
Dans l’ancienne capitale portuaire des Pays-Bas, un entrepôt de 1923 renaît sous les traits d’un musée révolutionnaire. Fenix, consacré aux migrations humaines, transforme l’histoire industrielle de Rotterdam en laboratoire d’empathie et de compréhension interculturelle. Une métamorphose architecturale et culturelle qui redéfinit notre rapport aux mouvements de population.
Le 16 mai 2025, après cinq années de chantier titanesque, le gigantesque entrepôt portuaire Fenixloods I a rouvert ses portes sous une identité totalement renouvelée. Érigé en 1923 sur la presqu’île de Katendrecht, ce bâtiment emblématique abrite désormais Fenix, un musée d’un genre nouveau entièrement consacré aux migrations humaines.
Cette renaissance spectaculaire, orchestrée par la fondation philanthropique Droom en Daad et dirigée par Anne Kremers, ancienne directrice adjointe du prestigieux Rijksmuseum, redonne vie à un lieu chargé d’histoire d’où plus de trois millions d’Européens ont jadis embarqué vers l’Amérique avec la compagnie Holland-America Line.
Une prouesse architecturale au service de la mémoire collective
La transformation de ces 16 000 m² de béton brut en espace muséal représente un défi architectural remarquable. La fondation a confié cette mission délicate à MAD Architects, marquant ainsi la première commande culturelle européenne du célèbre bureau chinois dirigé par Ma Yansong. Les architectes ont fait le pari de préserver l’âme industrielle du lieu : poutres rivetées d’époque, rails de grues suspendus au plafond, volumes imposants qui témoignent du passé portuaire. Simultanément, ils ont créé de vastes espaces baignés de lumière naturelle, transformant la rudesse industrielle en écrin contemporain.

Au-dessus du bâtiment s’étend un toit végétalisé de 6 750 m² qui assure l’isolation thermique tout en créant une prairie suspendue offrant une vue imprenable sur la Meuse. Cette approche écologique s’inscrit dans la politique de développement durable de Rotterdam, ville pionnière en matière d’adaptation climatique.
Au cœur de cette architecture repensée trône la « Tornade », se veut le symbole du mouvement migratoire. Ce double escalier hélicoïdal de 30 mètres de hauteur, habillé de 297 panneaux d’acier poli soigneusement agencés, traverse les trois niveaux du musée pour culminer sur un belvédère perché à 24 mètres d’altitude. En gravissant ces 550 mètres de marches, les visiteurs vivent une expérience immersive qui reproduit métaphoriquement le parcours sinueux de l’exil : bifurcations inattendues, croisements de destins, points de vue multiples sur l’histoire et le présent.
Un parcours muséal révolutionnaire pour comprendre les migrations
Fenix inaugure son ouverture avec trois expositions majeures qui redéfinissent l’approche muséographique des phénomènes migratoires. « Suitcase Labyrinth » transforme 2 000 valises authentiques en un dédale sonore saisissant où résonnent les témoignages poignants de leurs propriétaires. Chaque bagage raconte une histoire personnelle, créant une symphonie d’expériences humaines.
« The Family of Migrants » présente 194 photographies provenant de 55 pays différents, établissant un dialogue contemporain avec l’exposition historique « The Family of Man » présentée au MoMA en 1955. Cette approche universaliste révèle les constantes anthropologiques du déplacement humain à travers les époques et les continents.
« All Directions » rassemble 150 œuvres d’artistes contemporains de renommée internationale tels que Francis Alÿs, Cornelia Parker, Do Ho Suh ou Yinka Shonibare. Ces créations interrogent avec finesse et poésie les notions de départ, d’arrivée et de circulation, offrant un regard artistique sur les mutations identitaires liées aux migrations.
Ces parcours mêlent art contemporain, objets personnels chargés d’émotion, cartographies historiques, films documentaires et archives portuaires inédites. L’objectif affiché : démontrer que les migrations sont multiples, atemporelles et profondément intimes avant d’être réduites à de simples données statistiques ou enjeux politiques.
Le musée examine les flux migratoires dans toutes leurs dimensions : les traversées transatlantiques des Hollandais partis tenter leur chance au Nouveau Monde, l’arrivée plus récente de communautés originaires d’Asie, d’Afrique ou d’Europe de l’Est, sans oublier les nouvelles mobilités climatiques et virtuelles qui caractérisent le XXIe siècle.
Le musée rappelle que derrière chaque valise anonyme se cache un visage humain : parfois celui de nos propres ancêtres oubliés, parfois le nôtre dans un futur incertain, toujours celui d’un être en mouvement à la recherche d’un avenir meilleur.