
Deux jours après l’annonce de la candidature d’Alassane Ouattara pour un quatrième mandat présidentiel, l’Afrique peine à masquer son embarras. Entre soutiens de façade des institutions continentales et critiques feutrées des chancelleries, la décision du président ivoirien révèle les contradictions d’un continent tiraillé entre ambitions démocratiques et réflexes autoritaires.
Addis-Abeba et Abuja : le silence gêné des capitales
Dans les couloirs de l’Union africaine à Addis-Abeba, l’annonce du 29 juillet a provoqué des remous discrets. Si officiellement l’organisation panafricaine maintient sa ligne de soutien – promettant d' »accompagner » la Côte d’Ivoire dans ce processus électoral – les diplomates africains expriment en privé leurs réserves.
« C’est exactement le genre de précédent que nous voulions éviter« , confie un haut responsable de l’UA sous couvert d’anonymat. Le continent, qui s’efforce de promouvoir la bonne gouvernance et l’alternance démocratique, se retrouve une nouvelle fois confronté à ses propres contradictions.
La position de l’institution continentale tranche avec ses récentes prises de position fermes contre les coups d’État militaires au Sahel. Cette différence de traitement entre putschistes en uniforme et « putschistes constitutionnels » en costume-cravate interroge les sociétés civiles sur la cohérence de la diplomatie africaine.
Dakar-Accra : un axe atlantique prudent
Les réactions des pays côtiers de l’Atlantique révèlent une géopolitique régionale complexe. Le Ghana de John Dramani Mahama, principal allié d’Abidjan dans la sous-région, s’est contenté de réaffirmer sa volonté de servir de « pont » entre la CEDEAO et les pays de l’Alliance des États du Sahel, évitant soigneusement de commenter la candidature de son voisin.
Cette prudence s’explique : Accra et Abidjan, premiers producteurs mondiaux de cacao, partagent des intérêts économiques majeurs mais redoutent de s’aliéner une opinion publique de plus en plus critique envers les « présidents à vie« .
Plus au nord, Dakar observe avec inquiétude. Le Sénégal de Bassirou Diomaye Faye, arrivé au pouvoir sur une promesse de renouveau démocratique, ne peut ouvertement soutenir une démarche qui contredit ses propres engagements. Les autorités sénégalaises optent donc pour un silence diplomatique éloquent.
Ouagadougou-Bamako-Niamey : la rupture consommée
L’annonce d’Ouattara achève de consommer la rupture entre Abidjan et les capitales de l’Alliance des États du Sahel. Les récentes tensions – arrestation d’un élu malien en Côte d’Ivoire, mort controversée du cyberactiviste burkinabè Alino Faso – prennent une dimension nouvelle à la lumière de cette candidature.
« Ouattara incarne tout ce contre quoi nous nous sommes battus« , nous explique un journaliste à Ouagadougou. Cette fracture idéologique entre un président civil s’accrochant au pouvoir et des militaires justifiant leurs coups d’État par la nécessité du changement, révèle l’ironie de la situation politique ouest-africaine. Les juntes sahéliennes, par leurs critiques implicites, se posent paradoxalement en gardiennes de la légitimité constitutionnelle face à un président élu qui en détourne l’esprit.
Les réseaux sociaux africains, eux, ne s’embarrassent d’aucune diplomatie. Les hashtags #OuattaraDégage et #ConstitutionRespectée circulent massivement, témoignant d’une jeunesse africaine de plus en plus allergique aux dérives autoritaires, qu’elles viennent de militaires ou de civils.
Au-delà du cas ivoirien, cette candidature agit comme un révélateur des tensions qui traversent la gouvernance africaine en 2025. Du Cameroun de Paul Biya (qui prépare sa propre succession à 92 ans) au Rwanda de Paul Kagame (réélu pour un quatrième mandat en 2024), l’Afrique semble prisonnière d’un modèle politique qui a oublié l’alternance démocratique.
Les chancelleries occidentales embarrassées
Les partenaires traditionnels de la Côte d’Ivoire, France en tête, naviguent en eaux troubles. Comment concilier leur soutien historique à Ouattara avec leur rhétorique sur la promotion de la démocratie ? L’Élysée, qui avait déjà fermé les yeux sur le troisième mandat en 2020, se retrouve pris au piège de ses propres contradictions. Mais alors que Macron compte désormais ses amis en Afrique sur les doigts d’une seule main, peut-il réellement critiquer ceux qui restent.
Cette situation fragilise le discours occidental sur la gouvernance en Afrique et offre une nouvelle fois des arguments aux régimes autoritaires du continent qui dénoncent régulièrement le « deux poids, deux mesures » des démocraties occidentales.
Mais derrière les positions diplomatiques officielles se cache un enjeu générationnel majeur. Une jeunesse africaine de plus en plus éduquée et connectée aspire à un renouvellement politique que les gérontocraties en place refusent d’entendre.
Cette frustration générationnelle, visible lors des récents mouvements de protestation au Sénégal ou au Kenya, pourrait bien constituer le véritable défi des prochaines années pour des dirigeants comme Ouattara, de plus en plus déconnectés des aspirations de leurs peuples.