
La Guinée a franchi une nouvelle étape dans son processus de transition politique avec la création d’un nouvel organe électoral : la Direction générale des élections (DGE). Ce changement important, entériné par décret du président de la Transition, le général Mamadi Doumbouya, marque la fin officielle de la Commission électorale nationale indépendante (CENI), qui jusque-là supervisait les scrutins dans le pays.
En Guinée, la Direction générale des élections (DGE) est désormais seule entité chargée d’organiser les élections politiques et les référendums. Elle est placée sous l’autorité directe du ministère de l’Administration territoriale. La Commission électorale nationale indépendante (CENI), qui jusque-là gérait les élections, n’existe donc plus. Mais derrière cette réforme institutionnelle, des inquiétudes croissantes émergent quant à une possible confiscation du pouvoir par le régime militaire en place.
Le décret instituant la DGE a été lu dans son intégralité à la télévision nationale, immédiatement après deux autres textes importants : celui établissant la tenue d’un référendum constitutionnel prévu en septembre, et celui confiant l’organisation des scrutins exclusivement au ministère de l’Administration territoriale. Ce ministère devient donc l’instance mère de tout le processus électoral, et la DGE un instrument exécutif directement rattaché à lui.
Permettre une centralisation plus rigoureuse
Le mode de désignation des membres de la DGE alimente les critiques. Le directeur général, son adjoint ainsi que les responsables régionaux, préfectoraux et communaux de la DGE sont tous nommés unilatéralement par le chef de l’État. Une concentration des pouvoirs qui inquiète profondément l’opposition. Pour l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), principale formation d’opposition, cette DGE est avant tout un « verrou militaire » destiné à pérenniser le pouvoir du général Mamadi Doumbouya, arrivé au pouvoir par un coup d’État en septembre 2021.
Le porte-parole du gouvernement, Ousmane Gaoual Diallo, tente quant à lui de rassurer : « Cette DGE va recréer la confiance entre le peuple et l’État ». Selon lui, l’ancienne CENI n’avait plus la légitimité ni l’efficacité requises pour garantir un processus électoral crédible. Il souligne que la nouvelle structure devrait permettre une meilleure coordination et une centralisation plus rigoureuse, loin des interférences partisanes qui ont longtemps miné les élections en Guinée.
Le Tchad et la RDC, de mauvais exemples
La création d’organes électoraux sous tutelle directe de l’exécutif n’est pas une nouveauté sur le continent africain. Plusieurs pays ont expérimenté des réformes similaires, souvent dans un contexte de transition ou de crise politique. Loin d’apporter toujours plus de transparence, ces structures ont parfois été utilisées pour asseoir un pouvoir déjà contesté. Au Tchad, après la mort d’Idriss Déby en 2021, son fils Mahamat Idriss Déby a pris le pouvoir à la tête d’un Conseil militaire de transition.
Un nouveau cadre électoral a été mis en place, avec une Autorité nationale de gestion des élections (ANGE) également placée sous forte influence du pouvoir exécutif. Les critiques fusent de la part de la société civile, qui dénonce un processus électoral verrouillé et une opposition muselée. En République Démocratique du Congo (RDC), la Commission électorale nationale indépendante (CENI) a souvent été au cœur de polémiques. Lors des élections de 2018, elle a été accusée par l’opposition et plusieurs observateurs internationaux de partialité, notamment dans la proclamation des résultats favorables à Félix Tshisekedi, alors que le candidat Martin Fayulu était donné largement vainqueur par plusieurs missions d’observation.
Le Zimbabwe et le Cameroun sur la sellette
La Zimbabwe Electoral Commission (ZEC), organe électoral officiel, est aussi régulièrement accusée d’être sous le contrôle du parti au pouvoir, la ZANU-PF. Les scrutins sont systématiquement entachés d’irrégularités, avec une militarisation flagrante du processus électoral et une répression constante des voix dissidentes.
Le Cameroun a également connu une réforme de son système électoral avec la création d’Elections Cameroon (ELECAM), censée être indépendante. Mais la proximité de ses membres avec le pouvoir du Président Paul Biya a été dénoncée à maintes reprises, notamment lors de la présidentielle de 2018, où les résultats ont été fortement contestés.
Quels risques pour la Guinée ?
En Guinée, la mise en place de la DGE dans les conditions actuelles risque de cristalliser davantage les tensions politiques, au lieu d’ouvrir la voie à une transition apaisée. Le pays a une longue histoire de méfiance envers ses institutions électorales, souvent perçues comme biaisées ou instrumentalisées. Le fait que la DGE soit entièrement contrôlée par le pouvoir exécutif, sans contre-pouvoirs clairs ni mécanismes de nomination indépendants, laisse peu d’espoir à une élection réellement transparente et équitable.
Plusieurs acteurs de la société civile guinéenne appellent déjà à la vigilance et à une mobilisation citoyenne pour exiger un organe électoral véritablement indépendant. Car dans un contexte où l’équilibre institutionnel est fragile et la confiance entre gouvernants et gouvernés déjà très basse, un organe électoral perçu comme une extension du pouvoir militaire pourrait provoquer une grave crise politique.