Cameroun: Une colonisation décomplexée


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La France est le père du Cameroun moderne, quand l’Afrique serait sa mère. Cela a beau hérisser, mais les faits, selon l’expression connue, sont têtus. Elle a inventé la francophonie (Eh quoi ! Senghor n’était-il pas français ?) et la France-Afrique qui a récemment subi une cure de jouvence, et s’appelle désormais l’Afrique-France (blanc bonnet, bonnet blanc).

Le sommet Afrique-France ! Il ne faut pas sous-estimer l’importance de la syntaxe, a toujours été un outil de perpétuation des colonialismes. Tous les enfants du monde ont toujours des reproches à formuler à l’endroit de leurs parents, jusqu’à ce qu’ils soient eux-mêmes adultes. Alors la France pourrait être comparée à un père indigne, elle n’en a pas fait assez pour les Camerounais qui pointent maintenant à la DDASS, c’est-à-dire chez les Chinois : subie ou choisie, le fait est là, la colonisation a encore de beaux jours devant elle !

« L’Afrique est très importante pour la France parce que c’est le seul continent qui peut encore donner à la France le sentiment d’être une grande puissance. Le seul où avec 500 hommes, elle peut encore changer le cours de l’histoire. » (cf. Lybie et Côte d’Ivoire) Mais au fait l’histoire c’est quoi en Afrique ? Le cours de notre histoire est-il moins aléatoire que le cours du cacao ? Les Camerounais par exemple sont tous un peu cacaoculteurs. Car comme ceux-ci ils sont régulièrement grugés, par les leurs ou par « les autres », l’autre nom de la France.

Être ou ne pas être : Viol d’identité

Existe-t-il une identité camerounaise ? Qu’y met-on ? Il existe bien une identité camerounaise, mais ses fondements sont aléatoires. Elle repose en effet sur les Lions Indomptables, la langue française et/ou l’anglais que nous avons en partage et puis c’est à peu près tout. Nos langues nationales ne figurent statutairement nulle part,
institutionnellement elles n’ont aucune place. Notre production culturelle est faiblarde. Peut-être notre identité est-elle de ne pas en avoir, d’être un ramassis de toutes les cultures et de toutes les mentalités africaines.

L’identité camerounaise bien davantage que les autres est en pleine construction, chacun peut encore la définir comme il l’entend. Le football est considéré comme élément fédérateur, il n’en est rien à strictement parler. C’est une passion que les Camerounais nourrissent pour intellectualiser leurs échanges, un point c’est tout (Le nombre d’experts est impressionnant qui maîtrise le jargon et la « science » de ce sport). Hormis quelques productions opportunistes, il ne s’est pas développé autour de ce sport une activité intellectuelle d’envergure.

« Marimar » la fameuse série sud-américaine qui a connu un beau succès populaire va-t-elle être élevée à la dignité de fondement de notre identité au motif que tous les camerounais vibraient à l’unisson quand cette série télévisée était diffusée ? Nous ne sommes pas les créateurs du football, nous n’en sommes pas les plus doués, encore moins les plus titrés, nous ne sommes pas les plus impliqués dans ce grand business, qu’est-ce qui peut bien faire croire aux Camerounais que le football peut participer de l’édification de leur nation ?

Voilà un lieu commun bien dangereux, qui perpétue les schémas et les carcans du colonialisme. Le football est une distraction, un divertissement, pour un peuple qui manifestement en a grand besoin. Au total, l’identité camerounaise est une grande question sans vraie réponse.

A tous ceux qui hurlent avec la meute

Tu es camerounais, tu t’appelles Jean, tu penses en français, au point souvent d’appeler exotisme tes propres pratiques culturelles, tu pries le Dieu des juifs, peuple élu qui a été préféré au tien, tu es abonné à Canal SAT et tes enfants ont en permanence trente chaînes françaises, six chaînes américaines, cinq chaînes africaines, et quatre chaines locales. Tu traites tes dirigeants de « dictateur » et tes compatriotes de « corrompus », empruntant sans complexe au vocabulaire ordinaire de tous les racistes qui ne te méprisent jamais autant que lorsqu’ils t’écoutent qui stigmatises les tiens. Tu récites les fables de La Fontaine, tu as étudié le grec et latin, tous les classiques camerounais t’ont été révélés par la France et tes modèles y vivent, ton droit des affaires, le fameux OHADA, a été financé par la France, et pour cause.

Ta constitution et tes lois sont des calques des textes français, avec quelques touches folkloriques qui ne les modifient pas substantiellement ; tes diplômés les plus en vue ont été produits par cette même France. La religion de tes ancêtres, les héros de ta nation, tu les connais à peine, la langue de tes parents, tu en as tellement honte que tu ne l’apprends même pas à tes enfants, tu aimes mieux qu’ils apprennent l’anglais, le mandarin, l’espagnol, et tu crois pauvre innocent, que tu n’es pas une émanation de la France et que cette chose qu’on appelle Cameroun existe vraiment et a déjà eu le temps de se « positionner » historiquement ?

Nous sommes tous un peu français, mon bonhomme, la francophonie est notre ethnie. Le jour où tu trouveras dans une de tes langues nationales un mot endonyme pour nous désigner, nous Camerounais ! Alors, peut-être le Cameroun aura-t-il commencé d’exister. Camerounais ! Si l’on te demande quelle est ta culture, tu brandis ton origine ethnique. Si tu devais définir ton identité, c’est encore sur cette origine que tu t’appuierais, pourtant, comble de paradoxe, ta langue ignore l’identité qu’elle est supposée refléter.

Jusques à quand souffriras-tu encore de porter ce nom de camerounais ? Ce nom insensé, ignoble… un Camerounais n’est-il pas étymologiquement qu’un crustacé ? Tout ce que le suivisme a de renoncement à soi, tout ce que la stupidité a de contraire à l’intelligence, tout ce que la lâcheté a de pusillanimité, ne sont rien à côté de cette persévérance à s’appeler camerounais, à garder le dos courbé alors que notre maître après nous avoir accablés de toutes sortes d’outrages, a arrêté de nous fouetter depuis bien des lustres. Est-il si beau le nom honteux de camerounais ? Soit, mais il n’est pas le nôtre. Quel est donc ce nom qui ignore nos identités multiples et que nos identités particulières ne reconnaissent pas toujours ? Dans ma langue maternelle, « camerounais » est intraduisible ! Et dans la vôtre ?

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