
C’est une onde de choc au sein de la diaspora marocaine au Sénégal déclenché par l’annonce de l’annulation de l’Aïd el-Adha par le roi Mohammed VI. Officiellement motivée par l’austérité, la mesure est perçue comme une provocation, alors que le souverain s’est récemment offert deux voitures de luxe. Entre colère, incompréhension et sentiment de trahison, plusieurs Marocains installés au Sénégal dénoncent un roi déconnecté des réalités de son peuple.
L’annonce a été et demeure un choc. Lorsque le roi Mohammed VI a déclaré, le 1er juin dernier, que la célébration de l’Aïd el-Adha serait suspendue cette année pour « raisons économiques et d’austérité », les Marocains installés au Sénégal ont d’abord cru à une fausse information. Rapidement, la réalité s’est imposée, avec un sentiment partagé de colère, d’humiliation et d’incompréhension.
L’Aïd el-Adha « confisquée » au nom de l’austérité
« C’est une fête sacrée, un moment de communion, et voilà qu’on nous la confisque au nom de l’austérité, alors que le roi s’achète des voitures à des millions de dollars », s’emporte Rachid, 42 ans, gérant d’un restaurant à Dakar. Il fait référence à l’achat récent, par le souverain, de deux voitures de luxe du constructeur marocain Laraki, modèle Sahara, estimées à plus de 2 millions d’euros l’unité.
« L’Aïd, c’est notre lien avec nos familles, notre foi, notre culture. Ce n’est pas un luxe, c’est un devoir », poursuit Rachid, les yeux brillants de rage. « On ne peut pas nous demander de faire des sacrifices pendant que le roi s’offre des caprices de milliardaire. C’est indécent ». La décision royale, annoncée dans un communiqué officiel, a été présentée comme une mesure de solidarité envers les ménages marocains frappés par la cherté de la vie. Mais pour beaucoup, c’est un coup dur mal justifié.
« Je n’ai jamais été aussi déçue par notre roi »
« Je vis ici depuis dix ans, mais mon cœur est toujours au Maroc », confie Soumia, 35 ans, employée dans une agence de tourisme. « Je n’ai jamais été aussi déçue par notre roi. Comment peut-il nous parler d’austérité quand lui mène la grande vie ? Où est l’exemple ? » Pour Soumia, cette décision n’est pas seulement malvenue : elle est insultante. « On aurait compris qu’il appelle à des gestes symboliques, à des dons, à une organisation différente de l’Aïd. Mais là, interdire carrément la fête ? C’est violent ».
Youssef, 51 ans, chef d’entreprise dans le BTP, est catégorique : « Ce n’est pas une question religieuse seulement. C’est une fracture morale. Le roi est censé être le « commandeur des croyants ». Mais il nous tourne le dos, il tourne le dos à nos traditions. Et dans le même temps, il roule dans des bolides qui valent plus qu’un quartier entier de Casablanca ».
Fracture morale : le fossé se creuse entre peuple et palais
Dans son bureau aux murs décorés de tapis marocains, Youssef avoue avoir « honte » devant ses partenaires sénégalais. « On passe pour un peuple sous tutelle d’un monarque déconnecté ». Fatima, 29 ans, étudiante en master de gestion à Dakar, refuse de céder à la directive royale. « Ici, je ferai mon Aïd. J’ai déjà cotisé avec d’autres compatriotes pour acheter un mouton. Le roi peut dire ce qu’il veut, il ne peut pas effacer notre foi ».
Elle estime que cette interdiction ne fera qu’alimenter la frustration populaire, surtout en période de crise. « Au Maroc, les gens galèrent. Ils attendent toute l’année pour cette fête. Et pendant ce temps, le roi parade dans des voitures de luxe fabriquées au Maroc pour des gens qu’on ne verra jamais dans la rue. C’est révoltant ». Pour Mehdi Bouazza, 37 ans, commerçant installé à Pikine, « le roi aurait pu acheter des véhicules classiques. Mais il choisit de s’exhiber dans ce que le Maroc produit de plus extravagant, pendant qu’on annule la plus grande fête populaire ? Il se moque de nous ».
Un malaise plus profond, une confiance ébranlée
Pour beaucoup, cette annonce royale est le reflet d’un malaise plus profond. « Il y a un fossé énorme entre ce que vit le peuple et ce que décide le palais », analyse Mehdi. « Depuis le Covid, les prix ont explosé, les jeunes n’ont plus d’emplois, l’immigration explose, et le roi est silencieux. Ou alors, quand il parle, c’est pour supprimer l’Aïd ». Selon lui, c’est un point de rupture. « Moi, j’ai toujours défendu notre roi. Mais là, je ne peux plus. Trop, c’est trop ».
Les témoignages recueillis traduisent une perte de confiance dans la monarchie marocaine. « On a l’impression que le roi ne comprend plus son peuple. Ou qu’il s’en fiche », résume Soumia. « On est fiers d’être Marocains, mais on ne reconnaît plus notre pays dans ces décisions ». La communauté marocaine au Sénégal, estimée à près de 10 000 personnes, reste très attachée à ses traditions et à sa culture. L’annulation de l’Aïd n’est donc pas un simple détail : elle touche à l’identité.
Un pouvoir qui ne parle plus à son peuple
Certains évoquent déjà une mobilisation plus large. « Il est temps que la diaspora s’exprime », dit Rachid. « Nous avons le droit de critiquer des décisions injustes. Ce n’est pas un crime de demander à son roi d’être plus proche de la réalité ». Youssef, de son côté, appelle à un sursaut collectif : « Ce n’est pas en annulant des fêtes qu’on gère une crise. C’est en redistribuant équitablement les richesses, en mettant fin aux privilèges excessifs ».
« On ne peut pas demander au peuple de renoncer au mouton pendant que le roi s’offre des millions en chevaux fiscaux », ironise Fatima. Pour elle, cette décision n’est pas seulement regrettable : elle est symbolique d’un pouvoir qui ne parle plus à son peuple. Un roi qui prône l’austérité tout en s’offrant le luxe le plus extravagant : pour la diaspora marocaine au Sénégal, c’est une pilule amère. L’Aïd el-Adha n’aura peut-être pas lieu cette année au Maroc, mais dans les cœurs de ses ressortissants à l’étranger, le sentiment de rupture est bien présent.