Burkina Faso : deux journalistes libérés après une réquisition forcée


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Ibrahim Traoré, président du Burkina Faso
Ibrahim Traoré, président du Burkina Faso

Au Burkina Faso, deux journalistes ont été libérés après quatre mois de réquisition forcée dans le cadre de la lutte antidjihadiste. Guezouma Sanogo, président de l’Association des journalistes du Burkina Faso (AJB), et Phil Roland Zongo, journaliste à la radio Femina FM, ont retrouvé leurs proches à Ouagadougou. Leur retour met fin à un calvaire commencé en mars, lorsque tous deux avaient été arrêtés après avoir dénoncé publiquement les dérives autoritaires du régime militaire en place.

Une affaire qui jette une lumière crue sur l’usage controversé de la mobilisation générale au pays des Hommes intègres.

Une « mobilisation » instrumentalisée ?

Officiellement, leur réquisition relevait du décret de mobilisation générale décrété par la junte pour renforcer la lutte contre les groupes armés terroristes. Mais pour Reporters sans frontières (RSF), il s’agirait plutôt d’un détournement de cette mesure à des fins répressives. Selon l’ONG, ces journalistes ont été ciblés non pour leurs compétences militaires mais pour leurs positions critiques, notamment après avoir dénoncé la transformation des médias publics en instruments de propagande.

Le président de l’AJB, Guezouma Sanogo, avait été interpellé le 24 mars à Ouagadougou, dans les locaux du Centre de presse Norbert Zongo. Phil Roland Zongo, lui, avait été arrêté la veille, à son domicile. Aucun mandat officiel ne leur avait été présenté. Quelques jours auparavant, lors d’un congrès de l’AJB, ils avaient exigé la libération de journalistes réquisitionnés ou disparus, tout en critiquant les atteintes croissantes à la liberté de la presse.

Une série d’arrestations ciblées

Le cas de Sanogo et Zongo n’est pas isolé. D’autres journalistes burkinabè ont subi le même sort ces derniers mois. Boukari Ouoba, vice-président de l’AJB, avait lui aussi été arrêté le 24 mars après avoir pris la parole contre le musellement médiatique. Deux jours plus tard, Luc Pagbelguem, journaliste de la chaîne privée BF1, avait été à son tour enlevé après avoir couvert ces dénonciations. Tous ont été libérés entre le 17 et le 21 juillet, après des mois d’absence inexpliquée.

Le chroniqueur Kalifara Séré, également de BF1, a quant à lui réapparu le 11 juillet, après plus d’un an de réquisition. Pour RSF, ces arrestations relèvent clairement d’un harcèlement systématique des voix indépendantes dans un contexte de militarisation de l’espace public.

Une culture du silence inquiétante

La junte dirigée par le capitaine Ibrahim Traoré est de plus en plus critiquée pour son recours abusif au décret de mobilisation générale, en vigueur depuis avril 2023. Ce texte, destiné à renforcer les effectifs engagés contre les groupes djihadistes, semble désormais servir à neutraliser toute voix discordante, qu’elle soit civile ou militaire. Outre les journalistes, plusieurs officiers de haut rang, dont l’ancien chef d’état-major de la gendarmerie, ont été arrêtés pour “tentative de déstabilisation” ou “complot”.

À ce jour, au moins deux journalistes restent « au front », selon RSF, sans que leur statut exact ne soit connu. L’organisation appelle les autorités à faire toute la lumière sur leur sort et à cesser d’imposer un silence contraint à l’ensemble de la profession.

Une liberté de la presse gravement menacée

La libération de ces journalistes ne doit pas faire oublier le climat délétère dans lequel évolue la presse burkinabè. Entre intimidations, arrestations arbitraires, et réquisitions déguisées en mission patriotique, l’exercice du journalisme devient de plus en plus périlleux. Dans un pays en proie à une insécurité chronique, le combat pour la sécurité ne peut justifier l’érosion des libertés fondamentales. Au contraire, une presse libre et indépendante reste un rempart capital contre les dérives autoritaires et les abus de pouvoir.

Alors que le Burkina Faso continue de faire face à une insurrection djihadiste meurtrière, la liberté d’informer ne peut être considérée comme un luxe. Elle est, au contraire, le cœur battant d’une démocratie vivante,même en temps de guerre.

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