L’Afrique à l’épreuve des trafics : initiatives et résistances face à la drogue


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Drogue saisie au Sénégal
Saisie de drogue au Sénégal

Alors que les routes mondiales du trafic de drogue évoluent, l’Afrique de l’Ouest s’affiche de plus en plus comme un carrefour stratégique. La Côte d’Ivoire, en particulier, est devenue un point de passage majeur pour les stupéfiants à destination de l’Europe, en raison de ses infrastructures logistiques et de sa position géographique. Face à la montée des trafics et à la diversification des substances illicites, les pays de la région renforcent leurs dispositifs de lutte, entre répression, coopération régionale et actions de prévention.

Comme de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire s’impose aujourd’hui comme un maillon central du trafic international de drogue. Le pays, riche en infrastructures logistiques et ouvert sur l’océan Atlantique, constitue un point de passage stratégique pour les trafiquants visant les marchés européens. Selon la Direction de la Police des Stupéfiants et des Drogues, le cannabis figure en tête des saisies réalisées, souvent en grande quantité.

Mais la situation est loin de se limiter au cannabis. Les autorités ivoiriennes alertent sur la prolifération des médicaments contrefaits et détournés de leur usage thérapeutique. En 2023, ce sont quelque 438 tonnes de médicaments illicites qui ont été interceptées par les forces de l’ordre, d’après le Comité interministériel de lutte antidrogue (CILAD). Ces substances, souvent importées d’Inde ou d’Asie, circulent en Afrique avant d’être redirigées vers l’Europe.

Des trafiquants de plus en plus ingénieux

Les trafiquants redoublent d’imagination pour échapper aux radars. Le professeur Ronsard Yao Kouma, secrétaire général du CILAD, souligne la diversification des méthodes de dissimulation. « On retrouve des drogues cachées dans des boîtes de conserve, des véhicules ou même des objets du quotidien », explique-t-il. Cette inventivité oblige les autorités à moderniser leurs équipements de contrôle, notamment à l’aide de scanners et d’autres technologies de détection.

Face à cette menace multiforme, la Côte d’Ivoire a pris des mesures concrètes. En 2022, elle a mis à jour sa législation sur les stupéfiants et renforcé sa coopération régionale en matière de renseignement. Le ministre de l’Intérieur et de la Sécurité, le général Vagondo Diomandé, met en avant l’importance du partage d’informations avec les pays voisins. Ce réseau interétatique est devenu un levier décisif pour perturber les flux de drogue.

Une diversification des drogues consommées en Afrique

L’un des outils centraux de cette lutte est la création, en 2022 de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs criminels. Cette institution est chargée de gérer les amendes et les biens confisqués aux trafiquants, contribuant à assécher les ressources financières du crime organisé. Le dernier rapport de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), publié en juin 2024, révèle que l’Afrique concentre 44% des saisies mondiales de cannabis.

L’usage de cette drogue reste particulièrement élevé en Afrique de l’Ouest, du Centre et australe, avec une prévalence de près de 10% chez les 15-64 ans. Au-delà du cannabis, l’Afrique fait face à une inquiétante montée de la consommation de cocaïne. En 2023, les saisies de cette drogue ont augmenté de 48% par rapport à l’année précédente. La plupart de ces opérations ont eu lieu dans des zones côtières, révélant une fois de plus le rôle du continent comme zone de transit vers l’Europe.

Le kush, nouvelle menace venue de Sierra Leone

Autre phénomène inquiétant : l’usage détourné des opioïdes, particulièrement en Afrique de l’Ouest et du Centre. Ces médicaments, normalement prescrits pour soulager la douleur, sont détournés et consommés de manière abusive, avec des conséquences graves sur la santé publique. Le rapport de l’ONUDC met également en garde contre un phénomène plus récent et dévastateur : la propagation du « kush ».

Cette drogue de synthèse, composée de cannabis mélangé à divers produits chimiques dangereux, est apparue en Sierra Leone en 2022 avant de s’étendre rapidement au Liberia, à la Guinée, et à d’autres pays de la région. Sa consommation a poussé la Sierra Leone et le Liberia à déclarer l’état d’urgence national. La situation est d’autant plus préoccupante que les jeunes, souvent en situation de vulnérabilité économique, sont les principales cibles de ce nouveau fléau.

Nigeria : la riposte par les forces spéciales et la sensibilisation

L’ONUDC précise que 90% des consommateurs de cannabis sont des hommes, soulignant une consommation genrée qui nécessite des approches différenciées. À l’image de la Côte d’Ivoire, d’autres pays africains ont intensifié leur lutte contre le trafic de drogue. Le Nigeria, en particulier, a mis sur pied la National Drug Law Enforcement Agency (NDLEA), une structure dotée de moyens opérationnels renforcés. Cette agence mène régulièrement des opérations d’envergure contre les réseaux locaux et internationaux. En 2023, elle a procédé à plus de 30 000 arrestations et à la destruction de nombreuses plantations illicites.

Le Nigeria combine répression et prévention. De nombreuses campagnes de sensibilisation ont été lancées dans les écoles et les universités. L’objectif : briser le tabou sur la consommation de drogues et éviter l’entrée dans l’addiction dès le plus jeune âge. Le Ghana, lui, mise sur une approche communautaire et humaniste. Le pays a mis en place un système de justice thérapeutique, permettant aux consommateurs de drogue d’éviter la prison en échange d’un programme de réhabilitation supervisé.

Sénégal : sécurisation des ports et coopération sous-régionale

Cette initiative, soutenue par des ONG locales et des partenaires internationaux, entend réduire la récidive tout en offrant une seconde chance aux jeunes toxicomanes. En parallèle, le Ghana a renforcé les capacités de ses forces de sécurité et mis en place des unités spécialisées dans la détection des cargaisons de drogue dans les ports et les aéroports. La collaboration avec les agences internationales, comme l’ONUDC, y est également très active.

Au Sénégal, le port de Dakar, véritable plaque tournante régionale, est sous haute surveillance. Des unités douanières spéciales y inspectent minutieusement les conteneurs en transit, avec l’appui de scanners et d’équipes cynophiles. Le pays bénéficie également d’un soutien technique international pour améliorer la traçabilité des marchandises. Le Sénégal est aussi impliqué dans des initiatives sous-régionales comme le programme « AIRCOP », piloté par Interpol, l’ONUDC et l’Union européenne. Ce programme vise à renforcer la coopération entre les polices aéroportuaires d’Afrique de l’Ouest afin d’endiguer les flux de drogue par voie aérienne.

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Une plume qui balance entre le Sénégal et le Mali, deux voisins en Afrique de l’Ouest qui ont des liens économiques étroits
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