
Au Burkina Faso, la disparition de deux journalistes et de trois magistrats fait craindre une dérive autoritaire sous le régime du capitaine Ibrahim Traoré. Selon plusieurs sources, ces personnes auraient été enlevées par des agents présumés du renseignement avant de disparaître. L’affaire, inédite par son ampleur, ébranle la presse et la justice burkinabè, déjà sous pression. Reporters sans frontières et plusieurs ONG dénoncent une répression systématique des voix critiques.
La disparition de deux journalistes et de trois magistrats a ravivé les inquiétudes sur l’état des libertés sous le régime du capitaine Ibrahim Traoré. Lundi 13 octobre, plusieurs interpellations ont été signalées dans la capitale Ouagadougou. Selon diverses sources judiciaires et médiatiques, ces personnes ont été embarquées par des individus se présentant comme des agents de l’Agence nationale du renseignement (ANR) avant de disparaître.
Des journalistes emmenés vers une destination inconnue
Alors qu’il s’apprêtait à diriger la conférence de rédaction quotidienne, Ousséni Ilboudo, directeur des rédactions de L’Observateur Paalga, a été interpellé par des hommes en civil. Le journal a annoncé sur sa page Facebook que son responsable avait été « embarqué à bord d’une fourgonnette vers une destination inconnue ». Depuis, plus aucune nouvelle.
Peu avant, Michel Wendpouiré Nana, rédacteur en chef adjoint du quotidien Le Pays, avait lui aussi été enlevé, selon un de ses proches. Les deux journaux, piliers de la presse indépendante burkinabè, dénoncent une opération d’intimidation visant à museler la liberté d’expression.
L’organisation Reporters sans frontières (RSF) a immédiatement condamné ces interpellations, exigeant la libération des journalistes disparus. « Plus rien ne semble désormais freiner les autorités militaires, qui poursuivent leur entreprise de démantèlement de la liberté de la presse », a réagi Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF.
Trois magistrats « disparus » à leur tour
L’affaire ne s’arrête pas aux médias. Trois magistrats de la cour d’appel de Ouagadougou ont également été « enlevés » ou sont « portés disparus » depuis la fin de la semaine dernière. Parmi eux, Urbain Méda, connu pour avoir présidé des audiences lors du procès historique de l’assassinat du président Thomas Sankara.
Deux autres magistrats, Benoît Zoungrana et Seydou Sanou, ont respectivement été enlevés et portés disparus entre vendredi et dimanche. Une source judiciaire évoque également la disparition de l’avocat Arnaud Sempébré, dont les proches sont sans nouvelles. C’est la première fois que des magistrats sont ainsi enlevés au Burkina Faso, marquant un tournant inquiétant pour la justice et l’État de droit.
Un climat de peur sous le régime Traoré
Depuis son arrivée au pouvoir en septembre 2022, à la suite d’un coup d’État, le capitaine Ibrahim Traoré est régulièrement accusé de dérives autoritaires. Plusieurs journalistes, activistes et opposants ont été arrêtés ou mobilisés de force sur le front contre les groupes djihadistes.
Ces pratiques, souvent justifiées par la lutte contre la « désinformation » ou les « tentatives de déstabilisation », sont dénoncées par les défenseurs des droits humains comme une instrumentalisation des menaces sécuritaires pour étouffer toute critique. La disparition simultanée de journalistes et de magistrats, symboles de la liberté de la presse et de l’indépendance judiciaire, illustre la gravité du climat répressif qui s’installe dans le pays des hommes intègres.
Une communauté internationale silencieuse
Malgré les protestations d’ONG et de médias, la communauté internationale reste discrète. Aucun communiqué officiel n’a été émis à ce jour par les partenaires du Burkina Faso, notamment l’Union africaine ou la CEDEAO.
Pour de nombreux observateurs, cette série d’enlèvements marque une nouvelle étape dans la consolidation d’un pouvoir militaire de plus en plus opaque, où la peur remplace le débat et où la liberté d’informer devient un risque majeur.