L’Appel du 18 juin 1940 : l’écho africain d’un message venu de Londres


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Illustration par IAL'Appel du 18 juin en Afrique
Illustration par IAL'Appel du 18 juin en Afrique

Le 18 juin 1940, très peu de Français entendent directement l’appel du général de Gaulle depuis Londres. Paradoxalement, c’est en Afrique que ce message trouve son écho le plus déterminant et stratégique. Entre août 1940 et février 1944, les territoires africains seront le socle territorial de la France Libre  et sa principale force militaire. Cette histoire méconnue révèle comment l’Afrique a littéralement « fait » la France Libre, transformant un appel initialement inaudible en mouvement de résistance mondial.

Le soir du 18 juin 1940, l’appel du général de Gaulle sur les ondes de la BBC bénéficie d’une audience très limitée en métropole. Historiens et témoins s’accordent sur ce constat : très peu de Français l’entendent directement, même parmi ceux désireux de continuer le combat.

Dans les colonies, deux obstacles majeurs limitent encore davantage l’écoute directe : la rareté des récepteurs à ondes courtes et la censure imposée par les autorités coloniales restées fidèles au régime de Vichy. La nouvelle de l’appel circule donc principalement par d’autres canaux : dépêches diplomatiques, journaux britanniques réexpédiés dans l’Empire, et les premiers communiqués de la France Libre.

Dès le 24 juin, de Gaulle poursuit ses interventions radiophoniques et affirme : « Dans notre vaste empire, des forces puissantes de résistance sont debout ». L’Empire colonial devient alors la cible prioritaire du chef de la France Libre, qui comprend rapidement que c’est là que résident ses meilleures chances de succès.

Les « Trois Glorieuses » : la réponse décisive de l’Afrique équatoriale

La première réaction concrète et organisée vient d’Afrique équatoriale française. Le 26 août 1940, Félix Éboué, gouverneur du Tchad, proclame officiellement le ralliement de son territoire à la France Libre. Le Cameroun suit le 27 août sous l’impulsion du colonel Leclerc, puis le Congo-Brazzaville le 28 août.

Cette séquence, rapidement surnommée les « Trois Glorieuses » en référence aux journées révolutionnaires de juillet 1830, offre à de Gaulle ce qui lui manquait cruellement : un territoire souverain, des hommes et une légitimité symbolique. À Fort-Lamy (actuelle N’Djamena), Éboué fait hisser la croix de Lorraine, geste à la fois patriotique et politique pour convaincre Londres de la crédibilité du mouvement gaulliste.

Ces ralliements ne relèvent pas du hasard. Dès le 3 juillet 1940, Éboué avait établi un contact discret avec de Gaulle via les autorités britanniques du Nigeria, lui précisant qu’« il ne reconnaissait d’autre autorité que la sienne ». L’action combine donc l’initiative locale et la stratégie londonienne.

Brazzaville, capitale et voix de la France Libre

En octobre 1940, de Gaulle installe à Brazzaville un service d’information et crée Radio-Brazzaville, baptisée « La voix de la France Libre » : une station de 50 kW qui émet vers toute l’Afrique noire et Madagascar. Cette installation répond à une logique simple mais efficace : si les Africains n’ont pas entendu l’appel initial du 18 juin, ils entendent désormais sa suite, dans leur propre fuseau horaire et parfois dans des langues locales.

Brazzaville devient ainsi bien plus qu’une simple capitale administrative de l’Empire Libre. C’est également de là que de Gaulle donne ses instructions secrètes pour la « Force L » du colonel Leclerc, embryon de la future 2e division blindée. La ville congolaise incarne la transformation d’un mouvement de résistance en gouvernement alternatif.

Mobiliser et combattre : l’effort militaire africain

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Entre 1940 et 1943, 73 300 hommes rejoignent directement les Forces françaises libres, une majorité venant d’Afrique selon l’historien Jean-François Muracciole. En 1944, l’Armée française de la Libération aligne 600 000 soldats, dont les deux tiers proviennent d’Afrique du Nord et d’Afrique noire.

Parmi les unités les plus remarquables : Le Bataillon de marche n°1 (Oubangui-Chari) issu de l’AEF s’illustre à Bir-Hakeim et devient Compagnon de la Libération. Le 1er Régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad participe aux raids sahariens de Leclerc, notamment la prise de Koufra et la conquête du Fezzan. Les tirailleurs nord-africains d’Algérie, du Maroc et de Tunisie combattent dans les campagnes d’Italie, de Provence et des Vosges.

C’est à Fort-Lamy que Leclerc constitue les troupes de sa « Force L », future 2e division blindée, autour des 3 000 hommes du régiment de tirailleurs sénégalais du Tchad. Le 2 mars 1941, après la victoire de Koufra, Leclerc prononce le célèbre « serment de Koufra » : « Jurez de ne déposer les armes que lorsque nos couleurs flotteront sur la cathédrale de Strasbourg« .

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Pourtant, cette contribution massive reste largement sous-reconnue. Seuls 14 Africains reçoivent la croix de la Libération sur 1 038 décorés, témoignage d’une reconnaissance longtemps incomplète.

Brazzaville 1944 : réformes promises et limites révélées

En récompense de cet engagement, de Gaulle convoque la Conférence de Brazzaville du 30 janvier au 8 février 1944. Cette conférence, qui réunit 21 gouverneurs, 9 membres de l’Assemblée consultative et 6 observateurs d’Afrique du Nord, décide l’abolition du code de l’indigénat et pose le principe d’une représentation politique élargie.

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Cependant, de Gaulle rappelle que le lien entre la France et ses colonies est « définitif » et la déclaration finale rejette catégoriquement toute perspective d’indépendance. Dans son discours d’ouverture, de Gaulle déclare que les populations africaines doivent « s’élever peu à peu jusqu’au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires« .

Cette ambivalence – gratitude militaire d’un côté, conservatisme politique de l’autre – illustre les contradictions du projet gaulliste et nourrit les futurs mouvements anticoloniaux.

Mémoire et invisibilisation

Après 1944, le « blanchiment » des unités coloniales, progressivement remplacées par des FFI métropolitains lors de la Libération, efface en partie la contribution africaine de l’imaginaire national. Cette occultation perdure longtemps dans la mémoire collective française.

Les commémorations récentes, du 70e au 80e anniversaire de l’appel, ont commencé à corriger ce déséquilibre mémoriel. Elles rappellent ce paradoxe historique : sans l’écho africain de l’Appel du 18 juin, la France Libre aurait manqué d’assise territoriale, diplomatique et militaire pour s’imposer comme alternative crédible au régime de Vichy.

Comme l’a résumé l’historien Éric T. Jennings : « La France libre fut africaine« . Reconnaître aujourd’hui cette chaîne de réceptions, d’engagements et de mémoires, c’est rééquilibrer le récit national et rendre justice aux populations coloniales qui, en 1940, décidèrent que l’honneur de la France valait aussi pour elles.

Sources principales :
Jennings, É. T., La France libre fut africaine, Perrin, 2014
Fondation Charles-de-Gaulle, archives en ligne
Crémieux-Brilhac, J.-L., Les Français de l’an 40, Gallimard, 1990
Muracciole, J.-F., Les Français libres, Tallandier, 2009

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