Arc-en-nègre, ou l’origine des métisses, quarterons et octorons


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Médéric Louis Élie Moreau de Saint-Méry, par James Sharples
Médéric Louis Élie Moreau de Saint-Méry, par James Sharples

Les colons du Nouveau Monde ont élaboré des systèmes de mesure de la négritude des métisses lors de la période de l’esclavage. Des hiérarchies dont l’objectif principal était préserver la « pureté de la race blanche ». Trop complexes, elles ont progressivement été simplifiées. Certains des termes de l’époque ont survécu à l’épreuve du temps et font partie du langage courant dans les Caraïbes et en Afrique.

Calculer la proportion de sang noir. C’était l’objectif des systèmes de classification instaurés dans les Caraïbes pendant l’esclavage. Complexes, certains répertoriaient jusqu’à une dizaine de dénominations différentes. Une division raciale précise, principalement destinée à préserver l’hégémonie de la race blanche. Trois siècles plus tard, certains termes de cette époque sont toujours employés. Surtout aux Antilles, mais aussi sur le continent africain.

Séparer le blanc du noir

Bien que très mal vues, les relations éphémères entre Blancs et Noirs ont toujours existé à l’époque de l’esclavage. Les enfants qui en naissaient représentaient la première génération d’une lignée de métisses qui, pour certains, naîtront blanc et ne présenteront aucun trait négroïde. Dangereux pour les colons, qui craignaient de voir souillée la pureté de leur race. Alors pour éviter tout mélange « malheureux », ils ont établi une hiérarchie raciale complexe, remontant parfois jusqu’à huit générations, pour ne pas faire d’« erreur ».

« Chaque pays colonisateur avait sa façon de classifier la négritude des métisses. Ce qui explique, d’une hiérarchie à l’autre, l’existence d’appellations parfois différentes pour un même type de métissage ou qu’une gradation soit plus ou moins complexe », précise Hor-Fari Lara, président de l’association française Les amis des Caraïbes. Selon le système de gradation de Médéric-Louis-Élie Moreau de Saint-Méry (1750-1819), un Blanc et un Noir étaient chacun constitués de 128 parts. Le mélange des deux donnait un métisse, qui avait 64 parts de chaque géniteur. À partir de ce capital, et selon le partenaire choisi, de multiples gradations de négritude étaient possibles. Quarteron (personne qui a un quart de sang noir) ou octoron (un huitième de sang noir) comptent parmi les appellations les plus connues, contrairement à mamelouc, griffe, sacatra ou encore marabout.

Système lucratif mais trop complexe

Même si les Blancs considéraient les métisses avant tout comme des noirs, ces derniers souhaitaient mettre en exergue le sang « noble » qui coulait dans leurs veines. Et pour cause. Dans la société profondément raciste de l’époque, avoir la peau claire était synonyme de vie moins difficile. Les métisses jouissaient en général de traitements préférentiels par rapport à leurs pairs noirs. Certains étaient relégués à des travaux moins ardus que ceux des plantations. Ils étaient également plus souvent affranchis. « Sur le marché, plus un esclave était clair et plus il valait cher. C’est pourquoi les vendeurs tenaient à ce système de classification raciale : ils spécifiaient sur leurs annonces si l’esclave était quarteron ou autre. Ce qui pouvait leur faire gagner plus d’argent », explique Hor-Fari Lara. Cette hiérarchisation permettait également à la justice d’opérer plus facilement. « Si un esclave prenait la fuite, il était plus précis d’utiliser un terme comme quarteron que noir, beaucoup plus vague, pour faire le signalement », poursuit président de l’association Les amis des Caraïbes.

Mais aussi avantageux qu’était ce système pour ceux qui profitaient de l’esclavage, il restait un peu trop complexe. C’est l’une des raisons qui explique que la hiérarchisation de la négritude ait été de plus en plus simplifiée au fil des années. Pour devenir de moins en moins « mathématiquement exacte ». Au final, cette classification tend à être remplacée par un concept selon lequel toute personne ayant une seule goutte de sang noir, sera considérée comme noire.

La hiérarchie s’exporte en Afrique

À l’abolition de l’esclavage en 1848, « des esclaves affranchis sont retournés en Afrique, notamment en Sierra Leone et au Liberia, créés pour les accueillir. Ils avaient assimilé le catalogue hiérarchique des colons et en utilisaient certains termes. C’est ce qui explique qu’aujourd’hui certains Africains parlent de ‘quarteron’ ou d’octoron’ », commente le président de l’association Les amis des Caraïbes. Toutefois, ces appellations restent majoritairement utilisées dans les Caraïbes.

« Le fait que ces mots existent toujours prouve que les peuples ont intégré le système colonialiste. Dans leur tête, ils sont encore en esclavage. Certains Martiniquais et Guadeloupéens n’acceptent pas le fait qu’ils aient du sang d’Africains dans leurs veines. Ils considèrent qu’ils ne sont pas assez biens pour être leurs ancêtres. Cette idée est intériorisée dès le plus jeune âge. Dans des écoles de Guadeloupe, j’ai souvent entendu des enfants utiliser un nouveau mot : double zéro. C’est une référence aux cheveux crépus qui frisent. Etre noir c’est encore mal aujourd’hui », poursuit Hor-Fari Lara. Et de citer l’exemple de la chanteuse américaine Mariah Carey. Cette métisse, dont le père est noir d’origine vénézuélienne et la mère irlandaise, a souffert de quolibets dans sa jeunesse à cause de ses origines, en dépit de son teint blanc.

Critère de beauté

Si pendant la période de l’esclavage la clarté de la peau garantissait quelques avantages sociaux aux métisses, de nos jours l’enjeu serait plutôt esthétique. A tel point que la gent féminine, peu à peu rattrapée par les hommes, achète ou fabrique des produits cosmétiques pour s’éclaircir la peau. Celles qui seront les plus claires seront les plus prisées. Dans les petites annonces de rencontres, le teint clair a toujours été un argument de séduction pour beaucoup d’Africaines.

Au quotidien, il n’est pas rare d’entendre des artistes vanter la beauté de chabines. Appellation perçue comme flatteuse puisque utilisé pour les belles femmes noires, mais à la peau très claire et aux cheveux blonds. Ce mot faisait partie des termes employés pendant le système de hiérarchisation de la négritude. « S’il est employé comme compliment à l’heure actuelle, c’est en partie parce que les gens ne se rendent pas compte de la charge historique de ce mot. Surtout les jeunes de la diaspora ou issus de l’immigration qui sont très souvent complètement déracinés », explique le président de l’association Les amis des Caraïbes. Un retour aux sources s’impose pour utiliser ces mots lourds de sens à bon escient.

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