Congo : Sape et Sapologie


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Drapeau du Congo
Drapeau du Congo

Depuis des lustres, la passion pour les vêtements est liée aux Congolais. J’ai encore en mémoire les festivités du 14 juillet, lesquelles avaient perduré des années après l’indépendance du Congo. C’était toujours une occasion de « Sape », hormis les dimanches à l’église, les retraits de deuil, les anniversaires, etc.

Les parents nous habillaient ; et cet acte précieusement répété a dû avoir agi comme un transfert de mentalité : un esthétisme qu’on pourrait aujourd’hui nous reprocher comme une vanité identitaire.

Aussi, au-delà de toute vulgarité, la « Sape » n’est nullement un sujet superficiel, tant certaines manifestations ou attitudes au Congo interrogent notre rapport à la mode, du moins à l’élégance.

Il est possible, qu’au regard des supports visuels divers ayant glosé sur le phénomène de la « Sape », qu’on soit amené à reconnaître que les meilleurs ne soient toujours pas là, ce qui malheureusement dépeint sur une communauté autrement de qualité, rassurons-nous.

Ils sont évidemment bien nombreux ceux pour qui la « Sape » est un art consommé ; un art qui évoque un style ou un mode de vie et vous disent que ce n’est pas que dégaine.

Qu’est-ce que donc la Sapologie ? Certainement pas un discours sur la Sape, à en croire le suffixe de ce vocable nouveau. La fantaisie étant la seule limite à la créativité, la Sapologie qui découlerait de la Sape dont le domaine de l’art ou de la récréation n’autoriserait-elle pas cette terminologie pour l’artiste qu’il y a eu soubassement dans sa passion pour la mode ? Une approche qui s’apparente au culte du BEAU ? Ce qui impose que ce soit ordonné, ordonnancé ou tout simplement harmonieux.

Loin de toute superficialité présupposée, on est en face d’un phénomène revendicatif par les côtés, avec cette prise de pouvoir dans la rue, dont les Sapologues – si tenté qu’on peut employer cet adjectif – sont les monarques ! Toute une marginalité sociale et esthétique qui participe d’une subversion douce et ironique.

Malgré tout, ce sont des dandies, avec leur problématique existentielle. Ils sont là. Ils le disent ; ça doit se voir et se savoir…

Nous assistons depuis fort peu à la culturisation d’un mouvement qui timidement tend à prôner un dandysme militant, dont l’objectif serait d’éveiller les consciences sur le monde, sa marche et sa gouvernance. Le Sapeur n’étant par essence pas mauvais, la Sape aura eu pour nos jeunes Etats à bâtir avec tous les pseudos problèmes de régionalisme et de tribalisme, un impact de sociabilité et de civilité. Lien et lieu tribal autour du « Chiffon » induisant une fraternité palpable.

Vivement que la pratique de la Sape ne soit pas béatement érigée en projet de vie ! Elle doit au contraire amener à construire des choses, à entreprendre…

En somme, Sapeur pour rêver sa vie en se donnant les moyens de vivre ses rêves.

La Sape, de Brazza à Kinshasa

Quiconque a été au Congo, notamment à Brazzaville a pu voir cette fresque qu’offre l’avenue Matsoua, dans le quartier de Bacongo. Une artère qui est occasionnellement une scène où se croisent et s’entrecroisent des Sapeurs de 7 à 77 ans.

Ce qui n’enlève en rien à l’engouement pour le « Chiffon » à Poto-Poto et à Pointe-Noire. C’est une faiblesse nationale, cela va sans dire…

Les jeunes générations semblent avoir pris le pas sur les anciennes, pour une passion qui leur est venue des Colons, et dont ils ont hérité les codes vestimentaires. Une appropriation qui les distingue un tant soit peu d’autres Africains à ce sujet.

Il est bien entendu que lorsque nous disons Congo, nous sommes tentés de l’écrire avec un « K » pour désigner les deux Congo réunis ; les deux peuples étant faits du même bois. Ceci nous rappelle les temps lointains où Léopoldville, cité ouvrière, accueillait des travailleurs la semaine. Puis le week-end venu, ceux-ci se transformaient en « ambianceurs » guindés dans les bars et dancings de Lipopo, quand ils ne s’étaient pas retrouvés à Poto-Poto Chez FAIGNOND.

Voyez-vous, c’est une passion qu’ils ont en partage, la continuité ethnique d’un pays à l’autre des deux rives du fleuve Congo ayant aidé à la contagion.

Le décor planté, commencent alors des défilés informels pendant lesquels en plus de la couleur, une certaine faconde est de mise pour s’imposer à tout prix !

Le désoeuvrement a paradoxalement amplifié une addiction dans le prolongement d’un fil ininterrompu, pour conjurer une misère, un chômage de plus en plus rude. Un affect qui soigne.

C’est un exutoire poussant à la pratique de la foi pour Dieu dont on attend la solution, l’Etat ayant failli. Un pied de nez à la misère que l’on noie dans l’alcool pour les plus fragiles et dans le « Chiffon » avec un brin d’ironie chez les dandy congolais.

On a par ailleurs beaucoup gaussé sur le leadership des uns ou des autres sur la « Sape ». Deux Congo et une lumière à se partager. Et pourtant le débat n’a pas lieu d’être, quant à penser que la pratique a nourri deux écoles, deux styles.

Nos codes qui avaient été les mêmes aux indépendances ont fini par diverger dans les années 65. Alors qu’à Brazzaville on est resté dans les fondamentaux, nos frères de Kinshasa, eux, se sont donné à cette mode dite de « l’authenticité », sous le règne de Mobutu, lequel leur avait imposé des vestes quelque peu hybrides, portées sans cravate par les notables et des jeunes qui voulaient leur ressembler. Des vestes coupées dans des tissus imprimés. C’est le fameux « Abacost » qui, aujourd’hui, a fait son ton.

Moins usitée de nos jours sinon du tout, les jeunes kinois, voulant se démarquer des Brazzavillois, ont adopté cette mode « japonisante » dite des « créateurs ». Ainsi s’opposent-ils au classicisme congolais – un art que remet en exergue depuis peu Jocelyn Le Bachelor, de Connivences.

Par Jean-Marc ZYTTHA-ALLONY

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