Guillaume Soro : itinéraire d’un chef rebelle


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Guillaume Soro n’est plus Premier ministre depuis ce jeudi. Entré à la primature en 2007, le rebelle qui voulait que la Côte d’Ivoire en finisse avec la « dictature », imposée par son ancien mentor Laurent Gbagbo, a eu tout le loisir de se consacrer à son projet. L’Assemblée nationale lui tend aujourd’hui les bras pour une nouvelle expérience politique, à priori moins houleuse. De la rébellion à l’Assemblée nationale, en passant par la primature, parcours d’un rebelle.

Un rebelle à l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire. Pour tout aspirant rebelle, le parcours de Guillaume Soro, qui aime que ce terme soit pris au « sens noble », pourrait s’ériger en modèle. Etre là quand il faut et faire ce qu’il faut pourrait être le leitmotiv de l’homme qui a démissionné ce jeudi de la primature ivoirienne. « Quand je partirai, je saurai quoi faire », affirmait-il début mars lors d’un entretien à la presse ivoirienne et à la BBC. Guillaume Soro semble avoir toujours su quoi faire.

Dans les années 90, l’hebdomaire panafricain Jeune Afrique lui consacrait une couverture prémonitoire. Il insinuait que la Côte d’Ivoire devait compter avec ce jeune homme, devenu leader de la Fédération estudiantine et scolaire de Côte d’Ivoire (Fesci). Il en sera le secrétaire général de 1994 à 1998. Sa voix résonne aussi bien à l’université de Cocody, dans la capitale Abidjan, que dans les murs du palais présidentiel. Guillaume Soro obligera le président de l’époque, Henri Konan Bédié, à recevoir cette jeunesse frétillante, avide de liberté et de démocratie. Mais la victoire a un prix : le militant sera maintes fois arrêté durant cette période. Ce qui lui vaudra le statut de prisonnier d’opinion en 1995, distinction décernée par Amnesty International, et d’être sacré « homme de l’année » dans son pays en 1997.

Leader estudiantin et chef de guerre

A la tête de la Fesci, Guillaume Soro rencontre un homme, qui contrairement à Konan Bédié, leader actuel du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), passera du statut d’allié à celui d’adversaire politique : Laurent Gbagbo, l’opposant et chef du Front populaire ivoirien (FPI). Celui à qui il affirme avoir personnellement annoncé sa défaite après le second de la présidentielle ivoirienne en novembre 2010, fut son mentor. Dans son livre Pourquoi je suis devenu rebelle, Guillaume Soro avoue qu’il avait « un véritable respect » pour Laurent Gbagbo jusqu’en 1998. Cette année-là, Guillaume Soro tourne la page de la Fesci qui a incarné « l’espoir des étudiants et élèves de Côte d’Ivoire avant de sombrer (…) dans l’obscurantisme ». Son divorce avec Gbagbo est également consommé. Il s’envole pour la France et y poursuit ses études. Une maîtrise d’anglais en poche, il s’inscrit de nouveau à la fac d’anglais et en sciences politiques. Son exil hexagonal prend fin en 2000, quelques jours après le coup d’Etat de décembre 1999. Le sergent Ibrahim Coulibaly, dit « IB », qui deviendra plus tard un adversaire de Guillaume Soro, est le meneur du putsch mais il confie le pouvoir au général Robert Gueï. Guillaume Soro est partisan de ce renouveau politique mais prend ses distances quand le général décide d’être candidat à la magistrature suprême.

A la présidentielle de 2000, Robert Gueï est opposé à Laurent Gbagbo, le seul ayant eu l’autorisation de pouvoir se présenter à une élection qu’il va emporter. En 2001, Guillaume Soro s’exile de nouveau, se sentant menacé pour le nouveau président ivoirien. Il côtoie alors au Burkina Faso, au Mali ou encore en France tous ceux qui sont opposés à l’ivoirité et les déçus du régime de Gbagbo, accusé d’être « à la tête d’une dictature violente », d’un Etat « xénophobe et raciste. Pour Guillaume Soro, l’ivoirité est « une véritable arme de destruction massive » qui exclut les nordistes et Alassane Ouattara, devenu le symbole de cette injustice, de la scène politique ivoirienne.

Le 19 septembre 2002, la Côte d’Ivoire connaît son deuxième coup de force en moins de trois ans. Le secrétaire général de la rébellion, le Mouvement patriotique de Côte d’Ivoire (MPCI) n’est autre que Guillaume Soro. Il deviendra ensuite le secrétaire général des Forces nouvelles, mouvement qui fédère les principales factions rebelles nées sur le territoire ivoirien (MJP et MPIGO). En quittant la primature, il n’a pas oublié ses amis rebelles. « Je me dois de faire du reste, une mention spéciale à mes compagnons et frères des Forces Nouvelles (…) qui ont mené le juste et noble combat », dira-t-il déclaré, après une pensée pour sa famille « qui a tant souffert » des absences liées à sa fonction et des tentatives d’assassinat. Guillaume Soro est marié et père de quatre enfants.

Premier ministre des situations de crise

Entre le régime de Laurent Gbagbo et la rébellion menée par Guillaume Soro, les pourparlers et les accords se succèdent sans déboucher sur une sortie de crise. Il faudra attendre l’Accord politique de Ouagadougou, signé le 4 mars 2007 sous l’égide du président burkinabé Blaise Compaoré, pour qu’une issue soit trouvée à l’impasse politique dans laquelle se trouve la Côte d’Ivoire. Jeudi, l’ancien séminariste a évoqué le « miracle » de l’APO et remercié le médiateur de la crise ivoirienne « pour sa clairvoyance politique ». L’ancien Premier ministre ivoirien semble particulièrement fier d’avoir accepté « le dialogue direct » lancé le 19 décembre 2006 par Laurent Gbagbo, notamment quand il fustige le FPI qui refuse de dialoguer avec Alassane Ouattara.

Les portes de la primature ivoirienne s’ouvrent pour le militant estudiantin et l’ex-rebelle, la première fois, le 4 avril 2007. Auparavant, il était ministre d’Etat et ministre de la Communication dans le gouvernement de réconciliation nationale de Seydou Diarra de 2003 à 2005. A partir de décembre 2005, il est nommé ministre d’Etat, de la Reconstruction et de la Réinsertion dans le gouvernement de Charles Konan Banny auquel il succèdera. Sa désignation comme Premier ministre de Laurent Gbagbo est une suite logique de l’APO. Sa mission principale : « la préparation d’une élection présidentielle ouverte, libre et démocratique, puis l’unification des Forces armées des Forces nouvelles (Fafn) et des Forces armées nationales de Côte-d’Ivoire (Fanci)».

Après une cohabitation délicate avec son ancien maître à penser, Laurent Gbagbo, moults revirements et en dehors des délais prévus par l’APO, le premier tour de la présidentielle ivoirienne est enfin fixé au 31 octobre 2010. Guillaume Soro n’est évidemment pas candidat à la présidentielle, conformément à l’APO. Il en sera l’arbitre au-delà même de ses ambitions. Au soir du second tour, il est démissionnaire mais la proclamation des résultats débouche sur une nouvelle crise politique. Alassane Ouattara est déclaré vainqueur par la commission électorale ivoirienne alors que le Conseil constitutionnel concède la victoire au président sortant Laurent Gbagbo.

Sur les conseils de son allié politique Henri Konan Bédié et chef du PDCI, qui suspend l’accord de gouvernement selon lequel la primature devait revenir à sa formation politique, le président élu Alassane Ouattara fait appel à Guillaume Soro. « Est-ce que je devais me réfugier derrière une prétendue neutralité lorsqu’on est en train d’assassiner la démocratie et de voler le verdict des urnes. Je pense que ma nature et ma conscience me l’auraient reproché bien que (…) je prenais le risque de m’engager dans une autre aventure », expliquait Guillaume Soro en janvier 2011. Il était alors venu représenter son pays au sommet de l’Union monétaire et économique ouest-africaine (Uemoa) qui se tenait à Bamako. Egalement ministre de la Défense d’Alassane Ouattara et à la tête de Forces nouvelles, qui intègreront les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) (l’armée d’Alassane Ouattara), il fait de nouveau la guerre à Laurent Gbagbo. Il partira même à l’assaut de la primature aux mains du camp adverse en décembre 2010. Après la chute de l’ancien président ivoirien le 11 avril 2011 et au lendemain de l’investiture d’Alassane Ouattara, Guillaume Soro est reconduit dans ses fonctions de Premier ministre.

Des armes aux urnes

Officiellement, le leader des FN quitte la primature pour assumer sa charge de député RDR (Rassemblement des Républicains, le parti d’Alassane Ouattara) de la circonscription de Ferkessédougou commune, sa ville natale dans le nord de la Côte d’Ivore. Il évoque, au nom du principe de la séparation des pouvoirs, « l’incompatibilité entre (ses) fonctions précédentes au sein de l’exécutif, et celles nouvelles, au sein du législatif ». Officieusement, la députation est la porte de sortie de Guillaume Soro de la primature, réservée au PDCI. Pour cette nouvelle expérience, l’ancien Premier ministre se dit motivé par « la soif d’apprendre » dans un environnement familier, auprès des siens. L’apprenti Guillaume Soro s’offre une formation de représentant du peuple élu à plus de 99% des suffrages. Fini les temps des armes, place aux urnes. Il a profité de son départ de la primature, retransmis en direct par la chaîne publique ivoirienne, pour demander pardon aux Ivoiriens. « On ne peut servir sans nuire », a-t-il argué, avant d’ajouter à l’attention des personnes concernées : « Je prie Dieu pour qu’ils trouvent à travers ces petits mots simples qui viennent du fond du cœur l’apaisement ». En 2002, le mot d’ordre de la rébellion était « de ne toucher aucun civil », indique Guillaume Soro dans son livre. La partition de la Côte d’Ivoire – les rebelles occupaient 60% du territoire (le nord du pays) et avaient érigé Bouaké en capitale – fera de nombreuses victimes civiles, tout comme la récente crise post-électorale.

Si l’ex-rébellion des Forces nouvelles n’a jamais été le bras armé du RDR, selon Guillaume Soro, l’ex-Premier ministre est devenu un fidèle d’Alassane Ouattara depuis qu’il a reconnu sa victoire à la présidentielle de 2010. L’axe Ouattara-Soro est officiellement né. Pendant la crise post-électorale, le second devient le bouclier et le porte-parole du premier. A Bamako, lors du sommet de l’Uemoa, un journaliste de RFI lui demandera d’ailleurs pourquoi le président ivoirien n’a pas effectué le déplacement pour s’entretenir avec ses pairs. La réponse sera une pirouette bien exécutée. En quittant la primature, Guillaume Soro a réaffirmé qu’il serait toujours au service d’un président qui en réalité lui est redevable, comme à Henri Konan Bédié, de sa position.

Serviteur aujourd’hui mais éventuel concurrent demain. Guillaume Soro apparaît comme le fil rouge de la politique ivoirienne de ces quinze dernières années. Celui qu’on surnommait le
« Che » sera le témoin privilégié, sinon l’acteur de bouleversements politiques majeurs. Il a côtoyé ou affronté les trois hommes politiques – Bédié, Ouattara et Gbagbo -, un trio surnommé le BOG autour duquel s’est cristallisé la vie politique de la dernière décennie. Avec chacun, il a développé une sorte de filiation tout en devenant une figure familière pour toute une génération. Il en est conscient : son site de campagne des législatives a été baptisé « Génération Guillaume Soro ». Autant d’atouts qui font de lui un politicien incontournable en Terre d’Eburnie.

L’ex-secrétaire général des Forces nouvelles a d’ailleurs envisagé de créer un parti politique même si le projet ne paraît plus d’actualité. Il évoquait néanmoins, récemment, la mue de l’ancienne rébellion des FN. Un comité de restructuration du mouvement serait à l’œuvre, « en concertation » avec le Rassemblement des houphouétistes pour la paix (RHDP) (l’alliance politique qui a porté Alassane Ouattara au pouvoir, dont le PDCI et le RDR sont membres).

Seule ombre au tableau de Guillaume Soro : l’élargissement des enquêtes de la Cour pénale internationale (CPI) aux « crimes qui auraient été commis entre le 19 septembre 2002 et le 28 novembre 2010 ». Le processus pourrait conduire l’ex-chef rebelle, qui se dit serein, à répondre devant la justice internationale. Car par deux fois, Guillaume Soro aura participé activement à une guerre civile en Côte d’Ivoire.

Son départ de la primature a été orchestré comme une renaissance, un retour à l’ordre établi. Comme si les voix des populations de Ferkéssedougou avaient enfin paré Guillaume Soro, le rebelle, de la respectablité et de la légitimité nécessaires pour occuper d’autres fonctions importantes au sommet de l’Etat. Né le 8 mai 1972 à Kofiplé, dans la sous-préfecture de Diawala (département de Ferkéssedougou), Guillaume Kigbafori Soro aura bientôt 40 ans. Le nouveau député, qui assistera à sa première rentrée parlementaire le 12 mars prochain, pourra faire acte de candidature à la présidence de l’Assemblée nationale. S’il est élu – son parti est majoritaire et semble déjà en ordre de marche pour sa victoire-, Guillaume Soro deviendra le numéro 2 de l’Etat ivoirien. Celui, qui selon l’article 40 de la Constitution ivoirienne, remplace le président en cas de vacance du pouvoir. Autre échéance possible : la présidentielle de 2015.

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