
Alors que le PIB échoue à refléter les réalités sociales et environnementales des économies africaines, les Nations unies dévoilent un programme ambitieux pour repenser la mesure du progrès. Pour le continent, c’est l’occasion de peser dans la définition d’indicateurs qui reconnaissent enfin ses trajectoires de développement spécifiques.
Les limites d’un indicateur conçu sans l’Afrique
Avec la complexité des sociétés contemporaines, le produit intérieur brut (PIB) ne suffit plus à mesurer efficacement le progrès économique des États. En effet, cet indicateur mesure la production, mais ignore trop souvent ce qui fait la qualité d’une vie : la cohésion sociale, la préservation de l’environnement ou la résilience des économies.
Sur le continent africain, ces lacunes sont particulièrement criantes. Comment évaluer la richesse d’économies où l’informel représente parfois plus de 80 % de l’activité, où le capital social et les solidarités communautaires constituent des piliers invisibles du développement, et où la jeunesse démographique représente un atout que le PIB ne sait pas quantifier ?
Une initiative onusienne qui ouvre la porte à l’Afrique
Lors du Sommet mondial pour le développement social 2025, la présentation du premier rapport du groupe d’experts de haut niveau des Nations unies sur « Au-delà du PIB » a marqué une étape majeure. Ce diagnostic traduit le besoin croissant de doter les pays d’outils capables de mesurer un progrès réellement inclusif, durable et centré sur le bien-être des populations. Mandaté par le Pacte pour l’avenir, le groupe d’experts a travaillé sur l’élaboration d’un ensemble d’indicateurs universels destinés à compléter les mesures économiques traditionnelles.
La Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED), qui assure le co-secrétariat du programme aux côtés d’autres entités onusiennes, a joué un rôle central dans l’analyse des données, la méthodologie statistique et le renforcement des capacités dans les pays en développement, notamment africains. Ce rapport présente avec clarté les limites du PIB, indicateur de production qui ne dit rien des progrès en matière de bien-être, de capital social, d’équité ou de qualité environnementale. Pourtant, ce sont des dimensions pourtant devenues essentielles dans des économies globalisées confrontées à la double urgence climatique et sociale.
Un enjeu stratégique pour le continent africain
Pour l’Afrique, cette refonte des indicateurs représente une opportunité historique. Les critères actuels pénalisent structurellement les économies africaines en ignorant leurs spécificités : l’économie du soin et du lien social, la valeur des écosystèmes préservés, l’apport de la diaspora, ou encore la créativité entrepreneuriale du secteur informel. Le programme « Au-delà du PIB » ne vise pas à évincer les mesures existantes, mais à les enrichir en se fondant sur cinq principes structurants qui pourraient redéfinir la manière d’appréhender le développement.
Le rapport du groupe d’experts a ouvert une consultation internationale de trois semaines, achevée fin novembre, qui a rassemblé gouvernements, universitaires, entreprises et organisations de la société civile. Ces acteurs ont partagé leurs priorités, leurs perceptions du progrès et leurs attentes en matière d’indicateurs. Les contributions africaines, portées notamment par l’Union africaine et la Commission économique pour l’Afrique, viendront nourrir la rédaction du rapport final attendu au printemps 2026 lors de l’Assemblée générale des Nations unies.
Vers une reconnaissance des trajectoires africaines
L’ampleur de ce chantier est ambitieuse et complexe. La création de nouvelles mesures du progrès impliquera non seulement de nouvelles approches statistiques, mais aussi des changements dans les politiques publiques, les décisions économiques et les comportements individuels. L’exploitation d’indicateurs alternatifs témoigne d’une prise de conscience profonde : la croissance économique ne remplira son rôle que si elle améliore la vie des citoyens et protège les ressources pour les générations futures.
Pour l’Afrique, mesurer le progrès autrement, c’est enfin disposer d’outils qui reconnaissent ses réalités, valorisent ses atouts et orientent des politiques adaptées à ses défis propres. C’est aussi, pour les décideurs du continent, l’occasion de peser dans un débat mondial qui façonnera les critères de réussite économique des décennies à venir.





