
La justice guinéenne est à l’épreuve d’un choix politique qui pourrait tout remettre en cause. En toile de fond : la grâce inattendue de Dadis Camara, et l’arrivée de la Cour pénale internationale à Conakry, bien décidée à en évaluer les conséquences.
Deux mois après la grâce présidentielle accordée à Moussa Dadis Camara, ancien chef de la junte guinéenne condamné pour crimes contre l’humanité, une délégation de la Cour pénale internationale (CPI) est arrivée à Conakry. Cette mission annuelle, censée suivre le déroulement du procès du massacre du 28 septembre 2009, revêt cette année une portée particulière. Car au-delà du suivi judiciaire, c’est la crédibilité même du processus qui semble en jeu.
Une grâce qui fragilise le processus judiciaire
Le 28 septembre 2009, plus de 150 personnes ont été massacrées et des dizaines de femmes violées dans le stade de Conakry, alors que Moussa Dadis Camara était au pouvoir. Après des années d’attente, l’ouverture du procès en 2022 avait marqué un tournant historique dans la quête de justice. Mais la grâce présidentielle accordée en mai 2024, avant même que la procédure d’appel ne soit enclenchée, a choqué l’opinion publique et plongé le processus judiciaire dans l’incertitude.
Selon l’article 4 du mémorandum d’accord signé entre la CPI et les autorités guinéennes, toute mesure susceptible de nuire au bon déroulement du procès pourrait entraîner une reprise en main du dossier par la Cour elle-même. La libération de Dadis Camara, pour raisons de santé, pourrait constituer un tel cas de figure.
La CPI en observation, les victimes dans l’expectative
Si la mission de la CPI à Conakry s’inscrit dans une tradition annuelle de suivi, son contexte actuel lui donne une toute autre dimension. Les représentants des victimes, notamment l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH), dénoncent une grâce prématurée et arbitraire, estimant qu’elle viole les principes d’un procès équitable.
« La grâce est censée intervenir après une décision définitive. Ce n’est pas le cas ici », s’indigne Alseny Sall, porte-parole de l’OGDH. L’organisation s’inquiète également d’une indemnisation partielle des victimes : seules 334 personnes ont été reconnues éligibles, sur les près de 500 parties civiles.
En 2022, la présence du procureur de la CPI, Karim Khan, lors de l’ouverture du procès avait été perçue comme un signe d’espoir. Treize ans après les faits, la justice semblait enfin prendre ses responsabilités. Mais la récente décision de Mamadi Doumbouya fragilise cet équilibre fragile entre justice nationale et pression internationale.