Journaliste en Afrique, un métier à risques


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Arrestations, procès, passages à tabac, assassinats, pressions financières, tels sont les moyens de répression employés dans certains pays d’Afrique à l’encontre des journalistes. Des « méthodes » qui en disent long sur l’état de la question sur le continent. Afrik.com fait le point en cette journée mondiale de la liberté de la presse.

« Malgré de bons exemples comme le Mali, le Ghana et la Namibie, la liberté de la presse a globalement reculé sur le continent », estime Ambroise Pierre, chargé de l’Afrique à Reporters sans frontières (RSF). Une situation qui s’est particulièrement aggravée dans la corne de l’Afrique. « En Érythrée, une trentaine de journalistes ont été arrêtés en 2009 contre une quinzaine en 2008 », précise Ambroise Pierre ajoutant que ce pays se trouve à la dernière place (165) du classement RSF. Même constat pour la Somalie (164) où neuf journalistes ont été tués en 2009. « Les responsables de gouvernements, les autorités locales, les forces de sécurité, et les rebelles dans les maquis africains (…) comprennent le pouvoir des médias et chacun veut contrôler ce pouvoir à sa manière pour contrôler les masses, à l’échelle d’un pays, d’une ville ou d’un village », note Mohamed Keita, responsable Afrique du comité de protection des journalistes (CPJ). Pendant les périodes électorales ou de crises politiques, cette pression envers les journalistes s’intensifie. Madagascar et le Gabon en sont la preuve.

Selon RSF, ces deux pays ont connu la dégradation la plus sensible pour l’année 2009. La Grande Ile (134) a perdu 40 places en raison de l’instabilité politique qui s’est installée dans le pays. « Le combat entre le leader malgache, Andry Rajoelina, et le président évincé, Marc Ravalomanana a eu lieu dans les médias. Le fait que ces deux protagonistes ont fait passer leurs messages dans leurs médias respectifs a entravé la liberté de la presse », observe Ambroise Pierre. Le Gabon (129) a, lui, reculé de 19 places. Une régression qui s’explique par les élections contestées du 30 août dernier qui ont considérablement entravé le travail des journalistes. « La profession est plus vulnérable pendant les scrutins en raison des pressions qu’exercent le pouvoir et l’opposition », note le responsable Afrique de RSF. Une tendance qui n’est pas prête de s’inverser puisqu’en 2010, plusieurs élections présidentielles doivent avoir lieu, notamment en Guinée, en Centrafrique et à Madagascar.

Le journalisme compte ses morts

Les moyens de répression à l’encontre de la liberté de la presse varient d’un pays à l’autre. Au Nigeria (135) et en RDC (147) par exemple, les autorités pratiquent la répression violente. Depuis le début du mois d’avril, Reporters sans frontières a dénombré quatre assassinats de journalistes. Le 24 avril, trois journalistes nigérians ont été tués. Edo Sule Ugbagwu, travaillant pour le quotidien The Nation, a été abattu à son domicile, à Lagos. Nathan S. Dabak, directeur adjoint et Sunday Gyang Bwede, reporter au bimensuel chrétien Light Bearer ont été exécutés à la machette dans la périphérie de Jos. Le 5 avril, le cameraman congolais Patient Chebeya Bankome, dit Montigomo, a été tué par balles, sous les yeux de son épouse, alors qu’il regagnait son domicile, dans la ville de Béni, une province du Nord-Kivu. Il travaillait pour plusieurs télévisions dont la chaîne publique Radio-Télévision Nationale Congolaise (RTNC). Patient Montigomo avait couvert la plupart des conflits armés de l’est de la RDC, notamment celui de la province de l’Ituri.

La presse sous haute surveillance

Dans les pays du Maghreb, le pouvoir semble préférer les arrestations et les procès aux répressions plus violentes. « Les journalistes ne peuvent pas critiquer l’exécutif et la religion. On ne peut pas remettre en cause certains politiques, leur efficacité, leur compétence sous peine d’être emprisonné pour des faits, pour la plupart du temps, inventés », révèle Eric Goldstein, chargé du Maghreb et du Moyen Orient pour l’ONG américaine, Human Rigths Watch (HRW).

Ainsi en Tunisie (154), où ce genre de procédé est monnaie courante, le journaliste et opposant Taoufik Ben Brik, libéré mardi dernier, avait été condamné à six mois de prison ferme pour faits de « violence, outrage public aux bonnes mœurs et dégradation volontaires des biens d’autrui », à la suite d’une plainte déposée par une automobiliste. Des faits qu’il a toujours niés, se disant victime d’une « machination ». Le Maroc, pays dont la répression s’est intensifiée après le 10ème anniversaire de l’accession de Mohammed VI, a condamné le 2 février dernier, le blogueur Boubaker Al-Yadib à six mois de prison ferme et 500 dirhams d’amende, pour « dégradation des biens de l’Etat », « atteinte à un agent de l’Etat », et « participation à une manifestation illégale ». Une condamnation qui serait liée, selon RSF, à l’engagement militant du blogueur, sur Internet, en faveur de la liberté d’expression ». Les autorités lui reprochaient d’avoir publié en ligne, le 25 janvier 2010, l’annonce d’une grève des blogueurs pour « une semaine de deuil pour la liberté d’expression au Maroc ».

La cyber-police tisse sa toile

Dans ces pays, les blogs et les sites en ligne sont de plus en plus pris pour cibles. « L’essor de ces supports, véritables alternatives à la censure de la presse écrite, a suscité l’inquiétude des autorités qui ont créé une cyber- police pour contrôler les informations qui circulaient sur la toile », indique Eric Goldstein. Résultat, en Égypte (143), le blogueur Wael Abbas, dont le procès était censé débuter le 29 avril dernier, a été condamné à six mois de prison et à une amende de 500 livres égyptiennes (soit 65 euros) par contumace pour avoir vendu des services de communication sans licence. Il rejoint entre autres Hani Hazer, détenu dans la prison de Borg Al-Arab à Alexandrie, arrêté en octobre 2008 pour avoir posté sur son site Internet un lien vers un livre considéré comme insultant envers l’islam. S’agissant des sites d’informations sur internet, l’Algérie a bloqué celui de Radio Kalima-Algérie le 17 mars dernier. Tout comme sa diffusion par le satellite Hotbird d’Eutelsat qui lui permettait d’être diffusée dans d’autres pays.

La nouvelle arme : la pression financière

Répandu au Maroc, ce mode de répression est à l’origine de la fermeture du Journal hebdomadaire dans le pays. Dans un entretien accordé à Reporters sans frontières, Aboubaker Jamaï, l’un des trois fondateurs et actionnaires du Journal en 1997 et directeur de publication jusqu’en 2007, a insisté sur le fait que « les autorités ont tout fait pour acculer Le Journal hebdomadaire à l’asphyxie financière, par le biais d’une stratégie concertée de boycott publicitaire ». « L’Etat exerce son monopole sur les publicités afin de contrôler la presse. De même qu’il contrôle la diffusion et la distribution des journaux », explique Souazig Dollet, chargé du Maghreb et du Moyen-Orient à RSF. En Algérie, les publications, à la gloire d’Abdelaziz Bouteflika, vivent grâce à des subventions indirectes : elles bénéficient des imprimeries appartenant à l’Etat. Aujourd’hui, seuls deux quotidiens, El Khabar et El Watan, sur les 48 qui existent, possèdent leur imprimerie.

Dans les pays où la censure est omniprésente, beaucoup de journalistes choisissent l’exil. « Le Zimbabwe, la Gambie, Éthiopie et Érythrée ont vu l’exode de nombreux journalistes, y compris ceux qui étaient les meilleurs de leur profession », mentionne Mohamed Keita. « Leurs collègues qui restent sur place adoptent l’autocensure, prennent moins de risques et en conséquence la qualité et la diversité de l’information prend un coup désastreux », ajoute-t-il. Par exemple, en Somalie, indique RSF, plus d’une cinquantaine d’entre eux auraient quitté leur pays. Un choix vital pour certains mais qui laisse le champ libre « aux prédateurs de la liberté » qui profitent de cette exode pour cadenasser l’information.

Classement Afrique de RSF sur la liberté de la presse

27. Ghana, 31. Mali, 33. Afrique du Sud, 57. Burkina Faso, 63. Liberia, 64. Malawi, 66. Tanzanie, 67. Togo, 72. Bénin, 80. Centrafrique, 82. les Comores, 83. Mozambique, 87. Ouganda, 97. la Zambie, 99. Lesotho, 100. Guinée, 102. Mauritanie, 103. Burundi, 104. Côte d’ivoire, 109. Cameroun, 110. Djibouti, 115. Sierra Leone, 116. Congo, 119. Angola, 127. Maroc, 129. Gabon, 132. Tchad, 134. Madagascar, 135. Nigeria, 136. le Zimbabwe, 137. Gambie, 139. Niger, 140. Éthiopie, 141. Algérie, 143. Égypte, 144. Swaziland, 147. RDC, 148. Soudan, 154. Tunisie, 156. Libye, 157. Rwanda, 158. Guinée équatoriale, 164. Somalie, 175. Érythrée.

Liste RSF des « Prédateurs de la liberté» en Afrique en 2010

Zine el-Abidine Ben Ali (Tunisie), Mouammar Kadhafi (Libye), Issaias Afeworki (Érythrée), Milices islamistes armées (Somalie), Paul Kagame (Rwanda), Robert Mugabe (Zimbabwe), Mswati III (Swaziland), Teodoro Obiang Nguema (Guinée Équatoriale), Ogbonna Onovo, inspecteur générale de la police, (Nigeria), Yahya Jammeh (Gambie).

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