
Après près d’une décennie derrière les barreaux, Hannibal Kadhafi, l’un des fils de l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, a été libéré lundi 10 novembre 2025. Arrêté en 2015 à Beyrouth et détenu depuis sans procès, il retrouvre enfin la liberté après avoir payé une caution réduite à 900 000 dollars, bien inférieure aux 11 millions de dollars initialement exigés. Son avocat, Me Laurent Bayon, a salué auprès de l’AFP « la fin d’un cauchemar qui aura duré dix années ».
Une décennie de détention sans procès
Hannibal Kadhafi, aujourd’hui âgé de 49 ans, a été libéré hier lundi. Fils de l’ancien dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, il avait été arrêté au Liban en décembre 2015, alors qu’il vivait en exil avec son épouse, la mannequin libanaise Aline Skaf. Il était soupçonné de « recel d’informations » dans l’affaire de la disparition en 1978 de l’imam chiite libanais Moussa Sadr, fondateur du mouvement Amal, mystérieusement volatilisé lors d’une visite officielle en Libye.
Bien que les autorités libanaises soupçonnent Mouammar Kadhafi d’avoir joué un rôle dans cette disparition, Hannibal, âgé de seulement trois ans à l’époque des faits, n’a jamais été inculpé formellement. Sa détention prolongée, sans jugement, a régulièrement suscité des critiques d’organisations de défense des droits humains et d’observateurs internationaux dénonçant un emprisonnement arbitraire.
Une libération négociée et politiquement symbolique
Sa libération fait suite à de discrètes négociations diplomatiques entre Tripoli et Beyrouth. Selon plusieurs sources proches du dossier, des émissaires libyens se seraient rendus récemment au Liban pour plaider la cause d’Hannibal et proposer un accord de coopération judiciaire entre les deux pays. Le juge d’instruction libanais avait initialement fixé la caution à 11 millions de dollars, avant de la ramener, sous la pression de la défense, à 900 000 dollars.
Une somme finalement versée début novembre, ouvrant la voie à sa libération. Son avocat a confirmé qu’Hannibal Kadhafi quitterait prochainement le Liban pour une destination tenue confidentielle, par mesure de sécurité. « Mon client a payé un lourd tribut à des considérations politiques qui le dépassaient, a déclaré Me Bayon. Il n’aurait jamais dû être détenu si longtemps sans procès. »
Le fantôme de Mouammar Kadhafi plane encore sur la scène libyenne
Pour comprendre la portée symbolique de cette libération, il faut revenir sur l’héritage du régime Kadhafi, dont les conséquences pèsent encore sur la Libye d’aujourd’hui. Mouammar Kadhafi avait pris le pouvoir en 1969, à la suite d’un coup d’État militaire contre le roi Idris Premier. Pendant 42 ans, il dirigea la Libye d’une main de fer, imposant une idéologie panarabe et un socialisme d’État fondé sur sa fameuse « Troisième théorie universelle » exposée dans son Livre vert.
Sous son règne, la Libye connut un développement économique considérable grâce au pétrole : éducation et santé gratuites, subventions massives et grands projets d’infrastructures comme le « Grand fleuve artificiel », destiné à irriguer le désert. Mais derrière cette prospérité, le régime fut marqué par la répression politique, la surveillance généralisée et le soutien à divers mouvements armés à l’étranger. De nombreux opposants furent emprisonnés ou exécutés.
La mort du « Guide », Saïf al-Islam Kadhafi le dauphin ?
En 2011, au plus fort du Printemps arabe, la révolte atteint la Libye. Soutenus par une coalition internationale dirigée par la France et le Royaume-Uni, les rebelles parviennent à renverser le régime. Le 20 octobre 2011, Mouammar Kadhafi est capturé et tué à Syrte, sa ville natale. Sa mort brutale mit fin à quatre décennies de pouvoir absolu, mais plongea le pays dans un chaos durable. Depuis, la Libye reste déchirée entre factions rivales, gouvernements concurrents et influences étrangères, du Caire à Ankara en passant par Moscou. Parmi les enfants du défunt dictateur, Saïf al-Islam Kadhafi, souvent considéré comme le dauphin désigné de son père, incarne une autre facette de la dynastie.
Diplômé de la London School of Economics, il avait tenté, dans les années 2000, de moderniser l’image du régime et de dialoguer avec l’Occident. Arrêté en 2011 après la chute du régime, il fut condamné à mort en 2015 par un tribunal de Tripoli pour crimes de guerre, avant d’être libéré en 2017 par une milice de Zintan. Depuis, il vit en liberté en Libye et tente un retour politique : il s’est déclaré candidat à l’élection présidentielle prévue, mais sans cesse reportée, depuis 2021. Saïf al-Islam continue de se présenter comme le seul capable de rétablir l’unité du pays, en s’appuyant sur les nostalgiques de l’ère de son père.
L’affaire Sarkozy et les liens troubles entre Paris et Tripoli
La chute du régime Kadhafi a également eu des répercussions en France. L’ancien Président Nicolas Sarkozy, libéré hier, a été condamné pour financement illégal de sa campagne de 2007 par des fonds venus de Libye. Cette affaire, révélée par la presse en 2012, a mis au jour des flux financiers suspects entre les services de Kadhafi et l’équipe de campagne de l’ancien chef d’État français. En septembre 2025, Sarkozy a été condamné à cinq ans de prison ferme, pour conspiration et corruption passive. Il a fait appel, tout en clamant son innocence.
La libération d’Hannibal Kadhafi rappelle à quel point la famille Kadhafi reste au cœur de l’histoire libyenne. Quinze ans après la mort du « Guide », ses fils symbolisent les fractures d’un pays encore à reconstruire. Saïf al-Islam, figure politique controversée, prône une réconciliation nationale. Hannibal, victime collatérale de la vengeance et des règlements de comptes diplomatiques. Et la mémoire de Mouammar Kadhafi, toujours invoquée, parfois regrettée, parfois honnie. La libération d’Hannibal Kadhafi ravive les cicatrices d’un passé où la Libye pesait sur la scène mondiale, avant de s’enliser dans l’instabilité.





