Au pays de Faure, le règne de la loi du plus fort


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Faure Gnassingbé
Faure Gnassingbé

Le Togo est en passe de devenir une démocratie parlementaire. C’est la nouvelle trouvaille du Parlement monocolore en place depuis 2018 avec le boycott des Législatives par l’opposition, et qui a adopté une nouvelle Constitution lundi dernier. Quelle est la pertinence de ce choix ? Et pourquoi précisément maintenant ?  

Au Togo, le temps est à l’adoption d’une nouvelle Constitution. Une Constitution qui refond totalement le système démocratique en vigueur jusque-là dans le pays. En effet, le pays va passer d’un régime de type semi-présidentiel à un régime parlementaire. Dans ce régime, le président de la République sera élu non pas au suffrage universel direct, mais par le Parlement. Un changement voulu par le Parlement sans aucune consultation préalable du peuple censé avoir mandaté les députés. Et ceci, malgré les vigoureuses protestations de l’opposition et de la société civile. En clair, une nouvelle Constitution imposée comme dans la jungle où c’est la loi du plus fort qui règne.

Des questions en suspens

Face à l’action des députés qui n’attend plus que d’être parachevée par une promulgation présidentielle, la classe politique notamment l’opposition, la société civile et même la Conférence épiscopale du Togo (CET) réagissent, cherchent à comprendre, condamnent. Pour ce beau monde, Faure Gnassingbé ne doit pas promulguer cette nouvelle Constitution. Et pour cause ! Elle suscite bien des questionnements. « Par quelle alchimie juridique et politique, un Parlement sortant peut-il procéder à la modification de la Constitution, à un mois d’un scrutin annoncé en vue de son remplacement (le scrutin est prévu pour le 20 avril, donc mois d’un mois à ce jour, ndlr) ? Fuite en avant ou délit d’initié politique ? », questionne l’ancien ministre de l’Intérieur, Me François Akila-Esso Boko, qui vit aujourd’hui en exil.

Même préoccupation chez les évêques togolais qui s’interrogent à leur tour : « Est-il opportun qu’une modification constitutionnelle soit organisée en cette période où les députés eux-mêmes sont préoccupés par la campagne électorale qui commence très bientôt ? Ne serait-il pas plus sage de la reporter à une date ultérieure, pour des travaux plus sereins ? »

On sait que le mandat de l’actuel Parlement togolais a normalement pris fin depuis décembre 2023. En se basant sur cela, plusieurs voix dont celle des évêques s’élèvent pour soutenir que ce Parlement n’a plus normalement la légitimité pour voter des lois d’une telle importance. Il devrait plutôt se contenter d’évacuer les affaires urgentes et courantes. Qu’est-ce qui presse alors ? L’observateur externe peine à percevoir l’urgence qu’il y avait à voter une pareille loi. Surtout qu’avec la dernière révision constitutionnelle de 2019, Faure Gnassingbé avait sécurisé son fauteuil jusqu’en 2030. D’où cette question des évêques : « Qu’apportera-t-elle (l’adoption de la nouvelle Constitution, ndlr) de mieux à notre marche commune et à notre vie sociopolitique ? » Puis celle-ci : « Un sujet aussi important qui va profondément changer la vie politique de notre pays ne devrait-il pas être précédé d’une large consultation et d’un débat national plus inclusif ? »

D’ailleurs, les prélats n’ont guère caché leur surprise. Le 21 mars, après une réunion de la CET, ils avaient sollicité « une urgente audience » auprès du chef de l’État pour lui faire part de leurs appréhensions et préoccupations relatives à la démarche de révision de la Constitution alors en cours. Alors qu’ils attendaient une réponse de la Présidence, grand a été leur étonnement d’apprendre que l’Assemblée nationale avait adopté le nouveau texte. Dans ces conditions, la position des évêques est claire : « Nous, évêques catholiques du Togo, venons par la présente déclaration exhorter le chef de l’État à surseoir à la promulgation de la nouvelle Constitution et à engager un dialogue politique inclusif, après les résultats des prochaines élections législatives et régionales ».

Assurer la pérennité du pouvoir de Faure Gnassingbé

Des responsables politiques togolais ont tenté d’expliquer la nouvelle aventure constitutionnelle dans laquelle le Parlement a décidé d’engager le pays. Tchitchao Tchalim, président de la Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale à l’Assemblée nationale s’exprimait en ces termes, lundi : « Le chef de l’État est pratiquement désinvesti de ses pouvoirs en faveur du président du conseil des ministres, qui devient celui qui représente la République togolaise à l’extérieur, qui dirige effectivement le pays dans la gestion quotidienne », a-t-il déclaré.  L’avantage de cette nouvelle Constitution « réside dans la plénitude des pouvoirs qu’elle confère au peuple, seul détenteur de la souveraineté. Le vote de ce jour se présente comme une aubaine pour redonner à notre pays des repères plus adaptés », a appuyé Pacôme Adjourouvi, ministre togolais des Droits de l’homme, de la Formation à la citoyenneté et des Relations avec les Institutions de la République.

Soit. Mais, dans le fond, qu’est-ce que cela apporte comme plus-value au quotidien du citoyen togolais lambda qui ne demande qu’à manger sans trop réfléchir trois fois par jour et à satisfaire, sans grande difficulté, ses quatre autres besoins fondamentaux ? Dans un contexte d’inflation généralisée induite par deux chocs violents – la crise du Covid-19 et la guerre russo-ukrainienne – une nouvelle révision de la Constitution pour entrer dans une 5e République n’est certainement pas la préoccupation du Togolais ordinaire. Et pour le savoir, les députés et leurs soutiens au sein de l’Exécutif auraient dû organiser, comme le suggèrent les évêques, une large consultation nationale.

Mais, dans une République où le pouvoir s’est toujours imposé au peuple par la force, depuis 1967, plus rien ne nous étonne. Il est difficile de ne pas voir dans l’adoption de cette nouvelle Constitution – que le chef de l’État promulguera sans doute, en dépit de toutes les protestations – une manœuvre visant à assurer la pérennité du pouvoir de Faure Gnassingbé en place depuis 2005. En 2030 devrait finir son deuxième et dernier mandat suivant la révision constitutionnelle de 2019. Et après ? En pensant à l’après 2030, il faut prendre ses précautions dès maintenant. Ne dit-on pas que gouverner, c’est prévoir ? Surtout que l’opposition, contrairement à 2018, annonce sa participation au scrutin du 20 avril prochain. Or avec l’opposition au Parlement, le projet risque de ne pas prospérer aussi facilement que maintenant. Ceci peut donc facilement expliquer cela.

En entrant dans une nouvelle République, les compteurs, comme par le passé, seront à nouveau remis à zéro pour le premier des Togolais qui pourra s’offrir un nouveau mandat pour l’instant unique de six ans. La garantie d’être en place jusqu’en 2036 au moins, à 70 ans. Après 70 ans, on peut se faire une nouvelle jeunesse et pourquoi pas un nouveau mandat pour finir les œuvres entamées et non achevées. Après tout, pour la bonne cause, il suffira juste de retoucher une nouvelle fois la Constitution et sauter les verrous placés pour la forme, aujourd’hui. C’est la loi du plus fort. Et le feuilleton continuera tout simplement. Sauf cataclysme.

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Historien, Journaliste, spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne
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