Guerre à l’est de la RDC : l’attentisme de l’Union africaine mis en accusation par Kinshasa


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Thérèse Kayikwamba Wagner
Thérèse Kayikwamba Wagner

Alors que les violences s’intensifient dans l’est de la RDC, la patience de Kinshasa, vis-à-vis de l’Union africaine (UA), s’érode. Lors de la 1321ᵉ réunion du Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’UA, la diplomatie congolaise a publiquement dénoncé une posture de « retenue » jugée incompatible avec l’ampleur de la crise sécuritaire et humanitaire en cours.

Empêtrée dans une guerre sans fin dans sa partie orientale, la RDC supporte de moins en moins l’attitude attentiste de l’Union africaine qui se garde d’intervenir directement dans la résolution du conflit. Ce lundi, la ministre congolaise des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner, a décidé de crever l’abcès.

Une interpellation directe de l’Union africaine

Prenant la parole ce lundi 29 décembre 2025 à Addis-Abeba, la ministre d’État congolaise en charge des Affaires étrangères, Thérèse Kayikwamba Wagner, a livré une intervention sans détour. Face aux représentants des États membres du Conseil de paix et de sécurité, elle a exhorté l’Union africaine à « passer de la retenue à l’action », estimant que le silence relatif et l’absence de mesures coercitives contribuent à l’enlisement du conflit dans l’est de son pays.

Cette sortie diplomatique intervient dans un contexte particulièrement tendu, marqué par la récente attaque de la ville d’Uvira, dans le Sud-Kivu, attribuée aux rebelles de l’AFC/M23. Pour les autorités congolaises, cette offensive constitue une violation manifeste de l’Accord de Washington ainsi que de la résolution 2773, censées encadrer les efforts de désescalade et de stabilisation régionale.

Des violations répétées et une souveraineté fragilisée

Dans son intervention, Thérèse Kayikwamba Wagner a insisté sur la gravité politique et stratégique de ces attaques. Au-delà des pertes humaines et matérielles, elles portent atteinte, selon elle, à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de la RDC. Elle a également averti que la poursuite de telles agressions représente une menace directe pour la stabilité de l’ensemble de la région des Grands Lacs, déjà marquée par des décennies de conflits transfrontaliers, de rivalités géopolitiques et de crises humanitaires cycliques.

Pour Kinshasa, le problème ne réside plus uniquement dans les actions des groupes armés, mais aussi dans l’incapacité des mécanismes africains de sécurité collective à produire des réponses dissuasives crédibles. L’Union africaine, pourtant dotée d’un Conseil de paix et de sécurité et de cadres normatifs clairs en matière de prévention des conflits, apparaît aux yeux des autorités congolaises comme hésitante, voire paralysée par des équilibres diplomatiques internes.

Une crise humanitaire qui s’aggrave dans l’indifférence

Au volet sécuritaire s’ajoute une urgence humanitaire de plus en plus dramatique. Le chef de la diplomatie congolaise a alerté le Conseil sur l’arrivée de plus de 500 000 nouveaux déplacés, venus grossir les rangs d’une population déjà éprouvée par des années de violences dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. Camps saturés, accès limité aux soins, insécurité alimentaire et entraves à l’action humanitaire composent un tableau alarmant.

Pour Kinshasa, l’inaction ou la prudence excessive de l’Union africaine contribue indirectement à cette catastrophe humanitaire. En l’absence de pression politique forte et de garanties sécuritaires sur le terrain, les civils demeurent les premières victimes d’un conflit qui se perpétue dans un climat d’impunité.

L’Union africaine face à ses responsabilités

Dans ce contexte, la RDC appelle le Conseil de paix et de sécurité à assumer pleinement son mandat. Les demandes formulées par Kinshasa sont explicites :

  • imposer des sanctions ciblées contre les acteurs impliqués dans les violations constatées ;
  • renforcer la protection des civils, notamment dans les zones les plus exposées ;
  • garantir un accès humanitaire sans entrave ;
  • et surtout, mettre en place des mesures dissuasives crédibles pour prévenir toute nouvelle agression.

Ces revendications traduisent une frustration croissante face à ce qui est perçu comme un décalage entre les principes affichés par l’Union africaine – « solutions africaines aux problèmes africains » – et la réalité de son action sur le dossier congolais.

Entre diplomatie prudente et crédibilité en jeu

L’attentisme reproché à l’Union africaine s’explique en partie par les divergences internes entre États membres, certains étant directement ou indirectement impliqués dans la crise des Grands Lacs. Cette situation place l’organisation continentale dans une position délicate, tiraillée entre la recherche du consensus et la nécessité d’agir avec fermeté.

Mais pour Kinshasa, l’heure n’est plus aux équilibres diplomatiques. À mesure que les violences s’intensifient et que la crise humanitaire s’aggrave, la crédibilité même de l’Union africaine comme acteur de paix régionale est en jeu. En interpellant publiquement le Conseil de paix et de sécurité, la RDC cherche à provoquer un sursaut, convaincue que l’inaction coûte désormais plus cher que la prise de décision politique.

À l’est du Congo, la guerre se poursuit, et avec elle, une question lancinante demeure : l’Union africaine saura-t-elle transformer ses principes en actes, ou continuera-t-elle d’être perçue comme un spectateur prudent d’un conflit qui menace l’un des cœurs géopolitiques du continent ?

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Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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