Alpha Blondy : la crise ivoirienne est une guerre « inter-minables »


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Alpha Blondy
Alpha Blondy

« Brigadier Sabari », « Fanta Diallo », « Jerusalem », ou encore « Travailler c’est trop dur », « Apartheid is nazism », « Cocody rock », « Rasta fou », les tubes mondiaux d’Alpha Blondy ne se comptent plus. Le père du reggae africain, toujours animé de la même flamme a accordé un long entretien à Afrik.com. Ses débuts, sa carrière, la crise ivoirienne, il nous aide, avec un franc parlé déconcertant, à mieux cerner l’artiste et l’homme de combats.

Est-il besoin de présenter Alpha Blondy, sinon de dire que l’artiste ivoirien est tout simplement la grande légende vivante du reggae africain ? De son vrai nom, Seydou Koné, il est à 52 ans une des plus grandes figures musicales du continent. Militant de la première heure, le bouillonnant enfant d’Adjamé n’a définitivement pas sa langue dans la poche. Il fracasse les leaders politiques ivoiriens qu’il accuse d’avoir plongé le pays dans une guerre. Tout le monde en prend pour son grade. À la veille de la sortie d’Akwaba, son Very Best of, le 5 juillet prochain, il revient par ailleurs sur la genèse de sa carrière. Rencontre.

Afrik.com : Certains vous appelle le « Bob Marley africain », qu’en pensez-vous ?

Alpha Blondy : Bob est la tête de la locomotive. Moi je ne suis qu’un disciple. J’essaie d’apporter ma pierre à l’édifice qu’il a commencé à construire, mais je refuse de dire que je suis le Bob Marley africain.

C’est tout de même vous qui avez fait éclater le reggae africain au niveau international…

C’est parce que j’ai été séduit par le message et le combat de Bob et de tous les frères de la diaspora et que j’ai vu que ce combat était aussi l’affaire des Africains. Il fallait traduire le message en langue africaine et en français pour que les frères d’Afrique comprennent que ce n’est pas une question de fumette. Qu’il s’agissait de défendre une identité, de donner la parole aux démunis, à des gens qui ont été bâillonnés par les systèmes coloniaux. Dieu merci, quand j’ai chanté en langue beaucoup d’Africains se sont identifiés à ce message et cela a fait des émules.

Vous vous présentez comme un « rastafoulosophe ». Que faut-il entendre par là ?

Quand je suis arrivé avec les yeux allumés et la chevelure rastafarienne, on a dit : « C’est un fou ». J’ai dit oui, c’est vrai, je fais de la foulosophie. La folie qu’on m’attribuait m’a d’ailleurs sauvé la vie. Parce qu’ils ont trouvé qu’il ne fallait pas gaspiller une cartouche sur quelqu’un que la vie avait déjà entamé. Toutefois les gens qui écoutaient mon message disaient que je jouais au fou mais que je n’étais pas fou, parce que je ne me comportais pas comme tel. Et de fil en aiguille, la jeunesse s’est identifiée à moi. « Ah celui-là, au moins, il dit la vérité ». Parce qu’à l’époque, dire des vérités c’était de la folie, dans un contexte où dans les partis uniques tout le monde pratiquait la politique de la langue de bois et celle de l’hypocrisie. C’était de la folie d’oser dire que le parti unique était démocratiquement illégal. D’oser dire au Président Houphouët Boigny d’encourager l’opposition pour que la démocratie ivoirienne ne soit pas unijambiste. D’oser dire aux Africains qu’il fallait une Afrique politiquement stable pour parler d’une Afrique économiquement stable. Avec le temps, on a bien vu que le coup d’état était une plaie en Afrique et que j’avais raison quand je disais que les mêmes qui disent « Vive le Président ! » sont les mêmes qui diront « A bas le Président », « Vive le général », et encore les mêmes qui diront « A bas le général ». La Côte d’Ivoire est un exemple édifiant.

D’où vient votre nom de scène Alpha Blondy ?

C’est parti d’une moquerie. Quand quelqu’un est turbulent en Afrique, on dit que c’est un « bandit » pour dire une canaille. Ma grand-mère m’a dit un jour, avec son défaut de prononciation : « Toi tu es un blandi ». Donc mes amis ont commencé à se moquer de moi et c’est resté. Et je trouve ça joli, je l’ai pris ça comme nom d’artiste. Au début c’était Elvis Blondy parce que j’étais dans une période très rock. Et puis c’est devenu Alpha Blondy Pourquoi Alpha ? Parce que Dieu dans la bible dit : « Je suis l’Alpha, je suis l’Omega » (« Je suis l’alpha et l’Omega, le Premier et le dernier, le début et la fin », Apocalypse 22, 10-15, dernier livre du Nouveau testament, ndlr). Et comme je ne voulais pas monter sur scène en tant que moi, j’ai pris le nom d’Alpha Blondy. C’était une nouvelle naissance.

Votre militantisme est-il né avec le reggae ?

Non, j’écrivais déjà des chansons très révolutionnaires, car j’étais membre des Black Panthers section Afrique quand j’étais au collège. Et puis je faisais également partie du mouvement PUSCH (People United to Save Humanity), c’était la version très politique des Black Panthers.

Vous avez eu une période rock ?

Au départ je chantais mes textes sur une musique non-africaine, qui surfait du rythm’n blues à la Wilson Picket et aux sons avec des accents de guitare rock à la Led Zeplin, parce que c’était l’émergence de rockeurs africains (à force d’écouter tous les machins rock de l’époque). J’avais un groupe rock qui s’appelait les Atomic Vibrations. Mais le reggae, avec ses pulsations et son balancement hypnotiques laisse de l’espace à la narration pour pouvoir dire ce qui me faisait mal au ventre, ce que j’avais dans mes entrailles. Il fallait le sortir de façon clair pour que les gens comprennent ce qu’on dit. C’est pour cela que j’ai pris le reggae comme moyen d expression.

En tant que chanteur engagé, avez-vous déjà essuyer des menaces sur votre carrière ou votre vie ?

Oui, mais j’ai eu une chance inouïe. C’est plutôt la presse pro-gouvernementale qui avait la mission de briser ma carrière naissante, mais la majorité de frustrés dans les ghettos, dans les camps militaires, les soldats, les gendarmes s’identifiaient à moi, donc j’ai eu droit à la protection de ceux-là. À l’époque, plus la presse tirait sur toi, plus les gens m’aimaient, parce qu’on disait qu’au moins j’étais sincère. Je pense que si j’ai eu la vie sauve c’est grâce à Houphouët Boigny, sinon il y aurait eu des volontaires qui m’auraient descendu avec plaisir. J’ai bénéficié de la protection du Président à la faveur d’une affaire de drogue. Un jour la police est venue chez moi à 6h du matin pour m’arrêter. Sous prétexte que j’étais le plus grand fumeur de marijuana du golf de Guinée. On nous a emmenés directement chez le Président de la République avec un dossier épais comme celui de Ben Laden. Le Président m’a dit : « quand tu es très connu tu ne t’appartiens plus. Autour de toi il y a des gens qui t’utilisent comme bouclier pour faire du trafic de drogue. Et tu ne le sais pas. On ne va pas faire une double victime car pour que la marijuana arrive chez Alpha Blondy, c‘est qu’il y a des douaniers qui n’ont pas fait leur travail, c’est pourquoi la drogue a franchi des frontières pour arriver chez lui. On ne va pas en plus le condamner pour ça ». Il a dit « le dossier est classé ». Ce jour, le ministre de l’Intérieur a refusé de me serrer la main, parce que comme il voulait monter en grade, il voulait crucifier ce Jésus de la fumette. Houphouët, sans démagogie aucune, en déclarant ce dossier classé m’a sauvé la vie et le mouvement reggae dans le pays.

C’est pour cela que vous avez fait une chanson sur lui (« Jah Houpouët ») ?

Houphouët était un grand visionnaire. Il n’était pas parfait, il avait ses points faibles, je n’en disconviens pas. Mais il avait un programme pour les Etats-Unis d’Afrique. Il a fait venir la main-d’oeuvre du Burkina pour travailler dans les plantations de café et de caco. Et nous sommes aujourd’hui encore les plus grands producteurs de cacao. Ça il ne faut pas le lui enlever. Il a également fait venir toute l’élite africaine pour qu’elle puisse venir participer à la construction de la Côte d’Ivoire. Quand Houphouët s’est éteint, des apprentis sorciers, des blaireaux politiques sont venus. Et ils n’ont rien trouvé de mieux à faire que diviser la Côte d’Ivoire en criant à «l’ivoirité »… blabla. Tout ça nous a plongés dans la guerre. Eux sont très mal placés pour dire qu’Houphouët n’était pas à la hauteur.

Comment décririez-vous la situation actuelle en Côte d’Ivoire ?

Quand deux minables se battent, c’est une guerre « inter-minables ». Si la Côte d’Ivoire est rentrée dans cette guerre interminable, c’est que les leaders de la famille politique ivoirienne sont des minables, politiquement minables. Un problème domestique politique qui aurait pu se régler de façon ivoiro-ivoirienne, ils en ont fait une affaire d’ego individuel, d’ego mal soigné. Ils se sont gargarisés dans des gros mots français auxquels le peuple ne comprenait rien. Ils ont dressé les Ivoiriens les uns contre les autres. Le premier coup d’état a été fait par un minable (le chef d’Etat major Gueï, ndlr) qui a envoyé « l’ivoirité » dans les camps militaires. Les militaires se sont massacrés entre eux. Les survivants sont partis et ont pris les armes. Ils sont revenus pour se venger de leur bourreau qu’ils ont retrouvé camouflé derrière Gbagbo. Ils l’ont prévenu, mais il n’a pas compris. Gbagbo s’est retrouvé au bon endroit au mauvais moment. Cette guerre de « l’ivoirité » n’est pas la sienne. La famille politique ivoirienne dans son ensemble doit rendre compte aux Ivoiriens de leur incapacité politique. Ils sont tenus de ressouder cette Côte d’Ivoire cassée en deux.

Comment voyez-vous l’avenir du pays ?

Je suis de nature optimiste. Mais j’avoue qu’en tant qu’Ivoirien j’attends la fin des élections. J’espère qu’il n’y aura pas deux vainqueurs après les élections. Un scénario typique africain. Si ces élections se passent bien, dans la transparence je ne sais pas, je souhaiterais que le plus malhonnête gagne, que cette guerre finisse et que tous les Ivoiriens aient la paix. Parce que ne demandons pas des élections honnêtes en Afrique, ce n’est pas possible.

Certains artistes reggae ivoiriens semblent avoir choisi leur camps dans la crise. Quelle est votre position ?

Bédié est un minable, Alassane est un minable, Gbagbo est un minable. Parce que s’ils avaient été à la hauteur il n’y aurait pas eu de guerre. Je ne suis ni pro gouvernemental ni pro rebelle. Blé Goudé c’est mon « petit frère », tout comme Soro Guillaume. Tous deux ne sont que de jeunes syndicalistes qui ont été manipulés par les dirigeants politiques. À l’image des soldats au front. Les innocents s’entretuent pour des personnes qui se connaissent et qui ne s’entretuent pas. Les minables ne sont pas ceux qui sont au front, ce sont plutôt ceux qui sont dans les bureaux et qui envoient à l’abattoir les enfants des autres. Quant à ma position, vous savez quand deux personnes se tapent dessus, il faut éviter de prendre parti. Surtout quand ce sont ces personnes qui ont fait Alpha Blondy. C’est comme si ta main droite faisait la guerre à ta main gauche. Des deux côtés, ton mal est infini. J’ai opté pour le rapprochement, pour l’apaisement. Je ne veux pas faire ma promotion sur le cadavre de mes fans. Les artistes qui ont décidé de tirer sur leur pays pour redorer leur cote, je leur souhaite bon appétit.

Avez-vous déjà eu peur pour votre vie ?

Non pas du tout. Je ne veux pas voir le soleil quand ceux qui ont fait de moi ce que je suis sont en train de s’entretuer. Si ma mort peut les calmer que le Dieu me la reprenne.

La spiritualité est un trait extrêmement fort dans votre œuvre. Quelle est la foi selon Alpha ?

Pour moi la torah, la bible, le coran : c’est un seul livre. Tome 1, tome 2, tome 3. J’ai fait l’école coranique, j’ai fait l’école catholique, je suis allé au saint sépulcre à Jérusalem, J’ai des amis prêtes, rabbins et imams.

Et si je vous demande si vous êtes catholique, juif ou musulman ?

Je vais rire. Je vous dirais Dieu est ma religion. Dieu n’a pas de religion : il est religion. Son nom seul suffit. Après, chacun l’adore comme il veut. Dieu est un grand démocrate.

Après tant d’années de lutte et de militantisme, n’êtes-vous pas fatigué de vos combats ?

Le jour où Dieu sera fatigué de m’inspirer, je serais fatigué de vous répéter ce qu’il m’inspire.

On dit de vous que vous êtes une personnalité artistique ingérable, qui n’en fait un peu qu’à sa tête.

Je déteste l’attitude esclavagiste de certains tourneurs. Ils pensent que, comme j’ai besoin de faire des tournées en Europe, je dois leur lécher le cul. J’ai mal à la langue. Je n’ai jamais fait cela et je ne le ferais jamais. J’ai été consacré en Afrique avant de venir en France. Tout promoteur qui jouera le bâtard avec moi, je lui prouverai que je suis plus bâtard que lui. Si ma carrière n’est pas là où elle pourrait être aujourd’hui c’est parce que la musique est un choix. Je fais ce que j’aime. Je ne peux pas aller en face du public pour chanter à contrecœur. Ce n’est pas une salle pleine qui m’empêchera de dire au tourneur d’aller se faire foutre. Et je pense que mon public est d’accord avec moi. Car se foutre de ma gueule, c’est ce foutre de la gueule de mon public.

Quelle est votre actualité ?

C’est un very best of qui s’appelle Akwaba, ce qui signifie bienvenue. Dessus, il y a des petits frères comme Magic System qui ont apporté leur pierre à l’édifice en reprenant « Ya Foy ». Lester Bilal a repris pour sa part, « Sweet Fanta Diallo », les petits frères du 113 qui ont repris à leur façon « Travailler c’est trop dur ». Les Neg’Marrons ont repris « Cocody Rock ». J’ai également fait des titres avec le Saïan Supa Crew et UB 40. Autant de personnes qui ont grandi au son de cette musique-là et qui l’ont adaptée en fonction de leur propre sensibilité artistique.

Pour commander le disque d’Alpha Blondy, Akwaba Very Best of, chez Virgin (2005)

Avec la collaboration de Floréal Sotto

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