Ally Coulibaly : « La Tunisie et l’Egypte nous montrent la voie à suivre en Côte d’Ivoire »


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En conférence à Sciences Po Paris jeudi soir, l’ambassadeur ivoirien Ally Coulibaly, confirmé ce vendredi dans son poste par la justice française, a tenté de capitaliser sur les exemples égyptien et tunisien, alors que la répression par les partisans de Laurent Gbagbo continue dans son pays. Dans les médias ou la finance, il a également souhaité démontrer que le camp d’Alassane Ouattara gagnait chaque jour du terrain.

« L’usurpateur ». L’expression est choisie, pour désigner Laurent Gbagbo. Ally Coulibaly la répète, pour mieux convaincre son auditoire qu’il n’y a bien qu’un seul chef d’Etat ivoirien. Le nouvel ambassadeur de Côte d’Ivoire en France entend établir une nette distinction de valeur avec celui qui l’a nommé et qu’il désigne toujours par sa fonction, « le Président Alassane Ouattara ». Dans l’amphithéâtre de Sciences Po Paris où il donne conférence, ce jeudi soir, il entend porter haut sa cause, passée au second plan médiatique et diplomatique du fait des mouvements dans le monde arabe. Histoire de dire que le printemps pourrait bien aussi porter la démocratie en Côte d’Ivoire.

L’élu du peuple contre l’élu de Dieu

Des révolutions de Tunisie et d’Egypte, Ally Coulibaly entend retenir qu’« il n’y a pas de peuple qui ne mérite pas la démocratie ». Tout relativisme culturel est à proscrire, affirme-t-il avec force, et « l’Afrique a besoin de démocratie ». Désormais, les jeunesses de ces deux pays « nous montrent la voie ». L’effet rhétorique est bien là, on sent que le camp Ouattara souhaite s’inscrire dans ce « mouvement d’accélération de l’histoire » dont s’enthousiasme l’ambassadeur. Reste que la place Tahrir du Caire n’a pas pour l’heure d’équivalent à Abidjan, et que l’hôtel du Golf, quartier général du président reconnu par la communauté internationale, ressemble plutôt à « une forme de détention », des mots même d’Ally Coulibaly.

La répression exercée par le pouvoir de Laurent Gbagbo s’avère d’ailleurs sévère et l’ambassadeur recense « près de 500 morts depuis l’élection présidentielle qui s’est tenue les 31 octobre et 28 novembre, ndlr], du fait du comportement de ce prédateur d’un autre âge ». Le 28 janvier, sur [France Info, il parlait même d’un « début de génocide », qui viserait les Baoulé et les Dioula dont les habitations, marquées d’un « B » ou d’un « D » par les forces de Laurent Gbagbo, seraient ensuite visitées pour en enlever et exécuter les occupants. « La terreur est devenue le mode de gouvernement de Laurent Gbagbo », s’indigne Ally Coulibaly, qui dénonce également la « fantasmagorie mortifère » d’un président qui s’accroche à son poste, entouré de pasteurs évangéliques. « A défaut d’être élu du peuple, Laurent Gbagbo se considère l’élu de Dieu », résume-t-il ainsi d’un bon mot (voir la vidéo de France24 diffusée le 4 février).

A suivre

Mais ce n’est un homme condamné aux impuissantes critiques qui s’exprime. L’ambassadeur semble convaincu de la victoire inéluctable d’Alassane Ouattara : « Suivez l’actualité de ces prochains jours !, lance-t-il. Il ne faut jamais désespérer des peuples ». On voudrait bien croire que la fin de l’interminable crise ivoirienne approche. Hélas, ce n’est pas la première fois que les partisans d’ADO parlent de la sorte pour entretenir l’espérance. En attendant l’espoir qui tarde à poindre, le conflit fait rage pour asphyxier Laurent Gbagbo, à qui la faute revient de « conduire ainsi le pays au bord du gouffre ». La population en subit bien sûr les conséquences. « Mais face à la situation, que fallait-il faire ? L’usurpateur signe là le bilan des 10 ans de son règne ! », s’enflamme Ally Coulibaly pour justifier le conflit économique où chaque jour apporte une nouvelle bataille. Signe de l’intensité des hostilités, l’ambassadeur évoque d’ailleurs le départ des banques internationales suite aux conséquences économiques du « braquage de l’agence de la Banque centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) à Abidjan, fin janvier » sans savoir qu’au même moment, à Abidjan, Laurent Gbagbo décide d’une riposte avec la nationalisation des banques sur le départ.

De même, la bataille des médias continue, et Ally Coulibaly pense avoir là depuis quelques jours matière à se réjouir. Depuis l’élection, « Laurent Gbagbo s’est approprié les médias publics pour les transformer en radio et télé Mille collines », assène-t-il, en référence aux médias de la haine du génocide rwandais. Les journalistes sont de plus en plus empêchés d’exercer leur métier, ont dénoncé plusieurs organisations. Mais depuis la fin janvier, « à l’hôtel du Golf il y a une radio et une télévision qui émettent par satellite », explique-t-il. Radio Côte d’Ivoire, à ne pas confondre avec son homonyme de la Radiodiffusion-télévision ivoirienne (RTI) contrôlée par Laurent Gbagbo, a en effet désormais une déclinaison sur le petit écran, Télé Côte d’Ivoire. Les moyens sont rudimentaires, la captation difficile du fait des brouillages incessants, « mais les médias sont l’arme la plus importante qui soit, et nous n’en faisons pas comme Laurent Gbagbo un usage totalitaire ! », explique Ally Coulibaly. Reste encore la plus directe des batailles, celle qui plane depuis des mois sur le pays. Malgré le pacifisme affiché par son leader Alassane Ouattara, le ton de l’ambassadeur est résigné : « C’est déjà au prix du sang [par la rébellion armée, ndlr] que nous avons pu arriver à des élections », rappelle-t-il, amer.

Convaincre son auditoire

En se rendant à Sciences Po, probablement le représentant d’Alassane Ouattara espérait-il parler à des rangs moins épars d’étudiants. Une soixantaine de personnes au total s’était déplacée pour un événement relativement peu publicisé, organisée par une association étudiante de l’établissement. Très vite, le propos d’Ally Coulibaly gêne par un total manichéisme. L’ambassadeur dénonce vigoureusement « le Boulanger », celui qui « sait comment toujours rouler tout le monde dans la farine ».

Mais il est lui-même un homme de discours et fin orateur. Et son propos en direction des étudiants français, s’il entend établir quelques vérités, vise aussi à poser Alassane Ouattara comme l’homme providentiel pour en finir avec la crise politique. Pourtant, des idées de l’homme il ne dira rien, tout juste mentionnera-t-il une position « centriste ». Et ce n’est qu’une fois interrogé qu’il revient sur le parcours international de son président, brillant mais technocratique (FMI et BCEAO), pour tenter de mettre en valeur son dévouement à revenir au pays pour se « dévouer totalement » à la cause du peuple ivoirien.

Le « criminel » Gbagbo semble bien plus au cœur de sa communication. Ally Coulibaly n’a pas de mots assez durs, dans un parler littéraire et très imagé, visiblement travaillé au fil des interventions publiques qu’il enchaîne depuis sa nomination. « L’actualité nous amène la preuve que les dictatures les plus inexpugnables peuvent passer à la trappe de l’histoire », déclare-t-il par exemple dans une envolée de lyrisme. Mais son application à façonner les mots, un peu trop parfois, Ally Coulibaly la justifie implicitement : il n’y a que « d’un côté le perdant Laurent Gbagbo de l’élection et de l’autre le président élu et reconnu par la communauté internationale Alassane Ouattara », et toute tentative de ne pas prendre parti équivaut à rallier le camp du crime et du mensonge.

Note : Le tribunal de grande instance de Paris a déclaré ce vendredi non recevable l’assignation déposée par Pierre Kipré, prédécesseur pro-Gbagbo d’Ally Coulibaly à l’ambassade de Côte d’Ivoire à Paris. Les serrures du bâtiment de l’ambassade avaient été forcées fin janvier par les partisans d’Alassane Ouattara pour prendre possession des lieux, sous le regard complaisant des forces de l’ordre présentes sur place.

Photo : Ally Coulibaly, lors de la prise de l’ambassade de Côte d’Ivoire à Paris, le 25 janvier (capture Dailymotion/France24)

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