Cameroun : des vies brisées par une pelleteuse


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La vie a presque repris son cours normal sur le terrain où les voisins du président Paul Biya ont été déguerpis fin juin. De nouvelles activités y sont nées. Les « débrouillards » et les anciens propriétaires se « disputent » maintenant les objets laissés sur place. Des parpaings, des fers à béton, les carreaux… Tout est intéressant pour les collecteurs qui trouvent là un nouveau moyen de gagner leur vie ou de se consoler.

Notre correspondante à Yaoundé

Plus d’une semaine après le déguerpissement des voisins de Biya, sur le site de Mballa II, à deux pas d’Etoudi où se trouve le palais présidentiel, le spectacle est effarant. Un nouvel univers y voit le jour. Ses maîtres d’œuvres : des anciens propriétaires venus récupérer ce qui peut encore l’être et « débrouillards » venus chercher de quoi gagner leur vie. La désolation et le désespoir se lisent encore sur les visages de quelques victimes rencontrées sur les lieux. Les morceaux de parpaings, les débris de meubles, les fers à bétons ravivent le souvenir d’un quartier où, jadis, cohabitaient de belles maisons cossues et des cases branlantes.

Ghislain Enanga habitait Mballa II depuis cinq ans. Son père, militaire à la retraite, y avait acquis un terrain. Le jeune homme y a construit une case qu’il occupait avec sa femme et leurs deux enfants. Aujourd’hui leur case est détruite et ils vivent tous chez une tante qui a accepté de les accueillir le temps de se prendre en charge. « Je viens là pour chercher un petit ravitaillement, des parpaings, des fers à bétons, pour vendre et avoir quelque chose afin de soutenir la famille », explique-t-il. Sa recette journalière oscille entre quinze et vingt mille francs CFA. Bien au-delà de ce qu’il perçoit dans son travail de « pousseur » (conducteur de charrette à bras).

Récupérer les restes de sa maison pour survivre

Il dit avoir été reçu la notification des agents de la Communauté urbaine de Yaoundé il y a cinq ans. Trois mois avant la démolition, il a reçu une mise en demeure. Mais comme beaucoup d’autres dans son cas, il ne savait où aller, alors, il est resté dans sa case et l’a vue partir sous la pelle mécanique. « J’ai pu récupérer tout ce qui était électronique, mais les meubles ont été tous détruits », dit-il avec regret. « Pour l’avenir, Dieu seul sait. Personnellement, je ne peux rien vous dire ».

Barnabas Eposcar était également « pousseur ». Il a du arrêter son activité pour conserver ses affaires et récupérer les fers à béton, parpaings et autres matériaux de sa case détruite. Le sort l’a contraint à devenir vendeur d’objets de récupération pour l’occasion. « Les acheteurs viennent tous les jours. On casse, ils achètent, puis s’en vont. Mais je suis triste parce que je suis dehors. Je ne sais comment je vais faire pour mieux vivre. Heureusement qu’il n’est pas interdit de récupérer ce qui a été cassé. Même si on rentre dans la propriété de quelqu’un d’autre, cela ne gêne pas, les matériaux n’appartiennent plus à personne. De toute façon, que peut-on faire d’autre ? »

Aloïs fait partie de ces costauds recrutés par les anciens propriétaires pour les travaux difficiles. « Nous sommes là uniquement pour récupérer les matériaux investis dans la construction des toilettes, surtout les fers. Beaucoup de propriétaires les prennent afin de les réutiliser ou de les vendre », déclare Aloïs. Beaucoup gagnent ainsi leur pain quotidien dans la zone d’habitations cassées. Trois mille cinq cent francs CFA par fosse cassée. Ceux qui n’ont pas été contactés par les propriétaires ne se considèrent pas comme des voleurs. « Nous ne volons pas. On ne peut voler ce qui a été jeté. D’ailleurs personne ne vient revendiquer quoi que ce soit», disent-ils.

Pas de passe-droit, pas de justice

Christelle Gertrude Nga est ancienne propriétaire. Depuis que ses constructions ont été détruites, elle vient tous les jours sur les lieux de la démolition pour essayer de récupérer ce qu’elle peut encore vendre ou utiliser. Voisine du palais d’Etoudi depuis trois ans, elle avait construit une villa qu’elle habitait, trois appartements qu’elle avait mis en location et deux studios modernes non achevés. Selon elle, le coup total de cet investissement était d’environ trente six millions de francs CFA. Ils sont partis en un seul jour, balayés par une pelleteuse sous le regard des autorités de la ville de Yaoundé. Comme ses voisins, elle a reçu une notification et une mise en demeure de dix jours. Dans la panique, elle n’a su par où commencer pour mettre ses biens en sécurité, ni quoi faire jusqu’au jour fatidique où, les engins de la Communauté sont venus démolir en quelques secondes, des années d’effort et de sacrifices.

«Nous avons été dupés par les soi-disant autochtones. Et maintenant, on nous jette dans la rue. On se fiche de nous, des centaines de familles dans la rue ! Sans essayer de résoudre les affaires pendantes en justice, pourtant beaucoup ont porté plainte !», se révolte Christelle Nga.

Lorsqu’elle reçoit sa mise en demeure, Christelle se tourne une fois de plus vers la vendeuse de terrain. Elle sera narguée par cette dernière qui affirme n’avoir elle-même jamais été dédommagée par l’État pour ses deux hectares de terrain.

« Dans quel pays sommes-nous ? »

Lorsque le délégué du gouvernement et son équipe sont venus casser les habitations, Christelle confie qu’on ne lui a pas donné la possibilité de récupérer ses affaires. Contrairement à d’autres qui ont eu ce privilège parce qu’ils étaient amis du ministre des Domaines et des Affaires foncières, Pascal Anong. Celui-ci aurait fait cette faveur à certaines de ces connaissances. « Et moi, on ne me laisse pas le temps de prendre mes tôles, parce que je ne suis pas une amie du ministre ou du délégué du gouvernement? Quel est ce pays? En tout cas, le Cameroun va rester le Cameroun des hommes riches. Nous autres, on va nous jeter à la poubelle parce que nous n’avons pas d’argent, et nous n’avons personne sur qui compter ! On nous repousse comme des réfugiés. D’ailleurs, même les réfugiés sont mieux traités ! »

Aujourd’hui, Christelle Nga partage un studio d’une chambre équipée d’une cuisine, mais sans toilettes, avec huit enfants dont quatre d’elle, et quatre de sa sœur décédée. Elle doit attendre la tombée de la nuit ou les premières lueurs de l’aube pour prendre un bain en plein air. Pour ses besoins naturels, elle doit affronter les hautes herbes de la brousse située à l’arrière du studio. Dépitée, elle nous affirme avoir vu Tsimi Evouna, le délégué du gouvernement, rire des populations qui tentaient de sauver leurs biens. « C’est écœurant !» s’exclame-t-elle. « Il a raison de casser là où la route doit passer. On peut le comprendre. Mais casser des centaines de familles pour dit-on construire des bâtiments pour des ministères et ne rien faire pour les indemniser ou les reloger ? Dans quel pays sommes-nous ? », se demande-t-elle encore en écrasant une larme. Une larme de plus. Au volant de sa voiture, elle regarde sa vie dans un rétroviseur. Elle n’y voit que du désespoir, de l’échec. Une vie d’une quarantaine années minutieusement bâtie, et brisée en quelques secondes par une pelleteuse.

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