
Sous un ciel chargé de tension et un dispositif sécuritaire sans précédent, le Kenya a commémoré ce lundi le 35ᵉ anniversaire du mouvement Saba Saba, dans une atmosphère de méfiance et de répression.
Loin de l’esprit festif ou historique, cette journée du 7 juillet a viré à la confrontation entre jeunes manifestants et forces de l’ordre dans plusieurs régions du pays, notamment à Nairobi, épicentre des tensions.
Une capitale paralysée et militarisée
Dès les premières heures de la matinée, Nairobi s’est transformée en ville fantôme. Les autorités ont pris les devants pour contenir toute tentative de rassemblement : axes principaux bloqués, transports publics suspendus, écoles fermées et rideaux baissés dans les centres commerciaux. La capitale kenyane s’est retrouvée verrouillée par un imposant déploiement des forces de sécurité.
Malgré ce quadrillage, quelques dizaines de manifestants, en majorité des jeunes, ont tenté de converger vers le centre-ville. La réponse policière ne s’est pas fait attendre : gaz lacrymogènes, canons à eau, et parfois même tirs à balles réelles ont été utilisés pour disperser les foules. À Kangemi, un bidonville de l’ouest de Nairobi, les affrontements ont été particulièrement violents. Des heurts ont également éclaté dans les villes de Nakuru, Nyeri et Embu, où la police montée a été mobilisée pour réprimer les attroupements.
Une date symbolique ravivée par la colère sociale
La Journée Saba Saba (signifiant littéralement « sept, sept » en swahili) est célébrée chaque 7 juillet pour commémorer les émeutes de 1990 qui ont marqué la lutte pour le multipartisme sous la présidence autoritaire de Daniel arap Moi. Mais cette année, la date a pris une tournure particulièrement explosive.
Au cœur des revendications, la dénonciation des violences policières, de la corruption et des atteintes aux droits humains. La mort en détention en juin dernier du blogueur et activiste Albert Ojwang a ravivé la colère populaire. Depuis, une série de manifestations a secoué le pays, au prix de dix-neuf morts, selon la Commission nationale des droits humains. Le parquet a d’ailleurs engagé des poursuites pour meurtre contre six personnes, dont trois policiers. Toutes ont plaidé non coupable.
Une société civile muselée
Le rassemblement prévu ce 7 juillet devait initialement rendre hommage aux héros de la démocratie. Mais, il s’est rapidement mué en vaste cri de protestation contre un pouvoir jugé autoritaire. Dimanche 6 juillet, à la veille des manifestations, un gang armé a attaqué le siège de la Commission kényane des droits de l’homme, alors qu’une conférence de presse y était organisée pour dénoncer les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires. L’attaque a choqué et renforcé les appels à la vigilance citoyenne.
Malgré les interdictions, les réseaux sociaux ont joué un rôle central dans la mobilisation, relayant des messages de soutien et des appels à la résistance. De petits rassemblements ont été signalés en périphérie de Nairobi et dans d’autres villes, témoignant d’une contestation diffuse mais déterminée.
Dialogue rompu, répression renforcée
Face à la colère, le gouvernement a opté pour une stratégie exclusivement sécuritaire. Aucune tentative d’ouverture au dialogue n’a été engagée, malgré les critiques croissantes de la société civile et des observateurs internationaux. Pour de nombreux Kényans, le pays replonge dans des pratiques autoritaires d’un autre temps, celles-là mêmes que le Saba Saba historique de 1990 avait cherché à abolir.
Cette journée du 7 juillet 2025 s’achève dans un climat de peur et de méfiance, laissant place à une question qui brûle les lèvres : le Kenya est-il en train de trahir les idéaux démocratiques pour lesquels tant de personnes se sont battues il y a 35 ans ? Pour de nombreux manifestants, la lutte continue.