Diplomatie : Washington et Kigali se rapprochent


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Kigali et Washington se rapprochent

Malgré les tensions persistantes autour de la crise dans l’Est de la RDC, les États-Unis et le Rwanda amorcent un rapprochement stratégique inattendu. Derrière la reprise du dialogue, une déclaration de principes, des enjeux économiques majeurs et une diplomatie américaine qui réinvente ses alliances dans les Grands Lacs.

Après une période de vives tensions liées à la crise sécuritaire dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC), les États-Unis et le Rwanda amorcent un spectaculaire rapprochement diplomatique. Sanctions, désaccords sécuritaires, accusations d’ingérence… autant d’éléments qui semblaient refroidir leurs relations. Pourtant, en quelques semaines, Washington et Kigali ont signé une déclaration de principe, posé les jalons d’un dialogue bilatéral stratégique et entamé des discussions séparées avec la RD

Un virage diplomatique après les sanctions américaines

En février dernier, les États-Unis frappaient fort en sanctionnant James Kabarebe, ministre rwandais de l’Intégration régionale, pour son rôle supposé dans le soutien au mouvement rebelle M23. Cette décision marquait une rupture nette avec Kigali, longtemps considéré comme un partenaire stable et stratégique dans la région. Mais quelques semaines plus tard, la posture américaine semble s’être adoucie. Le 28 avril, un « dialogue bilatéral stratégique » a été officiellement lancé entre les deux pays, en présence du ministre rwandais des Affaires étrangères, Olivier Nduhungirehe. Objectif affiché : renforcer la coopération dans les domaines politique, économique, sanitaire et sécuritaire.

Derrière ce regain d’entente, les intérêts américains dans les minerais stratégiques de la région des Grands Lacs semblent peser lourd. La signature, à Washington, d’une déclaration de principes entre la RDC et le Rwanda, témoigne d’un désir pressant d’encadrer l’exploitation des ressources minières dans un cadre régional. Cette dynamique viserait à sécuriser l’accès des entreprises américaines aux richesses du sous-sol congolais, en encourageant la création d’un espace économique intégré. Washington joue donc sur plusieurs tableaux, en soutenant un processus de paix tout en assurant ses propres intérêts géoéconomiques.

Une coopération qui inquiète Kinshasa et ses soutiens

Si l’accord de principes du 25 avril est présenté comme une avancée diplomatique, il suscite de vives réserves à Kinshasa. Selon le professeur Martin Ziakwau, expert en relations internationales, l’accord ignore un point fondamental : l’agression du territoire congolais par le Rwanda, documentée par le Groupe d’experts de l’ONU. Le texte fait abstraction du contexte de violation de souveraineté, préférant insister sur une logique sécuritaire partagée et sur la lutte contre les groupes armés, comme les FDLR. Pour de nombreux observateurs, ce glissement sémantique pourrait légitimer indirectement une nouvelle présence militaire rwandaise en RDC.

La vision américaine semble aller au-delà d’une simple pacification de la région. Le projet soutenu par Washington entend créer un cadre d’intégration économique entre le Rwanda et la RDC, en s’appuyant sur des structures comme la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE) ou le COMESA. Cependant, une telle intégration pourrait se faire au détriment de la souveraineté congolaise. En effet, l’absence de distinction claire entre ressources congolaises et rwandaises pourrait favoriser Kigali, souvent perçu comme plus stable, plus attractif et mieux préparé à accueillir les investissements internationaux.

Une paix durable ou un marché de dupes ?

Ce rapprochement entre Washington et Kigali pourrait-il relancer un véritable processus de paix dans la région ? Rien n’est moins sûr. Le scepticisme domine à Kinshasa, où l’on craint une marginalisation des souffrances vécues dans l’Est du pays, au profit d’un agenda économique. Le peuple congolais, marqué par des décennies de violences, attend des garanties claires sur la souveraineté de son territoire et la justice pour les victimes. L’accord de principe signé à Washington, loin de rassurer, soulève une question fondamentale : peut-on bâtir une paix durable sans reconnaître d’abord les blessures profondes et les responsabilités politiques ?

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