Comment mettre fin à la violence sectaire au Nigeria


Lecture 5 min.
Drapeau du Nigeria
Drapeau du Nigeria

Les routes d’APC et de la fondation Fantsuam se sont croisées pour la première fois en 2001, lorsque Fantsuam a gagné le Prix APC Hafkin pour l’Afrique, qui récompensait son initiative de technologies et communications ciblant les femmes. À l‘époque, Fantsuam avait un projet de micro-financement et offrait des formations à l’informatique pour ses emprunteurs – mais Kazanka Comfort, qui dirigeait la fondation, nous avait en fait avoué que son rêve était qu’un jour, les femmes de toutes les communautés de Jos puissent se joindre par courrier électronique pour qu’en cas d‘éclatement de violences sectaires elles s’envoient des messages d’alerte pour demander de l’aide ou pouvoir diffuser les informations concernant la violence.

Depuis 2001, Fantsuam a largement adopté les technologies pour réduire la pauvreté et ce, dans une région où ce sont le plus souvent des batteries de voiture qui fournissent l’électricité. La fondation a mis en place un centre de formation à la pointe de la technologie ainsi qu’un imposant réseau sans fil local et a apporté l’internet à des milliers de personnes. Depuis 2004, Fantsuam utilise le GEM d’APC – la Méthodologie d’évaluation du genre – afin d’évaluer dans quelle mesure la vie des femmes a changé dans leurs communautés. Mais avec cette éruption de la violence, Fantsuam a dû prendre part à l’enterrement de 287 victimes – des femmes et des enfants pour la plupart. Les femmes sont culturellement respectées puisque ce sont elles qui donnent la vie, et John Dada, de la fondation Fantsuam, rejette la faute de ce bouleversement culturel à la pauvreté croissante et l’isolement économique. Selon lui, élargir la portée de la GEM à l’ensemble de la communauté pourrait être une solution.

En l’espace de deux mois, depuis janvier, des affrontements sectaires ont déchiré nos populations à Jos, dans l’État de Plateau. Les premières violences ont eu lieu en ville, des centaines de personnes ont été mutilées ou tuées, des maisons détruites, ainsi que les moyens de subsistance de nombreuses personnes. Trois villages ont ensuite été la cible de représailles, dans la nuit du 7 mars 2010. Avant-hier, environ trois cents personnes ont été inhumées en fosse commune, dont plus de 80 % de femmes et d’enfants.

Quelle ironie de voir, en ce mois de célébration de la Journée de la femme, de telles atrocités perpétuées envers des femmes et des enfants.

Nous voulions partager une histoire GEM de changement [il s’agit d’histoires qui montrent l’effet que la GEM a eu sur une personne ou communauté en particulier] à propos d’une jeune femme de 21 ans, Zugwai, et de la façon dont elle avait enfin eu le courage d’aller aux prud’hommes pour harcèlement sexuel à son lieu de travail (les instances aux prud’hommes avaient déjà été un résultat GEM obtenu par son organisation). Son courage a été une révélation pour ses collègues, et elle-même a avoué se sentir plus en sécurité et avoir plus confiance en son travail depuis la résolution de ces problèmes. Ses collègues masculins lui avaient également exprimé leur gratitude pour avoir ainsi éradiqué une pratique de harcèlement sexuel qui commençait à être acceptée culturellement.

Les violences récemment perpétuées dans nos villages obligent cependant la fondation Fantsuam à réévaluer l’histoire de Zugwai et à la mettre en contexte.

La victoire de Zugwai semble bien mince face à l’expression de dédain, d’hostilité et de manque total de respect envers les femmes dont nous avons été les témoins au cours des massacres de Jos.

Partout dans le monde, on sait qu’en cas de guerre, les premières victimes sont toujours les femmes et les enfants : c’est ce qu’on nous a rappelé brutalement cette semaine. Entre douleur, pleurs et gémissements, j’ai eu le privilège d’assister à la résilience des femmes quand une femme enceinte a commencé à sentir les premières contractions. Les femmes se sont rapidement mobilisées, si bien qu’au bout de deux heures, un bébé était né dans les locaux de la Fantsuam, et la maman se sentait assez bien pour pouvoir rentrer chez elle.

La tragédie des récentes tueries de l’État de Plateau est profonde ; elle révèle la disparition d’une valeur culturelle concernant le caractère sacré de la vie humaine et plus particulièrement du respect pour la femme qui donne la vie. Quand la pauvreté et l’isolement économique engendrent des renversements culturels à tel point que les structures de l’équilibre commun sont détruites, la GEM prend une autre dimension.

La GEM est un outil dont l’objectif ultime est la préservation de la vie humaine et de la dignité. Une communauté qui perd tout sens d’inviolabilité de la vie humaine va inexorablement vers le suicide. Quand les femmes, qu’on estime culturellement et que l’on respecte en tant que sources de vie, sont brutalement assassinées avec de jeunes enfants, le futur de l’ensemble des communautés et de la nation est en jeu.

Embrasser les principes du GEM exige une réévaluation des valeurs fondamentales de la vie équitable. Aucune communauté ne survit longtemps dans l’injustice ; quand les valeurs traditionnelles d’équité sont rejetées, personne ne s’en sort gagnant et l’ensemble de la nation souffre des dégâts irréparables à sa psyché et à son existence collective.

La fondation Fantsuam ne peut plus se contenter de réintégrer le genre dans la société ou de partager des histoires individuelles de changement; il nous faut maintenant observer d’un œil critique et exigeant le milieu social dans lequel nous travaillons.

Étant donné les réalités socioculturelles de nos communautés d’accueil, nous posons maintenant la question suivante : que faire pour accélérer la mise en place de la GEM et l‘élargir à l’ensemble de la population de la région ? Pour nous, la GEM est devenu une question de vie ou de mort, c’est la lumière au bout du tunnel qui nous permettra de faire sortir nos communautés de ce bourbier.

Des survivants nigérians racontent le massacre de Jos [en anglais]

John Dada, de la fondation Fantsuam, parle du GEM [en anglais]
Courrier électronique : johndada@fantsuam.org
Portable: 234 (0) 802-782-0332

La GEM est une méthodologie et un guide qui intègre l’analyse du genre dans l’évaluation d’initiatives qui utilisent les technologies de l’information et de la communication pour le changement social. Elle donne les outils pour voir si les TIC améliorent réellement la vie des femmes et les relations entre les sexes, et encourage le changement positif aux niveaux individuel, institutionnel, communautaire et social.

Foundation Fantsuam

Newsletter Suivez Afrik.com sur Google News