Assemblée nationale, écoute la grande voix d’Aimé Césaire !


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M. Claude Guéant, ministre de l’Intérieur, a tenu des propos qui, pour ma part, sans risque d’être taxé d’être un esprit vétilleur, établissent une échelle de valeurs entre les civilisations.

Ces propos ont légitimement suscité, et y compris par des membres éminents de sa famille politique, la réprobation qu’ils méritaient.

Lors de la récente séance des questions au gouvernement à l’Assemblée nationale, M. Letchimy, député de la Martinique, a posé une question sur la justification de tels propos.

Chacun sait le tollé soulevé par la question de M. Letchimy, le gouvernement quittant immédiatement la séance des questions. Cependant, qu’est-il reproché au député de la Martinique ?

À des propos qui n’auraient visé qu’à rappeler les principes fondamentaux de la République, le député de la Martinique aurait instrumentalisé la Shoah, la pire barbarie que l’humanité ait connue dans toute son histoire.

Examinons les faits. Tout d’abord, il ne saurait être sérieusement contesté que la hiérarchie des civilisations par le ministre de l’Intérieur ne rappelle aucunement les principes fondamentaux de la République ; bien au contraire, elle les bafouent.

Ensuite, dans sa déclaration M. Letchimy fait convoquer des références prestigieuses : Montaigne, Condorcet, Voltaire et surtout Aimé Césaire.

Or, Aimé Césaire, dans un texte resté célèbre de 1950 « Discours sur le Colonialisme » expose :

 » Il faudrait d’abord dire comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale (…) »

Aimé Césaire invite à une réflexion sur le bien-fondé de la vision de l’histoire universelle qui s’apprécie bien souvent depuis l’Europe, il considère que la notion de mission civilisatrice de l’Europe est impossible à défendre en tant qu’elle inculque notamment « le complexe d’infériorité, l’agenouillement ».

L’évocation de nazisme qui a suscité des réactions outragées à l’Assemblée nationale a également été, avec l’esclavage, le colonialisme, et la décolonisation, un sujet de réflexions pour Aimé Césaire. Il avait déclaré que le nazisme c’était « la barbarie suprême, un « poison instillé dans les veines de l’Europe ».

Et c’est vrai, même si c’est difficile à entendre, il avait aussi souligné que ce régime, promoteur de la hiérarchie des races, si ce n’est celle des civilisations, était le retour sur le sol européen d’une barbarie pratiquée au loin, dans les colonies.

Monsieur Lechtimy a tenté de dire la même chose en rappelant la confusion clairement entretenue entre civilisation et régime politique, a considéré que les propos incriminés faisaient écho au nazisme qui avait donné naissance aux camps de concentration et a enfin posé la question sur le rapport entre nazisme et civilisation.

M. le Chef de l’État, garant de la République une et indivisible, n’a pas condamné les propos du ministre de l’Intérieur. Il les a maladroitement justifiés en mettant dans la bouche de M. Guéant le mot de régimes sociopolitiques qu’il n’a pas prononcé et qui ne saurait quoi qu’il en soit résumer la notion de civilisations.

Nous préférons M. le Président de la République dans les phrases fortes du discours à l’occasion de la cérémonie d’hommage solennel de la Nation à Aimé Césaire le 6 avril 2011 au Panthéon :

« Grand, il le fut en 1950 lorsqu’il jeta à la face du monde les mots terribles du discours sur le colonialisme : « Chaque fois qu’il y a au Vietnam une tête coupée et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend… »

Mais M. le Président aurait pu évoquer l’intégralité de ce passage du « Discours sur le Colonialisme » : « (…)

On dit : »… Bah. C’est le nazisme, ça passe », et on attend et on espère et on se tait à soi-même la vérité, que c’est une barbarie, mais la barbarie suprême, celle qui couronne, celle qui résume la quotidienneté des barbaries, que c’est du nazisme, oui, mais qu’avant d’en être la victime, on a été le complice ; que ce Nazisme-là, on l’a supporté, avant de le subir, on l’a absous, on a fermé l’œil là-dessus, on l’a légitimé, parce que jusque-là, il ne s’était appliqué qu’à des peuples non européens ; que ce Nazisme-là, on l’a cultivé ; on en est responsable, et qu’il sourd, qu’il perce, qu’il goutte avant de s’engloutir dans ses eaux rougies de toutes les fissures de la civilisation occidentale et chrétienne… ».

Ce discours est-il si inaudible à l’Assemblée nationale, alors qu’il est célébré au Panthéon ?

Par Edgard Kiganga, avocat

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