Comores : Azali, le référendum et les kwassa-kwassa


Lecture 5 min.
comores

Depuis des mois, le président comorien Azali Assoumani est en guerre contre Mayotte la française et les « ennemis de l’intérieur ». Bombant le torse face à un très timide quai d’Orsay et s’autoproclamant templier de l’anti-chiisme, le chef d’Etat a fait monter la pression pour soigner sa popularité auprès de la majorité des Comoriens, très sensible à la présence française dans la région et influencée par les pétrodollars et les discours takfiristes de la monarchie saoudienne. En ligne de mire : le référendum constitutionnel du 30 juillet 2018.

Ce lundi 30 juillet 2018, l’Union des Comores a organisé un référendum constitutionnel dont l’issue positive permet au président Azali Assoumani, élu en 2016, de se représenter pour un autre mandat de 5ans. En effet, ce projet transforme le régime de l’Union des Comores qui garantissait une certaine équité entre les trois îles en matière de partage du pouvoir.

Clairement, c’est la Grande Comore qui vient de remettre au pas ses petites sœurs d’Anjouan et de Mohéli, jadis sécessionnistes. Le référendum supprime également les trois postes de vice-président et la Cour constitutionnelle, tout en faisant de l’islam la « religion d’Etat ». Moroni reprend ainsi les rênes des Comores en recentralisant le pouvoir et en s’asseyant sur les accords inter-îles grâce à sa supériorité démographique et à sa mainmise sur les lieux de décision.

S’opposer à Paris ou l’assurance de la popularité

Azali a bien préparé le terrain pour sa réforme constitutionnelle. Pour souder une population derrière un projet, c’est bien connu, il faut des ennemis. Celui des Comores est tout désigné : la France. L’Hexagone, qui occupe illégalement Mayotte au regard du droit international mais qui peut s’enorgueillir du soutien moult fois renouvelé de l’écrasante majorité des Mahorais, allergique à l’idée de revenir un jour dans le giron de Moroni.

Toutefois, bien que le franc comorien soit garanti par rapport à l’euro sous le patronage de Paris et que les deux capitales entretiennent des rapports plutôt resserrés habituellement, il est indispensable de réactiver les tensions pour soigner son image au moment des élections.

Mayotte est en effet le point noir des relations bilatérales et il faut le dire, le moyen pour Moroni de remobiliser ses citoyens et d’obtenir davantage de Paris au cours des négociations. Qu’elles soient en lien avec l’aide publique au développement ou l’immigration.

Le président Azali refuse d’ailleurs depuis plusieurs mois le rapatriement des Comoriens illégaux (d’après le droit français) présents sur l’île de Mayotte. Ces derniers représenteraient environ 50% de la population et sont majoritairement originaires d’Anjouan, île délaissée par le pouvoir comorien. Île qui a régulièrement cherché à s’émanciper de Grande Comore à partir de 1997 et jusqu’en 2008, année de l’intervention de l’Union africaine pour rétablir la « légalité républicaine » et mettre en place un régime stable aujourd’hui remis en question par la réforme.

Depuis ce projet de référendum, les Anjouanais manifestent leur mécontentement dans la rue avec virulence. La rupture est proche. Dans la nuit du 21 juillet au 22 juillet, le vice-président Abdou Moustoidrane, qui se rendait dans son village natal de Sima, à la pointe ouest de l’île d’Anjouan, a essuyé plusieurs rafales d’armes automatiques. Il a miraculeusement survécu et les auteurs de l’attaque ont pris la fuite en moto.

Le très loquace ministre des Affaires étrangères comorien, Souef Mohamed El-Amine, s’est tout de suite empressé de défendre l’ex-putschiste Azali en accusant les autorités françaises d’avoir engagé un nouveau Bob Denard. Si seulement…

Prendre les habits du sunnisme radical

Les habits révolutionnaires ne suffisaient pas au président de l’Union des Comores, il lui fallait en plus se forger l’image du sunnite intraitable au point de déclarer la guerre à la minorité chiite. Ce dernier a même mis en avant sa volonté de « tous les expulser ».

Plusieurs avantages à cette stratégie. Tout d’abord, cela lui permet de jouir du soutien de l’Arabie saoudite, obnubilée par sa guerre idéologique contre l’Iran, tout en accusant son principal concurrent, très populaire à Anjouan et ex-président de 2006 à 2011, de crypto-chiisme. A l’heure où ce courant religieux fait de plus en plus d’adeptes dans l’archipel…

Effectivement, Ahmed Abdallah Mohamed Sambi est devenu la bête noire du régime depuis son retour au pays en mai 2018. D’abord accusé dans l’affaire dite des passeports, il a ensuite été dénoncé comme le cheval de Troie de la République islamique d’Iran aux Comores. Marqué à la culotte par la police politique d’Azali, le natif de Mutsamudu ne s’exprime pas dans les médias et ne semble plus réellement en sécurité. A quand l’accident de voiture ou l’AVC soudain ?

En échange, la monarchie saoudienne sait se faire généreuse avec ses sbires. Elle ne jette pas des cacahuètes mais d’autres délices. 500 tonnes de dattes ont ainsi été offertes par Riyad à Moroni, juste pendant la campagne électorale pour des distributions publiques…

Une victoire qui annonce des années noires

La stratégie du président Azali a été payante sur le court-terme puisqu’il sort vainqueur du référendum. Malgré les irrégularités massives et les bourrages d’urnes signalés partout sur le territoire et surtout à Anjouan, la victoire est au rendez-vous. De plus, l’armée est mobilisée pour empêcher tout débordement.

Les chiffres officiels sont à présent disponibles : 63,9% de participation et victoire nette du « Oui » à 92,74%. Circulez, il n’y a rien à voir !

Les Comores redeviennent un Etat centralisé et Moroni la capitale omnipotente. Pour combien de temps avant l’explosion?

Peut-être quelques heures, quelques jours, mois ou années…

Si jamais le président Azali ne se fait pas renverser avant, il effectuera certainement un autre mandat. Ce second mandat qui, d’après ses mots, l’oblige à « exceller » !

Une seule chose est certaine, les Comoriens seront toujours plus nombreux à prendre les kwassa-kwassa pour fuir la misère et la brutalité d’un régime machiavélique.

Lire aussi :

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News