Espionnage présumé : le Maroc accusé de surveiller des opposants rifains en Allemagne


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Youssef El Asrouti
Youssef El Asrouti

L’Allemagne accuse un ressortissant marocain d’avoir espionné des militants du Hirak du Rif pour le compte des services secrets de Rabat. Une affaire qui confirme l’ampleur de la surveillance des opposants politiques exilés par le gouvernement de Mohammed VI.

Youssef El Asrouti a été arrété à l’aéroport de Francfort le 15 janvier 2025 dans le cadre de la lutte contre l’espionnage étranger en Allemagne. Ce Marocain de 37 ans, extradé d’Espagne où il était détenu depuis le 1er décembre 2024, fait face à des accusations d’espionnage pour le compte de la Direction générale des études et de la documentation (DGED), les services de renseignement extérieur du Maroc.

Un système de surveillance méthodique

L’acte d’accusation déposé le 5 juin 2025 devant le tribunal de Düsseldorf dépeint un système de surveillance sophistiqué. Entre janvier 2022 et fin 2024, El Asrouti aurait systématiquement collecté des informations sur les militants du Hirak du Rif établis en Allemagne, particulièrement dans la région de Düsseldorf, épicentre historique de cette diaspora politique.

Son mode opératoire s’apparentait à celui d’un agent infiltré classique. Il participait aux rassemblements publics, s’immisçait dans les groupes privés des réseaux sociaux et exploitait ses relations personnelles pour constituer des dossiers détaillés sur plusieurs dizaines d’opposants. Ces informations, accompagnées de photographies et de plannings de réunions, étaient ensuite transmises à ses contacts lors de rendez-vous organisés dans différentes capitales européennes : Bruxelles, Rotterdam ou Barcelone.

L’enquête révèle qu’El Asrouti ne travaillait pas seul. Il aurait collaboré avec Mohamed A., déjà condamné en 2023 à dix-neuf mois de prison avec sursis pour des faits similaires, ainsi qu’avec d’autres agents non encore identifiés. Ce réseau structuré bénéficiait de compensations financières régulières, bien que modestes selon les procureurs.

Un profil complexe aux motivations obscures

Le parcours de Youssef El Asrouti soulève de nombreuses questions. Les autorités allemandes le présentent comme un agent recruté, motivé par la protection consulaire et les avantages financiers. Rabat rejette catégoriquement ces accusations. Une source sécuritaire marocaine, citée par l’AFP, qualifie l’homme d’« activiste radical, sans aucune attache avec nos services ».

Cette défense officielle contraste avec certains éléments biographiques troublants. Avant son arrestation, El Asrouti évoluait dans le cercle des « Républicains rifains », mouvement aux revendications séparatistes. En 2018, il avait même renoncé publiquement à sa nationalité marocaine pour appuyer une demande d’asile. Ces éléments alimentent l’hypothèse, défendue par ses soutiens, d’une tentative de neutralisation politique plutôt que d’un véritable engagement en faveur du régime marocain.

Un cadre juridique aux lourdes conséquences

L’article 99 du Code pénal allemand, qui réprime l’espionnage pour le compte d’une puissance étrangère, prévoit des sanctions allant de six mois à cinq ans de prison. Cette peine peut être portée à dix ans dans les cas graves, notamment lorsque l’accusé agit de manière professionnelle ou met en danger la sécurité de personnes.

Le tribunal supérieur de Düsseldorf doit fixer d’ici l’automne 2025 la date d’ouverture du procès. La défense d’El Asrouti conteste l’absence de preuves matérielles directes et dénonce « une cabale politique nourrie par des dissensions internes au mouvement rifain ».

Cette affaire illustre la méfiance croissante des autorités européennes envers les activités d’espionnage menées par diverses puissances étrangères, qu’il s’agisse du Maroc, de la Chine ou de la Russie. Elle rappelle également les exilés politiques doivent être protégés en Europe.

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Ali Attar est un spécialiste reconnu de l'actualité du Maghreb. Ses analyses politiques, sa connaissance des réseaux, en font une référence de l'actualité de la région.
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