Congo : étrange jeu de Cluedo pour l’opposant Brice Nzamba


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Incapable de se souvenir de ses faits et gestes pendant les cinq jours de sa disparition, l’opposant congolais, maître Brice Nzamba, tente de reconstituer ce qui peut l’être. Il ne s’interdit pas de croire que la plainte de son association concernant le détournement présumé de l’argent du pétrole congolais par le système Sassou Nguesso a pu jouer un rôle dans ce qu’il considère un empoisonnement. Car au-delà de la plainte, c’est à un régime entier que l’opposant entend s’attaquer.

« Tout ce dont je me souviens, c’est de m’être éveillé dans un lit d’hôpital », affirme l’opposant congolais. Durant les cinq jours de sa disparition, entre le 16 et le 21 février, le jeune avocat congolais Brice Nzamba affirme être resté « mentalement inconscient ». Ce n’est qu’a posteriori qu’il déclare avoir appris que des policiers l’avaient trouvé à Paris, dans les environs de l’Eglise Saint-Sulpice (VIe arrondissement), un quartier où il n’a pas ses habitudes. Pour Afrik.com, Maître Nzamba a toutefois accepté de revenir sur quelques bribes de souvenirs. Il tente également d’apporter son explication à une affaire qui reste pour l’heure très mystérieuse.

Les faits

Assis derrière son bureau, dans son cabinet, Maître Nzamba s’exprime posément. La lumière du début de printemps entre par la baie vitrée, qui donne sur une petite rue tranquille du XIVe arrondissement de la capitale. Presque rien ne laisserait penser que l’homme qui s’exprime sort d’une « dizaine de jours » d’hospitalisation. Pourtant, malgré les apparences, l’opposant explique se trouver « toujours en convalescence » et ne travailler « pour l’instant que trois à quatre heures par jour » à son cabinet. A plusieurs reprises, il fera état de sa « fatigue ».

L’histoire commence comme celle d’un mauvais film. « En sortant du cabinet, le 16 février, j’avais le sentiment d’être suivi », raconte maître Nzamba. C’est là le seul élément précis dont il parvient à se souvenir. Il faut dire qu’il l’avait de fait raconté à sa compagne le jour même, lors d’un coup de téléphone passé en début de soirée, dernier contact avec son entourage avant le 21 février. « Mais depuis deux jours déjà, j’avais commencé à mal me sentir », se remémore l’avocat.

L’arme du crime

Reste encore à expliquer les raisons du trou noir. A l’hôpital, les médecins n’ont relevé aucune trace d’atteinte physique et les analyses toxicologiques se sont révélées négatives. Leur conclusion est simple, presque décevante au regard de la crainte qui a animé les proches de maître Nzamba pendant environ 120 heures : l’avocat a souffert les conséquences d’un banal surmenage. « Mais je ne suis pas satisfait de cette explication », précise le principal intéressé, père d’un garçon âgé de tout juste un an, qui croit toujours à l’empoisonnement.

Brice Nzamba en est convaincu, il a été visé parce que dangereux pour le pouvoir du président congolais Denis Sassou Nguesso. « En Afrique, pour se débarrasser des opposants, les dictateurs ont trois choix : l’empoisonnement, l’élimination physique et le maraboutage », liste-t-il. Sans écarter la dernière option, qui « peut aller de pair », l’opposant déclare avoir requis d’autres analyses auprès d’un laboratoire. « Des substances particulières, issues d’un pays tropical, m’ont peut-être été administrées, se risque-t-il à supposer. Il est courant, au Congo-Brazaville, d’utiliser des produits qui ne laissent pas de trace ».

Le mobile

Avec cette hypothèse, qui reste loin d’être avérée, le mobile se précise : « Le Cercle La Rupture, dont je suis le coordinateur, a relancé il y a trois mois, une plainte contre BNP-Paribas, Denis Christel Sassou Nguesso et Denis Gokana », raconte maître Nzamba. Une partie considérable de l’argent du pétrole auraient en effet été détournée à travers des sociétés-écrans comme la Cotrade ou Sphinx UK, gérées respectivement par le fils du président congolais et le conseiller spécial du président pour l’énergie et les hydrocarbures. « Ils achetaient les barils à très bas coût à la Société nationale des pétroles du Congo (SNPC) pour les revendre ensuite au prix du marché », explique maître Nzamba.

Le rôle de la banque BNP-Paribas aurait consisté à proposer des contrats de prêts-financements aux sociétés-écrans « sans rapport avec les quelques milliers d’euros du capital de départ ». Ce sont les ramifications françaises de l’affaire qui ont permis à l’avocat au barreau de Paris de déposer une première plainte en 2010. Celle-ci a été déclaré irrecevable, mais à la faveur de l’inattendue évolution jurisprudentielle au mois de novembre, dans le cadre de l’affaire des « biens mal acquis », le Cercle La Rupture a décidé d’une nouvelle tentative, bientôt rejoint par la Plateforme congolaise contre la corruption et l’impunité (PCCI). « J’ai confiance en la recevabilité de notre plainte, car l’objet de notre association [le Cercle La Rupture] entre en adéquation avec notre demande », analyse maître Nzamba.

L’enquête

L’heure est définitivement à la riposte, sur le terrain judiciaire, à défaut du terrain politique où semble bien loin « le jour du grand courage » que son organisation appelle de ses vœux. En parlant de l’affaire, Brice Nzamba apparaît plus à l’aise, plus volubile que lorsqu’il est interrogé sur ses mésaventures. Et le contexte révolutionnaire en Afrique du Nord tend à lui donner un supplément de confiance : « Chaque mouvement démontre un peu plus la corruption d’un certain nombre de dirigeants ». Et l’avocat de comparer le Congo avec la Tunisie : « Le pétrole est contrôlé et géré par la famille et les proches de Denis Sassou Nguesso, comme le faisait jusqu’à il y a peu le clan Ben Ali-Trabelsi avec les richesses du pays ».

« Le véritable combat commence à présent et ce qui m’est arrivé n’était qu’une alerte », résume Brice Nzamba dans un élan guerrier. Demain peut-être, « si le peuple le désire », Le Cercle La Rupture se transformera en parti politique. Mais pour l’heure, le besoin le plus urgent s’avère, selon l’opposant, celui d’un sursaut citoyen : « Chaque Congolais doit comprendre que vivre, au-delà d’un cycle biologique, c’est réaliser le rêve que chacun porte en soi, et réaliser que c’est aux réseaux du pouvoir qu’il faut s’attaquer ! ». Comme un avertissement, maître Nzamba précise sa pensée : « Le problème est social, et non pas ethnique ». Le constat n’est pas anodin : le débat politique au Congo est souvent noyé par des considérations ethniques.

Voir aussi :

 Vers la fin des successions dynastiques en Afrique ? (2011)

 Congo : 50 ans de luttes fratricides (2010)

 La « malédiction du pétrole » en Afrique (2008)

 Comment le Congo cache l’argent du pétrole à ses créanciers… et à ses citoyens (2006)

Photo : Maître Brice Nzamba au Palais de Justice de Paris, en novembre 2010 (Youtube/Moubamba.com – Creative Commons)

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