L’Algérie et la Tunisie en première ligne, le Maroc absent du volet africain de la flotille humanitaire vers Gaza


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Flotille pour Gaza
Flotille pour Gaza

Alors que la « Global Sumud Flotilla » partie de Barcelone fait les gros titres internationaux avec ses personnalités comme Greta Thunberg, une composante tout aussi importante de cette initiative historique se prépare depuis l’Afrique du Nord. L’Algérie et la Tunisie s’affirment comme le fer de lance africain de cette mobilisation maritime sans précédent pour briser le blocus israélien de Gaza, dans un contexte où le Maroc reste absent en raison de sa normalisation avec Israël.

La Tunisie, plateforme de lancement africaine

Le 4 septembre 2025, la « Flottille maghrébine de la résistance » devait prendre la mer depuis les côtes tunisiennes pour rejoindre les navires partis d’Europe. Cette initiative africaine s’inscrit dans le cadre plus large de la Global Sumud Flotilla, présentée comme la plus grande tentative jamais réalisée pour briser le blocus israélien de Gaza.

Ghassen Henchiri, membre de la Coordination tunisienne pour l’action commune pour la Palestine, a annoncé que quelque 300 Tunisiens participeraient à cette flottille maghrébine « Sumud pour briser le blocus de Gaza« . Cette mobilisation s’appuie sur l’infrastructure organisationnelle mise en place lors de la précédente « caravane Sumud » terrestre, qui avait tenté en juin de rallier Gaza par voie de terre via la Libye.

L’Algérie : une mobilisation massive et organisée

L’Algérie s’est particulièrement distinguée par une participation massive et organisée dans cette initiative maghrébine. Lors de la caravane terrestre « Al Sumud » de juin 2025, environ 200 militants algériens avaient rejoint leurs homologues tunisiens pour tenter de rallier Gaza par voie de terre. Cette mobilisation algérienne avait surpris les organisateurs par son ampleur, témoignant d’un engagement populaire fort de la société civile algérienne pour la cause palestinienne.

L’ancien président du Mouvement de la société pour la paix (MSP), Abderrazak Makri, avait confirmé le départ de cette importante délégation algérienne vers la capitale tunisienne. Cette participation s’inscrit dans la tradition de solidarité de l’Algérie avec les mouvements de libération, héritée de sa propre lutte anticoloniale.

Les femmes en première ligne

Des féministes algériennes se sont également mobilisées de manière remarquable. Un groupe de militantes – Sarah Lalou, Yakouta Benrouguibi, Doha A. et Amel Hadjadj – avait rejoint la « Global March to Gaza » au Caire en juin, élaborant un manifeste collectif intitulé « Nous, militantes et organisations féministes algériennes, marchons vers Gaza« .

Ce texte portait « la voix d’un féminisme algérien profondément anti-impérialiste et décolonial, fidèle à l’héritage des luttes de notre peuple contre la colonisation« . Ces militantes affirmaient que leur « combat pour les droits des femmes est indissociable de celui contre l’oppression des peuples, contre le colonialisme et contre l’impérialisme« .

L’initiative ne se limite pas aux frontières nationales. Wael Nawar, coordinateur général de la flottille et membre du Comité de coordination de l’Action commune pour la Palestine, a précisé que la mobilisation s’étend à l’ensemble du Maghreb. Une commission maghrébine pilote la contribution régionale, avec des représentations officielles de Tunisie, d’Algérie et de Libye, dans l’attente de l’adhésion formelle de délégations mauritanienne.

Cette coordination africaine fait partie intégrante de l’architecture globale du mouvement, aux côtés de la Coalition de la Flottille de la Liberté, du Mouvement mondial vers Gaza, et de l’initiative asiatique Sumud Nusantara. Selon les organisateurs, des dizaines de navires devaient partir « des ports du monde entier, principalement d’Europe méridionale et d’Afrique du Nord ».

L’absence notable du Maroc : le prix de la normalisation

Dans ce concert maghrébin de solidarité avec Gaza, l’absence du Maroc est particulière. Cette absence s’explique par la normalisation des relations diplomatiques entre Rabat et Tel-Aviv depuis décembre 2020, dans le cadre des accords d’Abraham.

Le Maroc avait rejoint ces accords sous l’administration Trump, obtenant en contrepartie la reconnaissance américaine de sa souveraineté sur le Sahara occidental. Depuis, les deux pays ont développé une coopération militaire étroite. En novembre 2021, ils ont conclu un accord de coopération sécuritaire « sous tous ses aspects » (planification opérationnelle, achats, recherche et développement, formation).

Cette alliance stratégique s’est même renforcée pendant la guerre de Gaza. Les échanges commerciaux israélo-marocains ont atteint 53,2 millions de dollars au premier semestre 2024, soit une hausse de 64% par rapport à l’année précédente. Le Maroc a également octroyé une licence d’exploitation d’hydrocarbures offshore à la société israélienne NewMed Energy en toute illégalité, pour des puits situé potentiellement au Sahara occidental.

Malgré une opinion publique marocaine massivement opposée à cette normalisation et des manifestations récurrentes, le royaume maintient ses relations avec Israël, privilégiant ses intérêts géostratégiques sur la solidarité palestinienne traditionnelle.

L’héritage de la résistance tunisienne et algérienne

La participation conjointe tuniso-algérienne s’enracine dans une tradition de solidarité avec la Palestine et les mouvements de libération. La Tunisie avait déjà servi de point de départ au navire « Conscience » en avril 2025, qui avait quitté le port de Bizerte avant d’être attaqué par des drones israéliens près de Malte.

L’Union générale tunisienne du travail (UGTT), les syndicats de journalistes, l’Ordre national des avocats et la Ligue tunisienne des droits de l’homme ont tous exprimé leur soutien à ces initiatives maritimes. Samir Cheffi, secrétaire général adjoint de l’UGTT, a affirmé que l’Union « soutient toutes les initiatives nationales et internationales visant à briser le blocus et à stopper le massacre en cours« .

Pour l’Algérie, cette mobilisation s’inscrit dans la continuité de son soutien historique à la cause palestinienne, considérée comme indissociable de sa propre expérience anticoloniale.

Contrairement aux précédentes initiatives isolées, cette mobilisation de septembre 2025 marque une coordination inédite entre les volets africain et européen. Cette convergence symbolise l’internationalisation du mouvement de solidarité avec Gaza. Plus de 26 000 personnes auraient postulé pour participer à cette initiative globale, représentant 44 pays et constituant, selon les organisateurs, « le plus grand convoi maritime civil de l’histoire« .

Malgré les contretemps météorologiques qui ont contraint la flottille de Barcelone à faire demi-tour le 1er septembre, la détermination reste intacte. Les organisateurs tunisiens et algériens maintiennent leur mobilisation, conscients des risques encourus. Les précédentes tentatives – les navires Conscience, Madleen et Handala – ont toutes été interceptées par les forces israéliennes.

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Ali Attar est un spécialiste reconnu de l'actualité du Maghreb. Ses analyses politiques, sa connaissance des réseaux, en font une référence de l'actualité de la région.
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