80 ans après les tueries de Sétif : des Parlementaires français face à l’exigence de mémoire


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Illustration de la commémoration franco-algérienne des massacres de Sétif
Illustration de la commémoration franco-algérienne des massacres de Sétif

À l’occasion du 80e anniversaire des massacres du 8 mai 1945 en Algérie, qui ont coûté la vie à près de 45 000 Algériens, une délégation de parlementaires français s’est rendue à Alger. Leur mission : plaider en faveur d’une reconnaissance officielle par la France de ces événements sanglants longtemps occultés.

Ce déplacement symbolique, bien que non officiel, intervient dans un climat diplomatique déjà tendu entre les deux pays. Il s’inscrit dans une dynamique de pression croissante sur le gouvernement français, alimentée par des revendications algériennes concernant tant la mémoire historique que les déséquilibres persistants dans les accords bilatéraux.

Une délégation parlementaire en quête de réconciliation mémorielle

Composée d’une trentaine d’élus de gauche de l’Assemblée nationale et du Sénat, la délégation française a participé aux cérémonies officielles marquant le souvenir des massacres de Sétif, Guelma et Kherrata. Ces événements tragiques ont vu des milliers d’Algériens tués par les forces coloniales alors qu’ils manifestaient pour l’indépendance le jour même de la victoire contre l’Allemagne nazie.

La députée franco-algérienne Sabrina Sebaihi (Groupe NFP) a souligné que cette visite vise à « soutenir une reconnaissance claire et explicite » de ces crimes coloniaux. Pour Danièle Simonet (Groupe Ecologiste), également membre de la délégation, cette démarche indépendante constitue une tentative pour restaurer un dialogue parlementaire dans un contexte de tensions diplomatiques.

Cette initiative s’inscrit dans le prolongement d’une résolution déposée en février 2024 à l’Assemblée nationale française par plusieurs députés de gauche, appelant l’État à reconnaître officiellement ses responsabilités dans ces massacres. Un geste qui, s’il était adopté, marquerait une étape importante dans le processus de réconciliation mémorielle, mais qui reste pour l’instant bloqué face à l’opposition des groupes parlementaires de droite et d’extrême droite.

« 61 biens immobiliers à loyers dérisoires » : Alger dénonce les privilèges hérités de la colonisation

Parallèlement aux questions mémorielles, les autorités algériennes ont récemment durci le ton sur d’autres aspects de la relation bilatérale. Mi-mars, l’Agence de presse officielle algérienne (APS) a publié un rapport dénonçant les conditions jugées inéquitables dont bénéficie la France en Algérie depuis l’indépendance.

L’APS cite notamment l’occupation par la France de 61 biens immobiliers en Algérie à des loyers qualifiés de « ridiculement bas ». Le cas emblématique de l’ambassade française à Alger, qui s’étend sur 14 hectares en plein centre-ville, et celui de la résidence de l’ambassadeur, louée « au franc symbolique », illustrent ces déséquilibres persistants six décennies après l’indépendance.

Cette dénonciation cible également plusieurs accords bilatéraux, notamment celui de 1968 sur l’immigration, accusé d’être asymétrique malgré la contribution majeure de la main-d’œuvre algérienne à la reconstruction économique française d’après-guerre. L’accord commercial de 1994 est aussi pointé du doigt pour ses avantages jugés unilatéraux au profit des entreprises françaises.

Tensions ravivées par l’affaire Amir DZ et la rhétorique sécuritaire française

Ces revendications surviennent dans un climat particulièrement tendu, exacerbé par les déclarations du ministre français de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Ce dernier, tenant d’une ligne dure sur les questions migratoires, a récemment menacé de démissionner si Paris ne durcissait pas sa politique envers Alger concernant les laissez-passer consulaires.

Ce bras de fer est perçu côté algérien comme une manœuvre politique destinée à séduire l’électorat d’extrême droite, notamment dans le contexte de la recomposition du paysage politique français suite à l’inéligibilité temporaire de Marine Le Pen et la montée en puissance de Bardella.

Les tentatives d’apaisement des deux Présidents

Dans ce contexte, la visite début avril du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, en Algérie, suivie d’un entretien téléphonique entre Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune, a marqué une volonté d’apaisement. Mais cette accalmie demeure fragile et conditionnelle.

Les autorités algériennes, tout en se montrant ouvertes au dialogue, exigent désormais des engagements tangibles, non seulement sur le terrain mémoriel, mais aussi en matière de réciprocité dans les relations économiques et diplomatiques.

La méfiance d’Alger envers la diplomatie française reste alimentée par la proximité entre Paris et Rabat, perçue comme une menace pour les intérêts algériens dans le dossier du Sahara occidental. Cette suspicion s’intensifie dans un contexte régional complexe, alors que l’Algérie doit également gérer des tensions avec plusieurs pays du Sahel après les récents coups d’État au mali et Burkina Faso notemment.

Au-delà du symbole : la mémoire comme levier de rééquilibrage géopolitique

La question de la reconnaissance des massacres du 8 mai 1945 dépasse ainsi le simple cadre symbolique ou historique. Elle devient un instrument stratégique pour Alger dans sa quête d’un rééquilibrage global des relations avec l’ancienne puissance coloniale.

À travers cette pression diplomatique et parlementaire, l’Algérie cherche à faire émerger un nouveau modèle de partenariat avec la France, fondé sur trois piliers : la vérité historique, l’égalité souveraine et la fin des privilèges hérités de la période postcoloniale.

Ce dossier mémoriel pourrait avoir des répercussions sur l’ensemble des relations euro-méditerranéennes, particulièrement à l’heure où la France cherche à renforcer son influence dans une région de plus en plus courtisée par d’autres puissances comme la Chine, la Russie et la Turquie.

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Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
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