Et si la presse locale était l’avenir de l’info ? L’avis de Marc-Alexis Roquejoffre


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Marc-Alexis-Roquejoffre - Journalisme local

Les réalités locales peinent à trouver leur place dans le tumulte médiatique. Pourtant, ce sont elles qui façonnent la vie quotidienne de millions de personnes, que ce soit à Parakou, à Dakar, à Bamako ou dans le Massif central. Ici comme là-bas, la presse de proximité tente de rester debout. Elle informe, elle raconte, elle relie, souvent avec peu de moyens, parfois dans l’indifférence.

Pour éclairer les enjeux auxquels sont confrontés les médias locaux dans l’espace francophone, nous avons rencontré Marc-Alexis Roquejoffre. Journaliste et communicant, il a dirigé plusieurs médias ancrés dans les territoires et fondé une école de journalisme et de communication qui a son siège à Vichy. Fort de plus de trois décennies d’expérience, il partage ici son regard sur l’avenir d’une presse de terrain, entre urgences démocratiques et défis économiques.

Dans de nombreux pays francophones, les journaux de proximité ferment, les radios locales peinent à survivre, et les jeunes journalistes préfèrent viser les grandes rédactions nationales. Est-ce que la presse locale est en train de mourir, ou de se transformer ?

Ce n’est pas la presse locale qui est en train de mourir, mais plus exactement, c’est la seule presse qui se transforme et qui peut se transformer à condition qu’elle axe cette transformation sur les points suivants. D’abord un point de proximité. Il faut faire de l’information local, de l’information de proximité. C’est une question de choix. Si le maire d’une ville annonce un événement, on peut envisager d’en parler ou d’en témoigner. Mais le mieux sera de voir comment on peut proposer un angle original pour rendre compte de ce qui est annoncé. Nous ne devons pas, nous journalistes de proximité, nous contenter de toujours faire parler les mêmes ; il faut savoir faire évoluer les angles et les témoignages.

Une autre aspect important de cette proximité est l’acceptation de la logique du digital et du tout digital. J’entends par là le cross-médias, c’est-à-dire à la fois l’écrit, l’oral, les images et la vidéo.

Du côté africain comme du côté français, on entend souvent dire que “le local, c’est le terrain, mais pas le prestige”. Pourquoi cette presse est-elle encore perçue comme mineure, alors qu’elle touche les populations au plus près ? Faut-il revoir totalement la manière dont on valorise le journalisme local ?

C’est vrai que pendant des années, le local ou le terrain ont été considérés comme un peu subalternes ou seconds par rapport à l’aristocratie du journalisme dit de capitales, capitales de pays. Pour autant, on s’aperçoit que le journalisme de capitales a entraîné une surabondance du copier-coller. Les grandes rédactions, que ce soit en Europe ou en Afrique, se contentent de se copier et de copier mutuellement les sujets comme si la vie du Sénégal, celle du Bénin, celle de l’Angleterre, celle de la France se limitait aux seules capitales que seraient dans ces cas-là Dakar, Porto-Novo, Londres et Paris. Le monde n’existe pas uniquement dans ces périmètres. Il va bien au-delà, et on on sait l’importance de miser sur le local pour faire évoluer l’information et surtout le rapport à ce qui nous entoure. D’où l’importance de créer des formations journalistiques ou d’intégrer dans les formations journalistiques cette notion de proximité, de local, ou peut-être même de localiers comme il en a été question à une certaine époque. Alors, je suis à la fois déjà âgé et de l’autre, je ne suis pas suffisamment vieux pour avoir connu cette période, mais la période des localiers dans le journalisme était très importante. Et l’aristocratie de cette presse dite de capitales est en train de s’éteindre au profit d’une conception plus locale de l’information.

Vous formez des journalistes à Vichy, en France. Pensez-vous que les écoles, les médias et les institutions francophones devraient davantage coopérer pour professionnaliser la presse locale en Afrique ? Que manque-t-il aujourd’hui pour que cette coopération devienne un levier fort ?

A l’IFIC (Institut de Formation à l’Information et à la Communication), nous voulons absolument développer cette coopération entre les professionnels de la presse, que ce soit en Afrique ou ici en France et en Auvergne. J’en veux pour preuve les coups de téléphones de confrères dits de presse de capitales par définition et dont je parlais à l’instant, qui vienne vers nous. J’ai été appelé par une journaliste du service international du journal Libération ou par le fondateur de Euronews Africa qui ont découvert l’existence de l’IFIC et qui s’y sont intéressé. Et c’est bien cette notion de proximité qui les a intéressée et qui a fait qu’aujourd’hui nous sommes en train de les accueillir dans notre équipe pédagogique. Nous avons, par rapport à l’Afrique, cette chance d’être dans une logique francophone. Nous avons une langue commune qui fait que nous pouvons nous comprendre. Et même si nos cultures et nos pratiques sont parfois différentes, nous pouvons nous écouter, nous interroger, nous répondre, témoigner et nous pouvons apprendre les uns des autres. La francophonie est une chance inouïe pour le développement de ces formations dites de journalisme de proximité et là-dessus nous allons nous battre à l’IFIC pour faire exister ces coopérations.

Beaucoup d’écoles de journalisme, en Afrique comme en France, forment à la “grande presse”, mais négligent les réalités de terrain. Comment réconcilier formation académique et ancrage local ? Est-ce que l’on forme encore des journalistes capables d’écouter, de raconter, d’être là où personne ne va ?

J’ai coutume de parler de l’approche 70/30 lorsque j’évoque notre pédagogie à l’IFIC. Chez nous, c’est 30 % de théorie pour 70 % de pratique. Dans bon nombre de formations, ce serait plutôt 90 % de théorie pour 10 % de pratique. Pour comprendre le monde et les réalités de terrain, rien ne vaut l’expérience. L’expérience de nos paires qui peuvent témoigner et illustrer ce qu’ils ont fait depuis des années pour recueillir des témoignages, pour rendre compte des réalités, puis inviter également les apprenants à comprendre par eux-mêmes, à s’interroger et à être curieux. Nous devons renforcer les capacités des journalistes que sont l’écoute, le récit, la présence et le choix d’interviewer les personnes que l’on ne met jamais en valeur parce que c’est plus compliqué, parce qu’il faut les convaincre, parce qu’il faut se rendre jusqu’à elles alors qu’il est toujours très simple de tendre le micro à un ministre, à des maires, à des autorités qui ne demandent qu’une chose : exister médiatiquement. Le rapport au terrain passe par le choix que l’on va faire de donner la parole à tel ou tel autre. On dit de nous, journalistes, que nous avons un pouvoir. Nous n’avons pas de pouvoir. Le seul pouvoir que nous ayons est celui de choisir à qui on tend nos micros, nos caméras, nos colonnes parce que telle ou telle autre personne va nous paraître différente et intéressante.

Qu’ils soient en Côte d’Ivoire, au Sénégal ou en France, les médias locaux manquent de financements. La publicité est rare, les abonnements difficiles. Peut-on encore rêver d’un modèle viable pour la presse de proximité ? Ou faut-il complètement réinventer son économie ?

La question du financement des médias est très importante et pour l’instant, effectivement, les modèles économiques tels que nous les avons connus sont en train de pérécliter. La publicité n’est plus le seul levier pour faire exister un média. Il est peut-être intéressant de se pencher vers le netlinking pour faire exister ou financer un média. Il est peut-être intéressant de se dire que certaines entreprises, pas forcément de grandes entreprises, qui veulent se faire connaître, gagneraient à soutenir des médias plutôt indépendants qui vont promouvoir sur sept jours cinq sujets dits d’actualité et deux sujets qui seraient directement liés au domaine d’activité de l’entreprise. C’est un nouveau modèle économique qui peut rendre service à une presse de proximité et à une presse plus ancrée dans la réalité de terrain.

À Afrik.com, nous recevons de nombreux témoignages de jeunes journalistes qui veulent créer leur propre média local, mais hésitent face aux obstacles. Quel message avez-vous pour eux ? Et surtout : par où commencer quand on veut s’engager pour un journalisme de terrain ?

Je dirai trois choses fondamentale. La première, c’est la formation. Il ne faut pas hésiter à se former. Il existe des formations en ligne qui peuvent être pratiques et qui ne coûtent pas cher. Il y a la formation à travers les rencontres que l’on va avoir avec tel ou tel paire dans le journalisme ou la communication institutionnelle et qui vont nous permettre d’apprendre à condition de l’écouter, de lui poser des questions très rapidement parce que nos paires n’ont pas forcément beaucoup de temps à consacrer à quelqu’un qui va les écouter. Celui qui va devenir curieux, qui va montrer une appétence à comprendre les choses, aura la possibilité d’intéresser un paire ou un aîné dans le métier.

Je dirai ensuite que pour compléter les formations en ligne et les rencontres, il y a les formations en présentiel comme celles que nous proposons à l’IFIC où les jeunes peuvent apprendre à développer un savoir-faire tout autant qu’un savoir-être. Et puis je dirai qu’aujourd’hui les réseaux sociaux permettent de faire exister votre vision du monde, votre vision sur les choses à condition de faire des posts sans prétention qui vont vous offrir une certaine exposition. Il ne s’agit pas de dépenser beaucoup d’argent, mais il y a un maître-mot pour que ces posts aient un intérêt et que l’intérêt grandisse : c’est la régularité. La régularité, cela veut dire presque tous les jours un post et à une heure précise.

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