Femmes de plume, puissance de femmes


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Leurs héroïnes ont grandi et vivent dans l’adversité. Calixthe Beyala dans Le Roman de Pauline, Marie Dô dans Fais danser la poussière et Marie Ndiaye dans Trois femmes puissantes reconstituent avec leurs mots la résistance de femmes – Norah, Fanta, Khady Demba, Pauline et Maya – en milieu hostile. Entre autres, parce qu’il suppose, pour trois d’entre elles, de se construire dans l’ombre d’un père absent et d’une mère blessée.

Trois femmes puissantes, de Marie Ndiaye

trois_femmes.jpgNorah, Fanta et Khady Demba. La dernière a travaillé comme bonne à tout faire chez le père de la première et est la cousine de la deuxième. Norah, 38 ans, s’est construite autour de l’abandon de son père sénégalais qui a quitté sa française de mère. Avocate, elle retourne au Sénégal pour tenter de sauver son frère, Sony, emprisonné pour le meurtre de sa belle-mère. La jeune femme est prête à tout pour sauver son frère, notamment à affronter son géniteur, « cet homme dangereux ». A surmonter ce sentiment à mi-chemin entre la dévotion et la répulsion qu’elle éprouve pour lui. Cet homme, le seul capable de faire ressurgir en elle un irrépressible sentiment d’humiliation. L’humiliation dans laquelle baigne Rudy Descas, époux de Fanta. Elle fut sa collègue lorsqu’il était professeur de lettres au lycée Mermoz de Dakar, au Sénégal. Renvoyé après une altercation avec des élèves dans l’établissement, il est revenu en France où tout lui rappelle sa misérable vie de rejeton d’un assassin. Le stoïcisme de Fanta est le miroir de sa propre lâcheté. Cette jeune femme, pleine de vie, à qui il avait promis par omission une vie lumineuse pour finalement l’enfermer dans « une prison d’amour lugubre et froide ». Fanta est une boxeuse qui renvoie Rudy dans les cordes de son âme. Khady Demba, elle, fut aussi une épouse. Désormais veuve et sans enfant, sa belle-femme n’a qu’une envie : se débarrasser d’elle. Khady sera donc envoyée chez sa cousine Fanta en France avec une lettre de mission : « Quand tu seras là-bas, chez Fanta, tu nous enverras de l’argent ». Khady tente alors l’aventure de l’immigration clandestine et rencontre. Lamine qui deviendra son compagnon d’infortune.
Les Trois femmes puissantes de Marie Ndiaye, Goncourt 2009, sont des femmes émotionnellement abusées. Souvent par les hommes de leurs vies. Elles n’ont pour elle que leur dignité, mille fois brisé, mais toujours reconstituée grâce à une inaltérable foi en elles-mêmes. Le champ lexical et la prose sinueuse de Marie Ndiaye rendent admirablement compte de l’état d’esprit de ses personnages. Les atermoiements de Norah, le malaise que Rudy ressent face à Fanta ou encore le courage buté de Khady engloutissent le lecteur. La puissance narrative de Marie Ndiaye fait parfaitement écho à celle de ses héroïnes tourmentées qui marchent néanmoins vers la victoire. Celle qui restaure.

Trois femmes puissantes (2009)

Editions Gallimard, 318 p.

Le Roman de Pauline, de Calixthe Beyala

Le_roman_de_pauline.jpgPauline, 14 ans, est une banlieusarde, scolarisée mais qui peine à lire. Fille d’une mère que l’assistance sociale est obligée de rappeler à l’ordre et sœur d’un frère délinquant, Fabien, qui traîne souvent à Pantin avec son petit ami Nicolas. Deux petites frappes qui ne doivent leur liberté qu’à leur statut de mineur et aux mensonges de Pauline. La vie de l’adolescente est comparable au désordre qui règne dans la chambre de sa mère où des sacs poubelle font office d’armoire. Cette Pauline-là est une cousine française de Precious, l’héroïne de l’écrivaine américaine Sapphire, auteur de Push, et de Lee Daniels qui a adapté le livre au cinéma. Les abus sexuels et l’obésité en moins. La maman de Pauline, « bien blanche et bien française » se remet difficilement de sa rupture avec son dernier petit ami, Dieudonné, dont elle accuse sa fille d’être à l’origine. Délaissée par sa mère et « orpheline » de père, la «négresse» (elle est métisse), comme l’appelle son petit ami, retrouve avec Mademoiselle Mathilde, son professeur de français, une figure maternelle de substitution qui lui fait découvrir Le livre de ma mère d’Albert Cohen. Auprès de la jeune femme, Pauline se métamorphose. Les dialogues de Calixthe Beyala sont souvent surréalistes – « T’es vraiment positive, toi… Tu serais capable d’investir en Palestine ! T’es tellement optimiste que tu mérites une ovulation…. dit Nicolas à Pauline » – reflètent bien la déstructuration du quotidien de Pauline. Comme toujours, la plume de Beyala est acerbe. Surtout sur la vie dans les banlieues françaises dont la description, selon la narratrice, se résume parfois à une simple caricature. « La politique telle qu’on la perçoit, telle qu’est perçue dans les banlieues, m’ennuie et les problèmes raciaux m’ennuient encore plus, affirme Pauline. Je me demande ce qu’on serait devenus à Pantin (…) si nous n’avions pas la possibilité de ressasser les insultes (…) et les complots dont nous sommes convaincus d’avoir été les dignes victimes. Ils excusent toutes nos faiblesses. […] C’est de la faute de l’esclavage ou de la colonisation. Toute cette bouillie a un responsable, le Blanc (…), mais ce constat ne m’empêche nullement de penser qu’on ne cherche pas à s’en sortir ». Pour Pauline, la vie en a décidé autrement. La lumière semble vouloir s’infiltrer dans sa vie.

Le Roman de Pauline (2008)

Editions Albin Michel, 214 p.

Fais danser la poussière, de Marie Dô

Fais_danser.jpgSe construire face à un mur. D’abord celui érigé par une mère qui souhaite ne jamais plus se rappeler des circonstances de votre naissance. Et pour cause : Rose s’est amourachée d’un Africain qui lui a fait un enfant pour l’abandonner ensuite. La mère de Maya tente d’effacer la négritude de sa fille comme on le ferait d’une vilaine tache. Puis autre barrière infranchissable, celle générée par la (sa) différence. Marie Dô, qui romance sa propre histoire, a l’art d’écrire la gravité avec légèreté, par petites touches. Comme ses petits pas de danse salvatrice, ses séjours à Auzits, dans le Sud de la France, village du bonheur où Camille et Alice, la tante de sa mère, l’accueilleront durant toute son enfance. D’autant plus qu’il n’est pas toujours aisé de trouver sa place dans la nouvelle famille blanche qu’a réussi à recomposer sa mère en épousant Charles André. « Je n’en peux plus de me battre (…), prouver au monde que j’ai le droit d’exister (…) Je veux être en paix, qu’on m’aime telle que je suis, métisse, imparfaite, nerveuse, fragile. », s’insurge la narratrice. La danse, qui « mange » sa vie, et le prestigieux ballet afro-américain d’Alvin Ailey lui ouvriront les portes de l’Amérique et du monde. Pourtant dans la vie de Maya, reste un point d’ombre : Suleyman, le père. Mais avec lui, « pas de passé commun à évoquer, un avenir incertain. Une certitude néanmoins : Maya a fait la paix avec son métissage en permettant à la vie de la « réparer ». Le témoignage de Marie Dô sur la nécessité de clarifier et d’assumer ses identités est une leçon de vie. Cependant, Fais danser la poussière, récemment adapté à la télévision, est avant tout une jolie incursion dans un univers pétillant de vie et d’amour filial.

Fais danser la poussière (2006)

Editions Plon, 227 p.

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