Somalie : les journalistes pris pour cible


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La Somalie est l’un des pays les plus dangereux au monde pour les journalistes : en 2009, neuf journalistes y ont été tués, 22 au total depuis 2005. Seul l’Irak est moins bien classé sur l’indice de l’impunité du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), qui présente une liste des pays où les professionnels des médias sont régulièrement assassinés sans qu’aucune enquête ne soit menée.

Sans cesse confrontés à des menaces et à des actes d’intimidation, un très grand nombre de journalistes somaliens ont choisi de s’exiler. Ceux qui sont restés en Somalie vivent dans la peur permanente d’une attaque. L’inquiétude plane désormais sur l’avenir d’une presse libre relativement récente qui pourrait bientôt disparaître.

Les médias indépendants ont fait leur apparition après la chute du gouvernement du président somalien Siyad Barre, lors de la guerre civile de 1991 qui a mis fin au contrôle des médias par l’État. « Au départ, ça a été comme une libération : on pouvait écrire et dire ce que l’on voulait sans avoir à craindre d’être arrêté par le gouvernement », a dit Mohamed Abdulkadir, journaliste chevronné qui a fondé un journal lorsque M. Barre a quitté le pouvoir. M. Abdulkadir a indiqué que les journalistes n’étaient pas pris pour cible au début de la guerre civile. « Personne ne nous menaçait, ne nous harcelait. Aujourd’hui, les choses ont changé ». « C’est à partir de 2006 que les pires exactions ont eu lieu », a-t-il dit, expliquant qu’il s’agissait de l’année au cours de laquelle les islamistes, sous la bannière de l’Union des tribunaux islamiques, avaient pris le pouvoir à Mogadiscio, menant l’Éthiopie à envoyer des troupes pour soutenir le gouvernement transitoire forcé à la démission.

Daud Abdi Daud, dirigeant d’une organisation actuellement basée à Nairobi et qui lutte pour les droits des journalistes, a dit : « Depuis 2005, 22 journalistes et professionnels des médias ont été tués en Somalie, dont neuf journalistes pour la seule année 2009 ». Il a ajouté que plus de 150 journalistes somaliens étaient actuellement en exil. « Ceux qui sont toujours à Mogadiscio se cachent ».

Omar Faruk Osman, un journaliste basé à Mogadiscio, a été arrêté, a subi des intimidations et a été harcelé à plusieurs reprises – pour avoir fait son travail. M. Osman, secrétaire général de l’Union nationale des journalistes somaliens (NUSOJ) et président de la Fédération africaine des journalistes (FAJ), a dit à IRIN : « J’ai été arrêté à Belet-Weyn, à Jowhar et trois fois à Mogadiscio. Les arrestations font presque parti du quotidien des journalistes en Somalie, mais maintenant nous sommes également tués à cause de notre profession ». Il a dit que c’était la raison pour laquelle de nombreux journalistes s’étaient exilés. « Ils n’ont pas choisi l’exil, on les a forcés à partir ».


Fermeture des médias d’information

« Les véritables héros sont ceux qui sont restés à Mogadiscio avec une arme pointée sur eux, mais qui travaillent »
Alors que la crainte de voir une guerre totale éclater entre les troupes du Gouvernement fédéral transitoire (GFT), soutenues par la communauté internationale, et les insurgés islamistes grandit, une pression s’exerce sur les journalistes pour qu’ils prennent parti pour l’un des deux camps.
Le 3 avril, Hizbul-Islam, l’un des plus importants groupes d’insurgés, a ordonné aux stations de radio d’arrêter de diffuser de la musique. Beaucoup d’entre elles se sont exécutées. Le GFT a répliqué en exigeant des quatre stations basées dans la région qu’il contrôle qu’elles cessent d’émettre.

Même si cette décision a été rapidement annulée, les journalistes ont eu l’impression d’être pris entre deux feux. « Nous sommes pris à partie par les deux camps. Tous veulent faire des médias leurs porte-parole », a dit M. Faruk. L’attitude des insurgés est : « Vous êtes soit avec nous, soit contre nous. Mais en fait, nous sommes avec le peuple et notre travail consiste à rapporter les faits et non pas ce que tel camp voudrait », a-t-il ajouté.

Selon M. Osman, les points importants marqués par les médias privés, indépendants et libres ces 20 dernières années « sont sur le point d’être perdus », les islamistes ayant fait fermer les médias d’information qu’ils contrôlaient dans les régions du sud.
Les médias de Mogadiscio sont soumis aux pressions des deux camps, a-t-il ajouté, appelant la communauté internationale à montrer son soutien et à apporter sa solidarité aux médias. « Jusqu’ici, tout ce qu’on a vu c’est qu’elle en parle du bout des lèvres ». Il a dit que c’était grâce à quelques journalistes courageux toujours présents dans la capitale que les médias existaient encore. « Les véritables héros sont ceux qui sont restés à Mogadiscio avec une arme pointée sur eux, mais qui travaillent ».

Danger

Ali Sheikh Yassin, vice-président d’Elman, une organisation de défense des droits humains (EHRO), a dit à IRIN que les journalistes étaient confrontés à « un plus grand danger que par le passé ». « Autrefois, les journalistes recevaient des avertissements, mais aujourd’hui ils sont tout simplement assassinés », a dit M. Yassin. « Malheureusement, plusieurs stations de radio ne pourront plus émettre. La situation actuelle est très dangereuse. Le risque de voir les médias privés et indépendants disparaître est bien réel », a-t-il ajouté.

« Plus personne ne sera là pour parler des atrocités commises chaque jour et de la crise humanitaire que leurs actions [celles des insurgés] entraînent », a-t-il dit, notant que les parties prenantes au conflit se réjouiraient de cette impunité supplémentaire. « Sans les médias indépendants et des journalistes courageux, personne ne serait au courant des souffrances qu’endure le peuple somalien et de ce qui lui arrive vraiment ».

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