nous puissions récupérer idéologiquement et psychologiquement notre image. Nous n’avons qu’une version néo-coloniale de notre histoire. La génération actuelle est une génération de parenthèse. Elle est abâtardie. Elle n’a ni mission, ni vision. Elle ne connaît pas son histoire. Pire, elle en est dépossédée. Il n’existe pas aujourd’hui d’historien africain, mais des historiens français d’origine africaine qui sont imprégnés d’une vision française ou occidentale de l’histoire africaine.

Afrik : De quelle Afrique parlez-vous ? De l’Afrique noire ou de Maghreb ?

Kapet de Bana : Parler de l’Afrique noire est très réducteur. Car on nous sépare de nos frères algériens, égyptiens, marocains. Il faut parler de civilisation africaine. Il faut parler panafricanisme. C’était criminel de la part de Nasser, qui par ailleurs était un grand révolutionnaire africain, de vouloir créer un Maghreb arabe.

Afrik : Pourquoi ?

Kapet de Bana : Alors que l’Egypte est le berceau de nos ancêtres, il a voulu nous jeter dans les bras arabes du Moyen Orient. Eux qui étaient, bien avant les Occidentaux, les premiers esclavagistes. Et il faut également dénoncer l’influence des religions dans la dénaturation de l’identité africaine. Il faut  » déspiritualiser  » l’Afrique. La déchristianiser et la  » désislamiser  » pour mettre en place notre propre système spirituel.

Afrik : Par rapport à l’esclavage, certains pays, comme la France, souhaitent faire amende honorable. N’est ce pas là des attentions louables à saluer ?

Kapet de Bana : (piqué au vif) Nous n’avons pas à remercier la France d’avoir aboli l’esclavage. C’est à elle seule d’assumer sa propre histoire. Je ne vais pas remercier un criminel de ne pas m’avoir tué.

Afrik : On vous a vu aux Premières assises des communautés noires de France le 6 avril dernier. Que pensez-vous de cette initiative ?

Kapet de Bana : Il faut clarifier les choses. Il faut faire la différence entre les Africains de France et les Africains français. C’est toute la différence entre quelqu’un comme Houphouët Boigny, qui était un Africain francophile en France et Sédar Senghor, qui lui est un Africain français. En prenant la nationalité française, il a choisi d’adopter un nouveau pays. En cela, il ne peut plus se prévaloir d’être Sénégalais. Il a renié sa nationalité. Il n’a plus rien à voir avec le Sénégal. Je me demande même pourquoi on l’a enterré là-bas.

Afrik : Et pour les Noirs en France ?

Kapet de Bana : D’abord, je parlerai plutôt d’Africains français au sens large. Eux, ils n’ont pas à revendiquer quoi que se soit. Il faut bien qu’ils se mettent dans la tête qu’ils sont français. Leur pays, c’est la France. Ils n’ont rien à demander à qui que se soit.

Afrik : Si on suit bien votre raisonnement un(e) Africain(e) qui fait un mariage mixte – donc change de nationalité- ne doit plus se considérer comme Africain(e) ?

Kapet de Bana : Tout est une question de choix. Celui ou celle qui choisit d’adopter une autre nationalité, renonce de facto à l’ancienne. Mais une Camerounaise qui se marie avec un étranger par exemple peut tout à fait garder sa nationalité. Son mari pourrait lui demander la nationalité camerounaise. Je serais d’accord pour donner la nationalité camerounaise au plus de personnes possibles, ça ne me pose aucun problème. Au contraire : c’est comme ça qu’une nation grandit.

A visiter le site de Kapet de Bana Mémoire d’Afrique.

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