Intégration régionale en Afrique Centrale : une équation difficile à résoudre


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CEMAC
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Alors que l’Agenda 2063 de l’Union Africaine prône un continent intégré et uni, l’Afrique centrale peine à concrétiser cette vision. Avec seulement 3,9% d’échanges intracommunautaires en 2023 contre plus de 10% en Afrique de l’ouest, la CEMAC fait figure de mauvais élève de l’intégration régionale africaine. Les appels à l’exemplarité lancés lors du récent sommet de Bangui suffiront-ils à débloquer cette situation ?

L’Agenda 2063 de l’Union Africaine (UA), à son alinéa 2, aspire à « un continent intégré, politiquement uni, fondé sur les idéaux du panafricanisme et de la vision de la renaissance de l’Afrique ». Elle aspire également, à son alinéa 5, à « une Afrique dotée d’une identité culturelle forte, de valeurs, d’une éthique et d’un patrimoine communs ». Pour atteindre ces objectifs, les barrières physiques et invisibles qui ont empêché l’intégration des peuples africains doivent être levées. Si ces objectifs sont en cours de réalisation pour certaines communautés sous-régionales, parmi lesquelles l’Afrique de l’ouest qui brille par une intégration de plus en plus effective, l’Afrique centrale, quant à elle, ne brille pas par l’exemple, et ceci depuis des décennies.

Un bilan d’intégration préoccupant

Difficile à concrétiser en Afrique centrale, l’intégration régionale est devenue comme une épine dans le pied des dirigeants de cette sous-région communautaire. C’est ainsi qu’au 16e sommet ordinaire de la Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté Économique et Monétaire de l’Afrique Centrale (CEMAC), le 10 septembre dernier à Bangui, le président sortant de cette institution, le président centrafricain Faustin Archange Touadéra, a appelé à une « exemplarité » des institutions communautaires afin d’accélérer et surtout de renforcer le sentiment d’appartenance à un « vaste ensemble commun », en indiquant que c’est grâce à cela que la « citoyenneté communautaire » s’enracinera.

Mais ce discours sonne comme du déjà entendu dans cette sous-région, laissant à la traîne le développement au sein de la CEMAC. Les données de la Banque Mondiale sur les échanges intracommunautaires sont éloquentes : la part des échanges au sein de la communauté ne représentait que 2% du total en 2018, 3,5% en 2022, puis 3,9% en 2023, avec un commerce total de plus de 33 milliards de FCFA ne représentant pas plus de 1,3 milliard de FCFA intrazone. Ces données, si on les compare avec la sous-région ouest-africaine où les échanges intrarégionaux dépassent 10%, ou avec la sous-région est-africaine où ces échanges varient entre 5 et 10%, révèlent l’ampleur du retard.

Si, lors du sommet, le président centrafricain a fait appel à l’exemplarité des instances, c’est tout simplement parce que les causes de cette situation sont connues par les 6 pays que compte la CEMAC et que certains dirigeants ne fournissent aucun effort pour faire pencher la balance vers une situation plus favorable.

Des obstacles structurels persistants

Entre des procédures douanières lourdes, les harcèlements aux frontières, des corridors pas si efficaces que ça, des infrastructures de transport défaillantes et des politiques plutôt « xénophobes » de certains États membres, la CEMAC n’est pas près de sortir de l’auberge, accentuant un mécontentement du côté des acteurs économiques mais aussi des populations qui envient les autres sous-régions.

Les Camerounais, qui sont les plus affectés par cette situation, ont souvent, à plusieurs reprises, exprimé leur ras-le-bol, appelant parfois le gouvernement camerounais à adopter une attitude deux fois plus rude que leurs voisins, à l’instar de la Guinée Équatoriale où ils sont souvent expulsés sans préavis et avec confiscation de biens matériels et même financiers. L’État équato-guinéen les accuse de vouloir « envahir » le pays au détriment des locaux.

On peut également citer la récente volonté du nouvel homme fort du Gabon qui souhaite remettre aux Gabonais leur économie en interdisant certains secteurs d’activités aux étrangers. Ces deux pays en exemple ont tendance souvent à oublier que c’est le Cameroun qui est leur mère nourricière pour le Gabon et c’est au Cameroun que la Guinée Équatoriale trouve sa meilleure main-d’œuvre pour les projets structurants de ce pays qui, depuis le début de l’exploitation du pétrole, s’est engagé dans la construction de leur territoire. Le projet d’intégration de la zone Afrique Centrale risque d’être encore plus problématique.

La citoyenneté communautaire

Sans l’exemplarité des institutions politiques et administratives de la sous-région voulue en « appel » par le président Faustin Touadéra, la citoyenneté communautaire restera un slogan et un vœu lointain pour les populations d’Afrique Centrale, surtout que le processus risque de devenir encore plus difficile dans l’optique où la CEMAC est en cours de fusion avec la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC), qui fera passer cette sous-région communautaire à 17 pays membres et va, de ce fait, alourdir et créer de plus en plus de situations de blocage pour une intégration active.

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Franck Biyidi est diplômé de l'IRIC (Institut des Relations Internationales du Cameroun) je suis spécialiste des relations internationales au sein de la Francophonie et de l'Union Africaine et de tout ce qui touche la diplomatie en Afrique francophone
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