L’appel de Mohammed VI à ne pas fêter l’Aïd-el-Adha vire en interdiction formelle au Maroc


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Le roi du Maroc, Mohammed VI
Le roi du Maroc, Mohammed VI

Ce qui n’était au départ qu’un appel à la sobriété lancé par le roi Mohammed VI s’est rapidement transformé en une mesure coercitive. Plusieurs autorités locales à travers le Maroc ont désormais interdit formellement toutes les activités en lien avec la célébration de l’Aïd el-Adha, traduisant en acte une recommandation royale adressée à la nation en février dernier.

Au Maroc, l’appel lancé par le roi Mohammed VI, il y a quelques semaines, à ne pas célébrer l’Aïd el-Adha a été retourné en une interdiction formelle. À Casablanca, notamment, le Wali aurait donné des consignes strictes aux caïds et pachas pour faire respecter l’interdiction de la vente des moutons, du charbon, du foin, de l’aiguisage de couteaux, et de tout autre commerce lié à la fête du sacrifice.

Une mesure exceptionnelle justifiée par une crise persistante

Cette décision intervient dans un contexte économique et climatique difficile. Depuis six années consécutives, le Maroc est confronté à une sécheresse sévère qui a gravement affecté le cheptel national. Cette situation, couplée à une flambée des prix, rend l’accès au sacrifice difficile, voire impossible, pour une grande partie des ménages marocains, notamment les plus modestes. Dans son discours du 25 février 2025, lu par le ministre des Habous et des Affaires islamiques, Ahmed Toufiq, sur la chaîne publique Al Oula, le roi Mohammed VI a appelé ses concitoyens à s’abstenir de sacrifier des bêtes cette année.

Présentée comme un geste de solidarité nationale face à une crise multidimensionnelle, cette mesure vise à préserver les ressources et à alléger le fardeau économique sur les familles. Le souverain, dans son rôle de Commandeur des croyants, a également précisé que le sacrifice de l’Aïd, bien que fortement recommandé, n’est pas une obligation religieuse. Il a invoqué le principe de levée de la gêne, en s’appuyant sur le verset coranique : « Et Il ne vous a imposé aucune gêne dans la religion », et s’est engagé à accomplir lui-même le sacrifice au nom de l’ensemble du peuple marocain, conformément à la tradition prophétique.

De la recommandation à l’interdiction

Cependant, ce qui devait rester une invitation morale s’est mué en une interdiction stricte. Dans plusieurs provinces du Royaume, les autorités locales ont reçu pour consigne d’interdire toute activité préparatoire à la fête. Cette transition de l’appel à la contrainte marque un tournant dans la gestion de la crise : face à la désobéissance de certains citoyens qui continuaient d’acheter des bêtes pour le sacrifice, les autorités ont choisi la fermeté.

Cette décision, bien que conforme aux instructions royales, suscite des réactions contrastées, notamment au sein de la diaspora marocaine. Alors que certaines communautés marocaines établies à l’étranger accueillent favorablement l’initiative du roi, d’autres s’en démarquent clairement. En Catalogne, où vivent près de 700 000 musulmans – majoritairement d’origine marocaine – deux principales fédérations islamiques ont lancé un appel à maintenir le sacrifice rituel.

Une diaspora divisée par la mesure de Mohammed VI

La Fédération du Conseil islamique de Catalogne et l’Union des communautés islamiques ont invité les fidèles à « célébrer pleinement l’Aïd-el-Adha », dans le respect des lois locales et des normes sanitaires. Ce positionnement, bien qu’émis par des organisations religieuses qui ne sont pas toujours représentatives de l’ensemble des Marocains de la région, traduit un certain éloignement vis-à-vis des orientations prises par Rabat. Pour certains observateurs, cette divergence est le symbole d’une forme d’autonomie croissante des communautés marocaines de l’étranger, parfois en décalage avec les décisions centrales du Royaume.

À l’inverse, dans d’autres pays européens comme l’Italie, la décision royale est perçue comme une mesure sage et adaptée aux réalités contemporaines. Plusieurs membres de la communauté marocaine italienne ont exprimé leur volonté de relayer l’appel du souverain auprès de leurs compatriotes. Entre réglementation stricte, prix élevés des bêtes et difficultés logistiques, l’organisation du sacrifice devient un défi. Pour eux, renoncer à cette pratique dans de telles conditions est à la fois pragmatique et spirituellement fondé.

Des voix critiques sur la cohérence du message royal

Certains vont jusqu’à suggérer une généralisation de cette démarche à d’autres pays comme la France, la Belgique ou les Pays-Bas, où les Marocains constituent également une large part des communautés musulmanes. Cette solidarité internationale serait, selon eux, un signe fort d’unité dans l’épreuve que traverse le Maroc. Malgré le caractère exceptionnel de la mesure, des critiques émergent également sur le plan interne.

L’acquisition récente de voitures de luxe par le palais royal a suscité de vives réactions, remettant en cause la cohérence entre le discours d’austérité du roi et son train de vie. Pour certains citoyens, ces contradictions affaiblissent la portée morale de l’appel lancé. Alors que la fête approche, l’interdiction formelle de l’Aïd al-Adha au Maroc en 2025 cristallise ainsi les tensions entre tradition, religion, crise économique, et décisions politiques.

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Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
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