Grippe A : la nouvelle menace qui plane sur l’Afrique


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Grippe H1N1
Grippe H1N1

La grippe A, qui touche désormais 20 pays africains, s’installe insidieusement sur le continent. Les Etats n’ont pas toujours les moyens d’acheter les traitements, alors que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime ses propres fonds très insuffisants, pour faire face à une éventuelle épidémie. Même les vaccins en cours de préparation pourraient n’arriver que tardivement sur le continent qui, comme très souvent, doit se retourner vers la solidarité internationale.

Dans sa propagation, le A(H1N1), le virus de la grippe A suit un itinéraire qui, rappelle tristement celui du VIH, à l’origine du sida. Les deux virus font leurs premières victimes loin de l’Afrique. Mais lorsqu’ils l’atteignent, ils en font leur principal foyer de développement. Les premiers signes de la pandémie du sida remontent à la fin des années 1970, à New York et à San Francisco, aux Etats-Unis. Aujourd’hui, 66% des cas de sida sont recensés en Afrique sub-saharienne. On n’en est pas encore là pour la grippe A, qui a été diagnostiqué pour la première fois en avril dernier, au Mexique. Mais son agent, qui mute aussi rapidement que le virus du HIV, se répand rapidement sur le continent, mal préparé à le combattre. Ce qui, de l’avis des experts, fait redouter le pire.

L’Afrique du Sud, le pays le plus touché en Afrique, avec près de 3500 malades, a déclaré son sixième mort lundi. Selon l’OMS, vingt pays africains sont déjà concernés par la grippe A, qui jusqu’ici a fait onze décès sur le continent. Et, alors que les pays occidentaux mettent la dernière main à leurs plans de bataille, le sort des pays africains suscite une grande inquiétude. « Les pays, particulièrement dans le monde en voie de développement où les populations sont plus vulnérables, doivent se préparer à voir davantage de cas graves que ceux actuellement observés », a récemment déclaré Margaret Chan, directrice de l’OMS. Pour l’organisation, les pays pauvres, même s’ils ne sont pas tous logés à la même enseigne, sont les plus exposés à la pandémie. Ils ne sont pas bien armés pour faire face à une telle éventualité.

L’argent fait défaut

L’Egypte par exemple, qui compte 80 millions d’habitants, a choisi de ne pas se lancer tout de suite dans la course à l’achat du Tamiflu, le seul traitement actuellement disponible contre la grippe A en attendant le vaccin. Le ministre Egyptien de la Santé Hatem al-Gabali tente même de minimiser l’impact actuel de la maladie. Interrogé par un quotidien de son pays, il a déclaré : « Le virus, au stade actuel, est très bénin et peut être soigné simplement avec de l’aspirine et quelques jours de repos à la maison ». Hatem al-Gabali mise plus sur les vertus de la prévention. Son pays a ainsi décidé de restreindre les mouvements des populations les plus exposées. Les personnes âgées de moins de douze ans ou de plus de soixante cinq ans se sont vus interdire le pèlerinage à la Mecque cette année, ce qui a provoqué des tensions à l’aéroport du Caire. L’Egypte devrait toutefois acheter cinq millions de doses de vaccin « lorsqu’il sera prêt », a précisé Hatem al-Gabali. Une quantité qui, a-t-il ajouté, pourrait être doublée en cas de nécessité.

Egalement touché par la grippe A, le Cameroun qui compte plus de 18 millions d’habitants, s’est lancée dans une campagne de sensibilisation des populations. Mais côté traitement, ce pays semble bien mal loti. Selon un cadre du ministère camerounais de la Santé, il n’y aurait que 26 000 boîtes de Tamiflu, disponibles aux quatre coins du Cameroun. « Rien n’a été dit sur la possibilité de vacciner les populations », assure un journaliste camerounais. C’est seulement en octobre prochain que les premiers stocks du vaccin, actuellement en préparation, seraient disponibles. Mais l’Afrique pourrait ne pas être servie en priorité. « Les pays riches auront le nouveau vaccin en premier. Et quand nous en recevrons, il y en aura juste assez pour protéger le personnel soignant. C’est déprimant, mais c’est un fait », déclare le Dr Aloudat, un responsable de la Croix rouge interrogé par le site RSR.ch.

Au Burkina Faso, un pays pour l’instant épargné par l’épidémie, la vaccination ne figure pas dans le plan de lutte du gouvernement. Selon le ministère burkinabè de la Santé, des stocks de médicaments ont été disposés, à titre préventif, dans les hôpitaux et les portes d’entrée du pays. Lundi, une simulation de prise en charge d’un malade qui débarquerait d’un avion à l’aéroport de Ouagadougou a aussi été effectuée. Un programme de sensibilisation des populations dans les six langues les plus parlées du pays a été bouclé, mais sa mise en œuvre dépend des financements des partenaires extérieurs comme l’OMS. Difficile dans ces conditions d’acheter des vaccins. « Nous n’avons pas pris en compte ce paramètre dans notre campagne. Nous travaillons comme s’il n’y aura jamais de vaccin », a reconnu au téléphone, René Sebogo, directeur de la communication au ministère de la Santé.

Solidarité internationale et système « D »

A l’OMS, on est conscient des insuffisances africaines face au problème de la grippe A. « Nous avons envoyé des stocks de Tamiflu dans soixante douze pays dont des Etats Africains. Mais cela ne pourrait si la demande augmentait rapidement », indique un responsable de l’organisation. Et si l’OMS ne peut pas apporter plus, c’est parce qu’il lui manque de l’argent. Le budget de son plan de lutte contre la grippe A en Afrique ne s’élève qu’à 493 000 euros. Bien peu, comparé aux besoins. La semaine dernière, à Johannesbourg, où se tenait la Conférence régionale sur la maladie Luis Gomes Sambo, le directeur régional de l’OMS pour l’Afrique, a laissé entendre qu’il manquait 22 millions d’euros, pour répondre efficacement à une épidémie sur le continent. « Il sera difficile d’obtenir des fonds déjà réservés à d’autres programmes de santé publique ». Pour s’en sortir, a-t-il estimé, l’Afrique aura besoin de la solidarité internationale.

Mais même en réunissant les fonds et en achetant les médicaments, le problème ne serait pas entièrement résolu. « Le Tamiflu n’est pas la seule réponse à la grippe A. Beaucoup de pays doivent aussi améliorer leur système de détection du virus », souligne le cadre de l’OMS interrogé par Afrik .com. Une claire allusion aux défaillances des services de santé dans les pays en développement. Alors que le virus A(H1N1) peut rapidement connaître des mutations pour s’adapter, seule l’Afrique du sud possède sur le continent, les équipements adéquats pour suivre son évolution. « Si un virus de ce type se diffusait dans les pays en développement, l’impact serait vraiment énorme », admet Margareth Chan. Les chercheurs aussi partagent cet avis. Pour le Professeur Christopher Murray de l’Université de Harvard, qui a fait une étude comparée entre grippe A et la grippe espagnole de 1918-1919, soixante deux millions de personnes mourraient dans les douze mois, si une épidémie similaire venait à se produire. Les pays pauvres enregistreraient 96% de ces morts. L’heure est grave mais l’OMS ne peut qu’exhorter les pays africains à accélérer leurs efforts dans la mobilisation des ressources pour répondre à leurs besoins.

Prendront-ils la mesure du danger ? En attendant, certaines organisations non gouvernementales, comme la Fédération internationale de la Croix rouge (FICR), ont décidé de s’attaquer à la grippe A avec leurs moyens limités. La FICR a ainsi lancé des campagnes de prévention dans vingt pays, dont douze en Afrique. Pour cela, cette ONG a confectionné des kits de prévention illustrés, et traduits en plusieurs langues. Selon le site RSR.ch, ces kits « proposent des comportements simples pour soigner un proche et ralentir la propagation : hydratation, contrôle de la fièvre, isolement, hygiène de base, éviter les lieux surpeuplés. Et lorsqu’il n’y pas d’eau ni de savon, apprendre que le sable ou la cendre font aussi l’affaire pour se laver les mains ». Privés de vaccin, sans Tamiflu, ces gestes simples pourront sauver quelques Africains.

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