La Sapologie n’est pas la Sape


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Drapeau du Congo
Drapeau du Congo

Pour les Sapeurs congolais, l’art de « La Sape » ne se résume pas à se vêtir avec bon goût. C’est une philosophie, une véritable quête de soi. Or se développe en France un courant, « La Sapologie », qui se réclame de « La Sape », tout en transgressant les règles les plus élémentaires de la discipline. Un initié nous livre son analyse critique du phénomène.

La scène se passe au Marché Total, dans le deuxième arrondissement de Brazzaville. Des enfants, des jeunes et des adultes s’amassent autour d’un écran de télévision, moyennant une pièce de monnaie. Ils visionnent un DVD sur « La Sapologie »: des Congolais de France y défilent, exhibant leurs vêtements, tout en débitant des commentaires parfois flous.

Un sapeur de Brazza

Le Congo-Brazzaville et l’élégance ont une vieille histoire commune ; c’est une image intemporelle que de voir, un dimanche, les sapeurs dandiner dans l’une des artères les plus célèbres de la capitale, l’Avenue Matsoua. C’est qu’ici on est d’abord « Sapeur » avant d’être musicien, footballeur ou homme politique. Le premier ministre lui-même, Isidore Mvouba, organise chaque été une fête en l’honneur des Sapeurs venus de France. Le ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, Alain Akouala, lui, s’est autoproclamé « sapologue »; il ne rate pas une manifestation de « La Sapologie ».

Jusque-là, rien d’anormal. Chacun a le droit de faire ce qu’il veut. Mais là où le bât blesse, c’est que « La Sapologie » n’est pas « La Sape ». Bien au contraire, c’est une déviation, une caricature… Ce néologisme fallacieux qu’est « La Sapologie » dérape en effet vers une dictature de l’expression gestuelle. Pis, à cette belle outrance s’ajoutent les fautes de goût. Dans ces DVD, on voit des couleurs inimaginables, le jaune vif mélangé au noir ou au violet, le rouge mélangé au mauve, etc. L’un de ces « sapologues » s’est même surnommé « l’Anglais aux couleurs éclatées ». Une absurdité. Une contradiction dans les termes. Car « La Sape » tire l’une de ses magnifiques sources dans le classicisme anglais et le sapeur y tient. A vrai dire, « La Sapologie » est une transgression nauséabonde; « La Sape » une tradition agréable. En son temps, André Gide mit en garde ses contemporains contre les déréglementations littéraires. Oui, dans tout art il y a des règles à respecter. Or « La Sapologie » bafoue celles de « La Sape », la vidant de son essence…

« La Sape » est une philosophie

Plus qu’une manière d’être, un snobisme débridé, «La Sape» est par-dessus tout une philosophie. Et, comme celle de l’Antiquité – la meilleure d’ailleurs –, elle consiste à créer une doctrine tout en étant l’incarnation. «La Sape» n’est pas qu’une simple transfiguration du corps en œuvre d’art, elle est une perpétuelle quête de soi. L’identité interroge «La Sape»: Qui suis-je ? En répondant à cette grande question, «La Sape» est le commencement de la merveilleuse guerre pour « l’amitié que chacun se doit ». Toujours pour citer Montaigne, « c’est une absolue perfection, et comme divine, de savoir jouir loyalement de son être… Notre grand et glorieux chef-d’oeuvre c’est de vivre à propos. Toutes autres choses, régner, thésauriser, bâtir, n’en sont qu’appendicules et adminicules pour le plus. »

Arton 16672«La Sape» est une affirmation de la singularité, c’est-à-dire un moyen de s’aimer et de se respecter, sans sombrer dans la perversion de « l’amour-propre ». Oui, un Sapeur est un socratique doublé d’un épicurien. Tandis que le Sapologue croit tout savoir, le Sapeur, lui, « sait qu’il ne sait pas », alors il continue de rechercher la vérité dans la sobriété du plaisir. Mieux encore, le Sapeur est un Saint Paul sur la route de Damas. Il donne un sens à sa vie par cet éternel besoin de se découvrir. «La Sape» le transcende. En réalité, le Sapologue s’habille; le Sapeur se vêt. Voilà!

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