Guinée-Bissau : La société civile africaine dénonce une dérive autoritaire


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Drapeau de la Guinée Bissau
Drapeau de la Guinée Bissau

La Guinée-Bissau traverse une nouvelle crise politique majeure qui suscite l’inquiétude de la communauté internationale et des organisations de la société civile ouest-africaines. Au cœur de cette tourmente, le président Umaro Embalo, dont la légitimité est de plus en plus contestée, multiplie les décisions controversées qui fragilisent l’État de droit.

Le 23 février dernier, le chef de l’État Umaro Embalo a unilatéralement modifié le calendrier électoral, avançant d’une semaine la date des élections présidentielles et législatives, désormais fixées au 23 novembre. Cette décision intervient dans un contexte explosif où l’opposition conteste la légitimité même du président, estimant que son mandat s’est achevé le 27 février, soit exactement cinq ans après son investiture controversée en 2020.
Un revirement politique surprenant

Dans un revirement spectaculaire, Umaro Sissoco Embalo a annoncé le 3 mars sa candidature à un second mandat, après avoir publiquement déclaré qu’il ne briguerait pas la place. Cette volte-face alimente les accusations de manipulation politique portées par l’opposition, rassemblée autour de l’Alliance populaire inclusive, dirigée par deux anciens premiers ministres, Domingos Simões Pereira et Nuno Gomes Nabiam

L’opposition, qui a boycotté la rencontre de concertation organisée par le président le 7 mars, avait appelé à « la paralysie totale » du pays le jour même de l’expiration supposée du mandat présidentiel.

Une présidence marquée par l’instabilité chronique

Depuis son arrivée au pouvoir en 2020, le président Embalo a présidé à une succession de crises qui ont durablement affaibli les institutions bissau-guinéennes. Son investiture elle-même s’était faite dans la controverse, avant même que la Cour suprême ne valide officiellement sa victoire électorale, huit mois plus tard.

Le pays a ensuite été secoué par une tentative de coup d’État en février 2022, suivie de multiples dissolutions de l’Assemblée nationale. La dernière en date, survenue en décembre 2023 après des troubles sanglants qui ont fait deux morts et six blessés, illustre l’incapacité du pouvoir à stabiliser la situation politique.

Les élections législatives prévues pour novembre 2024 ont été reportées sine die pour des « raisons techniques et financières« , privant le pays d’une représentation parlementaire légitime.

Une dégradation inquiétante des libertés

Cette instabilité politique s’accompagne d’une détérioration notable de la situation des libertés fondamentales. La liberté de presse, en particulier, subit une régression alarmante. Selon Reporters sans frontières, la Guinée-Bissau a chuté de la 78e à la 92e place mondiale en matière de liberté de la presse entre 2023 et 2024.

Cette dégradation s’illustre concrètement par les violences policières subies le 20 novembre 2024 par les journalistes Carabulai Cassama de Capital FM et Turé da Silva, symptômes d’une répression croissante à l’encontre des médias.

Face à cette dérive, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) avait dépêché une mission de médiation pour tenter de désamorcer la crise. Mais cette initiative a été brutalement avortée par l’expulsion nocturne de la délégation le 1er mars, une décision qui viole le Protocole additionnel de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance.

Les organisations de la société civile ouest-africaines, regroupées notamment au sein du Réseau de solidarité démocratique ouest-africain (WADEMOS), montent au créneau pour dénoncer ces « tripatouillages constitutionnels » et appellent à un dialogue inclusif entre toutes les parties prenantes.

Un appel urgent au dialogue

Dans ce contexte de crise multiforme, les voix s’élèvent pour exiger un retour à l’ordre constitutionnel et au respect des institutions démocratiques. Les organisations de la société civile appellent la Commission de l’Union africaine à se saisir du dossier et à dépêcher une mission d’information et de médiation.

L’enjeu dépasse largement les frontières de la Guinée-Bissau : il s’agit de préserver les acquis démocratiques dans une région ouest-africaine déjà fragilisée par plusieurs coups d’État militaires. La résolution de cette crise par le dialogue et le respect de l’État de droit constitue un test crucial pour la stabilité régionale et la crédibilité des institutions africaines de gouvernance démocratique.

Idriss K. Sow Illustration d'après photo
Journaliste-essayiste mauritano-guinéen, il parcourt depuis une décennie les capitales et les villages d’Afrique pour chroniquer, en français, les réalités politiques, culturelles et sociales de l'Afrique
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