« Il ne faut pas confondre milices et Janjawids »


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Le gouvernement soudanais tente de faire au mieux, depuis le début de la guerre dans le Darfour, pour éviter de sacrifier des vies inutilement et ne pas enflammer la situation. C’est en substance ce que le ministre des Affaires étrangères soudanais, M. Mustapha Osman Ismaël, a expliqué lors d’une conférence de presse à la Maison de la Radio, à Paris. Il est également revenu sur la pression croissante des Etats-Unis et de la Grande Bretagne ainsi que sur les multiples accusations portées par des ONG contre son pays.

Le gouvernement soudanais n’a jamais soutenu les milices responsables d’exactions dans le Darfour. Au contraire, il a depuis le début du conflit tenté de faire au mieux pour ne pas sacrifier de vies inutilement. Quant aux documents récemment produits par Amnesty International et Human Rights Watch pour prouver le soutien de Khartoum aux milices, ce sont des faux. C’est ce que le ministre des Affaires étrangères soudanais a expliqué au Centre d’accueil de la presse étrangère (Cape), jeudi, à Paris. Le Docteur Mustapha Osman Ismaël, dont le pays est sous la pression croissante des Etats-Unis, notamment, a débuté par Paris une campagne de communication européenne pour dire sa vérité sur le conflit du Darfour. Et pour demander du temps. Après la capitale française, où il se trouve depuis mercredi, il se rendra à La Haye, à Bruxelles puis à Ankara (Turquie). Lors de son passage au Cape, il est également revenu sur la déclaration de Tony Blair selon laquelle il serait prêt à envoyer des troupes au Darfour.

Deux ONG accusent le gouvernement de Khartoum d’aider et de soutenir les milices Janjawids…

Mustapha Osman Ismaël :
Je tiens d’abord à souligner une différence entre Janjawids et milices. Les Janjawids sont des voleurs et des assassins actifs depuis une dizaine d’années. Ils volent, tuent, sont sans foi ni loi. Ils ont profité de la guerre pour attaquer, violer et tuer des citoyens innocents. Quant aux milices, lorsque la révolte du Darfour a éclaté, en février 2003, certaines tribus sont restées fidèles au gouvernement. Et comme le gouvernement n’est pas immédiatement intervenu, ces tribus ont dû s’armer pour se défendre et protéger les institutions de l’Etat. Les Janjawids ont profité de la situation quand la révolte a pris forme. Les insurgés sont donc les premiers responsables, puisqu’ils ont créé la situation favorable à la participation des Janjawids.

Concernant les accusations des ONG, dont Amnesty International, qui vous a fait parvenir de nombreuses demandes de visas sans recevoir de réponses favorables ?

Mustapha Osman Ismaël :
Les positions de certaines ONG sont saines. Je pense par exemple à Médecins sans frontières et à une ONG américaine dont je ne me souviens plus le nom. Leur travail est reconnu et accepté. Le Soudan est désireux de voir le maximum de personnes apporter leur aide à ceux qui en ont besoin au Soudan. En ce qui concerne Amnesty international, je n’ai reçu leur demande de visas qu’hier, alors que j’étais en France. Le problème est que cette organisation, comme Human Rights Watch, réalise des rapports sans avoir été sur place et les livre au public. Leurs travaux sont-il sérieux ? Human Rights Watch a d’ailleurs fait ces déclarations avec un timing étrange par rapport à la réunion du Conseil de sécurité de l’Onu. Si elles vont demain sur place, elles risquent simplement de déclarer qu’elles ont pu confirmer ce qu’elles aveint déjà écrit. J’aurais préféré le processus inverse. Quant aux preuves que Human Rights Watch prétend avoir sur notre prétendu soutien aux Janjawids, ce sont de faux documents, qui leur ont été fournis par l’opposition soudanaise. Souvenez-vous qu’en Irak, la guerre a éclaté sur la base de fausses informations. Les autorités américaines et britanniques ont récemment admis que leurs informations étaient erronnées. Nous avons nous mêmes constitué deux commissions, dont une indépendante, sous la présidence de juristes soudanais. Elle comporte des représentants d’associations nationales de droits de l’Homme, de femmes médecins et rendra bientôt son rapport.

Le gouvernement de Khartoum n’est-il pas intervenu en février 2003 parce qu’il n’en avait pas les moyens militaires ? Les a-t-il aujourd’hui pour protéger les milliers de déplacés, lorsqu’ils rentreront chez eux, ou devra-t-il, comme certaines ONG déclarent qu’il le fait déjà, intégrer des miliciens aux forces de sécurité ?

Mustapha Osman Ismaël :
La rébellion a éclaté en février 2003, seulement six mois après la cessation des hostilités entre la SPLA (Armée populaire de libération du Soudan, ndlr) et nous mêmes. Nous savions alors qu’il y avait une stratégie délibérée de la part des rebelles de contrôler le Darfour avant la conclusion des accords de Naivasha. Et qu’ils avaient la volonté de diviser le Soudan en trois. Lorsqu’ils ont commencé à attaquer les postes de police et les banques, nous avons adressé une lettre à leurs chefs en leur expliquant que nous avions cessé les affrontements depuis six mois seulement et que nous devrions dialoguer pour régler le problème. Ils ont commencé à prendre les villes les unes après les autres. Les tribus qui ne leur étaient pas favorables ont du s’armer car elles savaient que nous n’étions pas prêts à intervenir. Après quelques mois, nous nous sommes demandé que faire : attendre, et risquer une guerre civile, voire un développement semblable au génocide du Rwanda, dans la mesure où il y a huit ethnies, dans le Darfour ? Ou bien attaquer tout en sachant que cela allait causer des dommages aux populations civiles et créer une situation humanitaire difficile. Le 28 décembre, nous avons décidé d’intervenir et l’armée a réussi à reprendre de nombreuses villes. Mais que faire avec ce problème militaire, politique et humanitaire ? Nous nous sommes dit que la question politique devait être réglée par les populations du Darfour entre elles. Car les accords de Naivasha réglaient toutes les questions au point de vu national. Que restait-il alors ? Le Darfour a besoin d’être développé ? Nous disons « oui », cela sera fait, mais il nous faut du temps.

La communauté internationale et les Etats-Unis s’impatientent de la lenteur à laquelle évolue la situation…

Mustapha Osman Ismaël :
La pression qui pèse actuellement sur le gouvernement nous rappelle inévitablement la pression qui pesait il y a un an sur l’Irak. Je ne vois pas pourquoi les USA et la Grande Bretagne agissent ainsi et ne traitent pas avec nous, sur ce dossier, par l’intermédiaire des Nations Unies. Comme nous le faisons nous-mêmes. Peut-être la Grande Bretagne croit-elle toujours être au Soudan. Le dossier du Darfour est actuellement confié à l’Union africaine. Le cessez-le-feu est géré sous son égide. Près de 80 observateurs, dont des Américains et des Européens, sont sur place pour voir l’évolution de la situation. Les choses suivent leur cours. Cette pression constante s’apparente à une ingérence. C’est cela qui a conduit à l’échec des négociations d’Addis Abeba (Ethiopie, ndlr). Les rebelles ont pu se dire « Pourquoi discuter de politique, les grandes puissances font pression, continuons, laissons faire ! »

Certaines ONG accusent le gouvernement de ne pas assez agir pour rétablir la sécurité…

Mustapha Osman Ismaël :
Tous les camps sans exception sont actuellement sous le contrôle du gouvernement. Pourquoi tous ces gens qui s’y trouvent ne vont-ils pas dans les zones sous contrôle des rebelles ? En ce qui concerne les Janjawids, je le répète, nous faisons ce que nous pouvons. Ils doivent être arrêtés, les rebelles cantonnés et les milices désarmées. Je tiens à rappeler que le point numéro 8 de l’accord signé avec l’Union africaine stipule que le rassemblement des révoltés doit se faire dans des camps, simultanément au cantonnement et au désarmement des milices et des Janjawids.

L’Onu prépare une résolution sur un blocus d’armes contre les Janjawids. Pensez-vous que cela puisse être utile ?

Mustapha Osman Ismaël :
La question est de savoir comment feraient-ils pour faire respecter un embargo. Les Janjawids ne reçoivent pas leurs armes d’un Etat, de façon à pouvoir être contrôlés. Ils reçoivent des armes de l’intérieur, de leur communauté, qui dispose de beaucoup d’armes. Ils profitent également de la grande instabilité qui règne actuellement pour recevoir des armes à partir du Tchad voisin. De nombreux combattants ont ainsi participé aux révoltes du Tchad et font désormais l’aller-retour. Mais cet état de fait ne nous empêche pas d’effectuer des arrestations : une centaine de Janjawids ont ainsi été arrêtés et vont être traduits en justice. Je ne pense pas que nous ayons besoin d’une résolution. Il faut donner le temps et l’aide nécessaire à l’Union africaine pour qu’elle puisse mettre en pratique la décision prise le 1er juillet dernier. De nombreux pays africains ont envoyé des messages à l’Onu allant dans ce sens.

Que pensez-vous de la déclaration de Tony Blair, selon laquelle il serait prêt à envoyer des troupes dans le Darfour ?

Mustapha Osman Ismaël :
M. Tony Blair voudrait envoyer ses troupes ? Si il est sérieux, je l’informe officiellement, aujourd’hui, que nous partirons du Darfour pour lui laisser sa chance, si il veut y assurer la sécurité. Soyons sérieux, les troupes anglaises y seront considérées comme des forces d’occupation. Comme les forces de la coalition le sont actuellement en Irak. Les rebelles ne représentent pas plus de 50% de la population du Darfour.

Quel rôle souhaitez-vous que la France endosse dans ce conflit ?

Mustapha Osman Ismaël :
La France dispose déjà d’une base militaire à l’Est du Tchad. D’où l’intérêt qu’elle intervienne elle, plutôt que les forces de Tony Blair. La France intervient déjà à différents niveaux – droits de l’Homme, politique, suivi du cessez-le-feu – . La stabilité de la région est importantre pour elle. Nous souhaiterions que son rôle soit beaucoup plus important lorsque la situation sera stabilisée.

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