Bruxelles relance les négociations pour un nouvel accord de pêche avec le Maroc


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Accord de pêche Russie Maroc dans les eaux du Sahara Occidental
Accord de pêche Russie Maroc dans les eaux du Sahara Occidental

La Commission européenne a donné son feu vert à une proposition visant à relancer les discussions en vue d’un nouvel accord de pêche entre l’Union européenne et le Maroc. Cette initiative marque une étape importante dans un partenariat halieutique stratégique interrompu depuis plus d’un an.

Le commissaire européen à la pêche, Costas Kadis, a annoncé devant le Parlement espagnol la présentation d’un mandat de négociation. Ce document devra désormais être validé par les gouvernements des 27 États membres de l’Union avant l’ouverture officielle des pourparlers avec Rabat. Selon Kadis, cette décision représente « un développement très important » dans les relations entre Bruxelles et Rabat, un an après l’annulation par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) des anciens accords commercial et de pêche.

Un partenariat halieutique suspendu depuis 2023

Le précédent protocole de pêche, signé en 2019 et arrivé à échéance en juillet 2023, permettait à 138 navires européens, dont 92 espagnols, d’exploiter les ressources halieutiques dans les eaux marocaines. Il s’agissait de l’un des accords les plus emblématiques de la coopération euro-marocaine, notamment pour les flottes de Galice, d’Andalousie et des îles Canaries. Depuis sa suspension, le secteur de la pêche, particulièrement en Espagne, réclame avec insistance la conclusion d’un nouvel accord.

Cette relance intervient dans un contexte marqué par de fortes tensions institutionnelles au sein de l’Union. L’arrêt de la CJUE d’octobre 2024 avait jugé illégaux les accords UE-Maroc, au motif qu’ils avaient été conclus sans le consentement du peuple du Sahara occidental, en violation du principe d’autodétermination. La Cour avait rappelé que ce territoire ne faisait pas partie du Maroc et que tout accord s’y appliquant serait contraire au droit international.

Un débat juridique et politique explosif à Bruxelles

À la suite de cette décision, la Commission européenne s’est engagée dans une course contre la montre pour adapter les textes, provoquant de vives réactions au Parlement européen. Fin septembre 2025, plusieurs eurodéputés ont dénoncé un « coup de force institutionnel », estimant que la Commission avait agi sans consultation démocratique. Le 8 octobre, 29 députés de différents groupes politiques ont adressé une lettre à Roberta Metsola, présidente du Parlement européen, exigeant que la Commission soit officiellement réprimandée pour avoir signé un nouvel accord commercial avec le Maroc sans l’aval du Parlement.

Pour Bernd Lange, président de la commission du Commerce international (INTA), cette méthode constitue une violation flagrante de l’accord-cadre entre les institutions européennes, censé garantir qu’aucune application provisoire d’un traité ne soit engagée sans l’accord du Parlement. Selon lui, la Commission a agi « dans le dos des élus » pour servir avant tout des intérêts économiques.

Le Parlement, dernier rempart contre les dérives de Bruxelles

Face à cette situation, le Parlement européen se présente comme le dernier garde-fou institutionnel face à une Commission jugée trop conciliante avec Rabat. Plusieurs députés estiment que Bruxelles privilégie les intérêts commerciaux des exportateurs européens et marocains au détriment du respect du droit international et des droits du peuple sahraoui. L’eurodéputée espagnole Mireia Borrás a rappelé que l’accord n’était « pas conforme » à la décision de justice de 2024, dénonçant en outre ses effets sur les agriculteurs européens.

Selon les syndicats agricoles espagnols, les exportations marocaines de fruits et légumes vers l’Espagne ont bondi de 30 % début 2025, accentuant la pression sur les producteurs locaux. Le syndicat COAG a d’ailleurs annoncé son intention de contester le nouvel accord devant les tribunaux, tandis que la Copa-Cogeca, principale organisation d’agriculteurs européens, appelle à « reconsidérer l’accord ». Malgré ces tensions, Bruxelles et Rabat semblent déterminés à tourner la page du contentieux.

Un nouveau protocole plus ambitieux mais juridiquement fragile

Le projet de nouvel accord fixe une contrepartie financière portée de 40 à 52,2 millions d’euros par an. Il définit également des zones de pêche précises, des conditions d’accès pour les flottes européennes et des mesures visant à renforcer les retombées locales, notamment en matière d’infrastructures, de formation professionnelle et de développement durable du secteur halieutique. Le ministère marocain de la Pêche a affirmé que les populations locales « bénéficieront directement des retombées économiques » de l’accord à travers la création d’emplois et la modernisation des infrastructures côtières.

Toutefois, pour plusieurs observateurs, le point le plus controversé demeure l’inclusion du Sahara occidental. En intégrant les eaux de ce territoire contesté, l’Union européenne risque à nouveau de se heurter à la jurisprudence de la CJUE. La coordonnatrice de Western Sahara Resource Watch, Sara Eyckmans, a déclaré que « tout nouvel accord incluant ces eaux sans consentement du peuple sahraoui sera illégal ». Le Front Polisario, mouvement de libération du Sahara occidental, a d’ailleurs annoncé son intention de saisir la justice européenne pour bloquer la ratification du texte, accusant la Commission de se rendre « complice du pillage des ressources sahraouies ».

Une bataille politique à venir

Avant d’entrer en vigueur, le nouvel accord devra encore être ratifié par les 27 États membres et par le Parlement européen. Pour être définitivement adopté, il nécessitera une majorité simple des députés présents, mais son rejet exigerait une majorité absolue de 361 voix sur 720. Ce vote s’annonce donc capital pour la crédibilité de l’Union sur la scène internationale.

Pour de nombreux élus, le Parlement représente la dernière ligne de défense face à une technocratie européenne jugée opaque et trop docile envers les lobbies. Cette fronde transpartisane de 29 députés, réunissant sociaux-démocrates, écologistes, libéraux et représentants de la gauche radicale, symbolise la résistance d’une partie de l’hémicycle à la dérive institutionnelle de Bruxelles.

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Je suis passionné de l’actualité autour des pays d’Afrique du Nord ainsi que leurs relations avec des États de l’Union Européenne.
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