Christ Kibeloh : Mon écriture s’est ancrée dans une maturité différente


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Christ Kibeloh Interview
Christ Kibeloh Interview

Après six années de silence volontaire marquées par la paternité, l’écrivain congolais Christ Kibeloh revient avec « Mon regard sur le monde », un ouvrage hybride mêlant essais et nouvelles. Entre réflexion sur les blessures historiques de l’Afrique et vision optimiste du métissage, il livre sa conception du rôle de l’écrivain africain contemporain et évoque son prochain roman, « Les souvenirs de Ouenzé », qui explorera les traumatismes de la guerre civile congolaise de 1997. Entretien avec un auteur qui prône le dialogue interculturel et la construction d’un monde plus apaisé.

Vous avez volontairement choisi de vous retirer de la scène médiatique pendant six ans. Comment cette parenthèse, marquée notamment par l’arrivée de vos deux fils, a-t-elle transformé votre rapport à l’écriture et votre vision du monde ?

Christ Kibeloh : Cette parenthèse a été une révolution silencieuse. Après le lancement d’ « Une vie d’enfer« , l’élan a été freiné par la pandémie, et l’arrivée successive de mes deux garçons en 2021 et 2022 a dicté une pause. Je ne voulais pas manquer ces premières années si précieuses.

Loin des projecteurs, j’ai eu l’opportunité de me reconnecter à l’essentiel, à la vulnérabilité de la vie qui commence, et à ma propre trajectoire. Cela a ancré mon écriture dans une maturité différente. Avant, j’étais peut-être plus dans l’expression d’un « jeune auteur » avec une certaine fougue. Aujourd’hui, ma vision du monde s’est affûtée. Elle est plus nuancée, plus ancrée dans la réalité, mais aussi plus résolument tournée vers la construction et l’espoir. J’ai eu le temps de lire, de relire mes propres œuvres avec un œil critique, et de me défaire de certaines attentes pour embrasser ce que je crois être ma vraie voix.

« Mon regard sur le monde » mélange essais personnels et nouvelles de fiction. Qu’est-ce qui vous a poussé vers cette forme hybride, et comment avez-vous orchestré ce dialogue entre intime et universel ?

Christ Kibeloh : J’ai toujours cru que l’écriture devait être un reflet fidèle de la complexité du monde. Les essais me permettent d’exposer des idées, de pousser une réflexion, de déconstruire certains narratifs avec la force de l’argumentation. Mais l’humain n’est pas qu’une suite de thèses. Les nouvelles, elles, apportent la chair, l’émotion, l’incarnation de ces thèmes dans des vies concrètes. Elles montrent comment le harcèlement, la trahison, la quête de sens, la résilience, se vivent au quotidien. Cette forme hybride me semblait la plus juste pour créer un dialogue constant entre l’intime et l’universel. Elle permet de dire : « Voici ce que je pense » dans l’essai, et « Voici comment cela se vit » dans la nouvelle. L’objectif est de susciter la réflexion et l’empathie, de montrer que les grandes questions sociétales résonnent dans nos vies les plus personnelles.

Votre ouvrage aborde frontalement les blessures historiques de l’Afrique (esclavage, colonisation) tout en prônant le métissage comme solution. Comment concilier ce regard critique sur l’Histoire et cet optimisme pour l’avenir ?

Christ Kibeloh : Concilier ces deux aspects est le cœur de mon « regard sur le monde« . Il est impossible de construire l’avenir sans une connaissance lucide du passé. Nier les blessures de l’esclavage ou de la colonisation serait faire preuve de cécité historique. Mais s’y complaire serait se condamner à une forme de victimisation stérile. Mon optimisme repose sur la conviction que l’humanité a toujours su se réinventer, et que le métissage en est une preuve vivante. Le métissage n’est pas une « solution » au sens d’une baguette magique, mais une réalité historique et une voie d’avenir.

L’humanité est un grand mélange depuis ses origines, le nier serait absurde et de mauvaise foi. Ceux qui parlent de « grand remplacement » par le métissage ignorent les racines mêmes de notre monde. Je crois profondément que c’est dans le croisement des cultures, des idées, des histoires, que réside notre capacité à bâtir un monde plus apaisé. C’est en embrassant cette richesse que nous pourrons, un jour, nous regarder comme une seule famille, ayant mis à plat les comptes du passé. Ce n’est pas oublier l’histoire, c’est apprendre d’elle pour ne pas la répéter.

Vous exprimez l’ambition de devenir « une voix majeure de la littérature africaine et francophone ». Quel rôle l’écrivain africain contemporain doit-il jouer selon vous dans le dialogue interculturel mondial ?

Christ Kibeloh : L’écrivain africain contemporain, et plus largement l’écrivain issu des cultures francophones, a un rôle crucial. Il doit être un passeur de réalités, non un diffuseur de préjugés. Nous devons offrir un « regard » authentique sur nos sociétés, loin des clichés, qu’ils soient exotiques ou misérabilistes. Ce rôle est de contribuer à la littérature universelle en apportant une perspective africaine, sans se limiter aux seuls enjeux du continent. Nous devons parler d’amour, de trahison, de quête de soi, de harcèlement – des thèmes universels –, tout en les ancrant dans nos spécificités culturelles. Mais il y a aussi un rôle de veilleur de conscience. Nous devons oser critiquer là où il faut, qu’il s’agisse de la corruption interne, des dysfonctionnements de nos sociétés, ou des rapports déséquilibrés avec le reste du monde. Il ne s’agit pas de pointer du doigt, mais d’inviter à la réflexion. L’écrivain est un catalyseur de dialogue, un artisan de ponts entre les cultures, pour que la francophonie soit un espace de richesse et d’échanges mutuels, où chacun se sente légitime et respecté.

Après ce retour remarqué, quels sont vos projets littéraires ?
Comptez-vous poursuivre cette alternance entre fiction et essai, et quels thèmes souhaitez-vous explorer dans vos prochains ouvrages ?

Christ Kibeloh : Ce retour est un nouveau point de départ. « Mon regard sur le monde » a ouvert de nombreuses pistes, et je compte bien les explorer. J’ai d’ailleurs déjà un roman prêt, « Les souvenirs de Ouenzé« , qui sera mon prochain projet après ce recueil. Il touchera des thèmes très personnels et pourtant universels : le déracinement, le pardon – que je considère comme une question fondamentale dans nos rapports humains et quotidiens – et la guerre civile de 1997 au Congo, qui a profondément marqué mon enfance. Ce livre explorera les joies insouciantes de l’enfance, mais aussi les dures réalités d’une vie marquée par la résilience, l’amour familial, les mystères de l’existence et les défis de l’exil.

« Les souvenirs de Ouenzé » lèvera également le voile sur des secrets jamais révélés. C’est avec un regard d’adulte que j’y revisite cette enfance, et que je rends hommage à mon Ouenzé natal, ce quartier populaire vibrant de Brazzaville. Je pense que ce roman montrera une autre facette de ma plume, plus axée sur le récit personnel et la mémoire. L’alternance entre fiction et essai reste une voie que je souhaite poursuivre pour mes projets futurs.

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