L’agriculture en Afrique de l’Ouest doit être nourricière et exportatrice


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Alors qu’un rapport de l’organisation des Nations unies pour l’Alimentation et l’agriculture (FAO) vient de rappeler l’insécurité alimentaire persistante en Afrique, les acteurs du secteur agricole, ministres, bailleurs de fonds, secteur privé… ont appelé lundi et mardi, à Paris, au renforcement des investissements dans l’agriculture dans la région subsaharienne du continent. Ils ont débattu, lors d’une conférence organisée par le gouvernement français, sur les moyens de relancer ce secteur en Afrique de l’ouest durement frappée par la crise alimentaire.

Yamar Mbodj, conseiller Agriculture de la Commission de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a présenté ce mardi, à Paris, les grandes lignes de la politique agricole commune de la sous région ouest africaine (ECOWAP). Cet outil définit notamment les orientations des politiques nationales des différents pays de la sous région. Yamar Mbodj estime que les investissements dans l’agriculture doivent impérativement tenir compte des solutions régionales proposées par la Cedeao. Il revient pour Afrik.com sur les enjeux agricoles et alimentaires en Afrique de l’Ouest.

Afrik.com : Depuis les récentes crises alimentaires qui ont frappé plusieurs pays en Afrique, tout le monde s’accorde sur la nécessité de relancer l’agriculture pour assurer une sécurité alimentaire aux populations. Quelle place occupe aujourd’hui l’agriculture dans l’économie de la sous-région ouest-africaine ?

Yamar Mbodj :
L’Agriculture joue incontestablement un rôle très important. Elle représente 35% du produit intérieur brut régional, 80% pour certains pays. Elle joue également un rôle clé dans le commerce de la sous-région avec le reste du monde. En moyenne, 16% de nos exportations sont constitués de produits agricoles contre 21% de nos importations. L’Agriculture est aussi pourvoyeuse d’emplois car elle occupe en moyenne 70% de la population de la sous-région et ce taux peut atteindre 80% dans certains pays. Enfin, l’agriculture joue un rôle important dans la gestion des ressources naturelles et dans l’aménagement du territoire

Afrik.com : Vous dites que l’agriculture de la sous-région couvre 80% de ses besoins alimentaires, comment expliquez-vous que celle-ci ait autant souffert de la hausse des prix des denrées alimentaires sur les marchés mondiaux ?

Yamar Mbodj :
L’importation de 21% des besoins alimentaires coûte très cher à nos pays. Pour les Etats développés qui disposent de beaucoup plus de moyens financiers et économiques, ces hausses peuvent ne pas représenter grand chose. Notre objectif, à la Cedeao, est de faire en sorte que notre agriculture nourrisse sa population et qu’elle devienne exportatrice. Cela est possible vu toutes les potentialités dont nous disposons dans la sous région. Il suffit d’améliorer, un tant soit peu, l’utilisation des intrants, d’améliorer l’irrigation pour que notre région deviennent exportatrice et occupe une place plus importante dans le commerce internationale. Et nous croyons que nous devons être cette région de croissance dans la dizaine d’années qui vient.

Afrik.com : Vous avez présenté, lors de la deuxième journée de la conférence, les grandes lignes de la politique agricole régionale de la Cedeao (ECOWAP), pouvez-vous nous les rappeler et nous préciser ses objectifs ?

Yamar Mbodj :
Dans son élaboration, la politique agricole commune de la sous région cherche à minimiser les contraintes et à développer les potentialités. Objectif : assurer un revenu décent aux acteurs de ce secteur et améliorer la situation alimentaire et nutritionnelle dans la zone Cedeao. Cette politique cherche à exploiter toutes les possibilités en termes de ressources naturelles, humaines… pour améliorer la productivité de l’agriculture et développer vraiment un marché régional. Il s’agit aussi d’accroître la compétitivité de ces produits agricoles. Le développement d’un marché régional est vraiment très important, parce qu’aujourd’hui quand on parle de commerce, on pense toute de suite au marché international. C’est, certes, important mais il y a une opportunité offerte par le marché régional que nous n’avons pas encore suffisamment exploitée.

Afrik.com : Combien coûte d’élaborer et de mettre en œuvre une politique commune agricole pour la sous-région ? Vous avez un budget ?

Yamar Mbodj :
Pour le moment, nous sommes en train d’achever le processus de formulation de cette politique. Tout ce qui se fait actuellement, pendant cette phase, est financé par les Etats de la Cedeao. Lorsqu’on aura fini ce processus de formulation des programmes d’investissements à moyen et long terme et leurs coûts sur les dix et quinze prochaines années qu’on aura un coût global.

Afrik.com : Des mesures d’urgence ont été prises par certains pays pour faire face à la flambée des prix des denrées alimentaires. Est-ce que la politique régionale prend en compte ces mesures ?

Yamar Mbodj :
Face au choc brutal entrainé par la flambée des prix, chaque pays a pris de façon isolée des mesures d’urgences parmi lesquelles l’abaissement des droits de douanes, la suppression des TVA, les exonérations sur un certains nombre de produits… Tout cela est très coûteux pour les finances publiques de ces pays mais il fallait le faire face aux émeutes. Tout le monde sait que ces mesures ne sont pas soutenables. Nous avons donc essayer de mieux raisonner, de mieux coordonner et de mieux insérer ces mesures dans une perspective de plus ou moins long termes qu’offre la politique agricole commune. La réponse à cette crise est structurelle, elle n’est pas conjoncturelle.

Afrik.com : En quoi les Accords de partenariats économiques (APE) tels que proposés initialement aux pays ACP constituent un obstacle pour l’agriculture de la sous-région ?

Yamar Mbodj :
Je pense qu’au début, la vision de nos partenaires était une vision essentiellement commerciale. Nous leur avons fait comprendre que nous, nous voulons un accord de développement. C’est-à-dire un APE qui nous accompagne dans le processus de mise en œuvre de nos politiques sectorielles, dans le processus d’approfondissement de notre intégration régionale. Il y a eu un, deux ans d’incompréhension. L’atmosphère est beaucoup plus détendue maintenant, et nous poursuivons les discussions. Je comprends très bien que les Européens défendent l’Europe, c’est à nous de défendre nos intérêts.

Afrik.com : Que pensez-vous de la signature par la Côte d’ Ivoire des accords intérimaires?

Yamar Mbodj :
Ce n’est pas ce que nous aurions souhaité. Mais de toutes les façons, lorsqu’un accord régional sera signé, les accords intermédiaires seront caducs.

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