L’Afrique centrale face à une escalade inquiétante de la violence anti-chrétienne


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Illustration massacre de chrétiens au Cameroun Nigeria
Illustration massacre de chrétiens au Cameroun Nigeria @Afrik et Chat GPT

Une recrudescence d’attaques terroristes vise spécifiquement les communautés chrétiennes au Cameroun et en République démocratique du Congo, révélant une stratégie délibérée d’intimidation religieuse.

Les dernières semaines de septembre 2025 ont été marquées par une série d’attaques particulièrement brutales contre les chrétiens en Afrique centrale. L’ONG Portes Ouvertes France et Belgique tire la sonnette d’alarme face à cette intensification de la violence perpétrée par des groupes terroristes islamistes, notamment Boko Haram au Cameroun et les Forces Démocratiques Alliées (ADF) en République démocratique du Congo.

Le Cameroun dans la tourmente de Boko Haram

Dans l’Extrême-Nord du Cameroun, région frontalière avec le Nigeria, Boko Haram multiplie les actions terroristes ciblant délibérément les chrétiens. Le 27 août, cinq enfants chrétiens (évangéliques et catholiques) ont été enlevés à Kassa par une trentaine d’hommes armés de Boko Haram : Clarisse (19 ans), Wadawa (13 ans), Lamara (10 ans), Daniel et Sarah (frère et sœur de 7 et 12 ans respectivement).

La situation s’est encore aggravée les 6 et 7 septembre, quand les djihadistes de Boko Haram ont perpétré une attaque dans les villages d’Ouzal, Mandoussa et Modoko, tuant au moins quatre personnes. Cette offensive a visé spécifiquement les infrastructures religieuses : les assaillants ont vandalisé la paroisse Saint-Jean-Baptiste à Ouzal, incendié les échoppes appartenant à des chrétiens, ainsi que le bureau d’un curé et la maison d’un catéchiste.

Cette région camerounaise subit depuis 2013 les assauts répétés de Boko Haram, qui a étendu ses opérations depuis son bastion nigérian. Les djihadistes attaquent des églises chrétiennes dans plusieurs villages, tuant au moins 47 personnes lors d’une seule offensive, selon les données historiques du conflit. L’usage d’attentats-suicides, souvent perpétrés par des femmes et des adolescents endoctrinés, constitue l’une des stratégies privilégiées du groupe terroriste.

La RDC confrontée à la terreur des ADF

En République démocratique du Congo, les Forces Démocratiques Alliées (ADF) ont orchestré deux massacres particulièrement choquants début septembre. Le 8 septembre, au moins 71 personnes ont été tuées par des membres du groupe rebelle des ADF dans le village de Ntoyo au Lubero dans le Nord-Kivu, en pleine cérémonie de funérailles. Les témoins rapportent que la plupart des victimes assistaient à des funérailles et ont été tuées par balles, certaines victimes ont été calcinées dans leur maison et d’autres qui voulaient fuir ont été abattues.

Le lendemain, 9 septembre, les ADF ont poursuivi leur campagne de terreur en s’attaquant au village de Fotodu, faisant au moins 18 morts supplémentaires. Ces attaques s’inscrivent dans une stratégie plus large : après plusieurs mois d’une relative accalmie, les ADF ont tué plus de 150 civils depuis la fin de juillet dans des massacres répétés commis dans les provinces voisines du Nord-Kivu et d’Ituri.

Les ADF, originellement un groupe rebelle ougandais fondé dans les années 1990, ont prêté allégeance au groupe État islamique en 2019. Depuis, ils ont systématiquement ciblé les communautés chrétiennes : les ADF enlèvent et tuent les chrétiens et attaquent les églises, ce qui provoque la terreur, l’insécurité et le déplacement de la population.

Une persécution systématique documentée

L’ampleur de cette persécution anti-chrétienne en Afrique centrale est désormais documentée par les institutions internationales. Selon l’Index mondial de persécution 2025 de l’ONG Portes ouvertes, la RDC occupe la 35e place des pays où les chrétiens sont persécutés en raison de leur foi. Plus alarmant encore, du 1er janvier au 30 juin 2024, l’État islamique a revendiqué l’assassinat de 698 chrétiens africains, dont 639 par la province de l’État islamique en Afrique centrale.

Ces chiffres révèlent une stratégie délibérée d’élimination des communautés chrétiennes par les groupes terroristes affiliés à l’État islamique. La province de l’État islamique en Afrique centrale représente désormais le groupe armé le plus meurtrier en RDC, selon l’analyse de suivi de la BBC.

L’échec relatif des opérations militaires

Malgré les efforts déployés, les réponses militaires peinent à endiguer cette violence. Au Cameroun, l’armée nationale, soutenue par la Force multinationale mixte regroupant les armées du Bénin, du Niger, du Tchad, du Cameroun et du Nigeria, lutte depuis plus d’une décennie contre Boko Haram. Pourtant, selon un rapport de novembre 2020 du Centre d’études stratégiques de l’Afrique, le nombre d’attaques commises par Boko Haram contre des civils au Cameroun en 2020 était plus élevé qu’au Nigeria, au Niger et au Tchad réunis.

En RDC, l’opération militaire conjointe « Shujaa » menée depuis 2021 par les forces armées congolaises et ougandaises n’a pas non plus permis d’éradiquer la menace ADF. L’opération militaire conjointe, baptisée « Shujaa », a repoussé les ADF dans des zones isolées et difficiles d’accès, où les militaires tardent souvent à intervenir contre ces rebelles qui préfèrent éviter les confrontations et ciblent généralement des civils.

Le témoignage de la terreur

Les témoignages sur le terrain révèlent l’état de terreur dans lequel vivent les communautés chrétiennes. Comme le rapporte le révérend Alili de l’église baptiste de Njiapanda, qui a accueilli les déplacés de Ntoyo : « Les chrétiens sont désorientés. Les déplacés n’osent pas rester dormir dans l’église car ils ont peur d’y être attaqués et massacrés comme les victimes de la veillée funéraire. »

Face à cette escalade, l’ONG Portes Ouvertes France et Belgique appelle à une réaction urgente de la communauté internationale. Les récents massacres du Cameroun et de la RDC s’inscrivent dans une tendance plus large de persécution anti-chrétienne en Afrique, orchestrée par des groupes terroristes qui exploitent l’instabilité régionale pour imposer leur agenda idéologique.

L’Union africaine a déjà condamné ces attaques, tandis que le Parlement européen examine des résolutions spécifiques sur la situation en RDC. Cependant, au-delà des condamnations, c’est une stratégie coordonnée de protection des minorités religieuses et de lutte anti-terroriste qui s’avère nécessaire pour endiguer cette tragédie humanitaire.

Idriss K. Sow Illustration d'après photo
Journaliste-essayiste mauritano-guinéen, il parcourt depuis une décennie les capitales et les villages d’Afrique pour chroniquer, en français, les réalités politiques, culturelles et sociales de l'Afrique
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