
Vingt-cinq ans après sa publication, Allah n’est pas obligé, le roman culte d’Ahmadou Kourouma trouve enfin son adaptation cinématographique. En compétition officielle au Festival d’Annecy 2025, le film de Zaven Najjar transpose l’univers brutal des enfants soldats dans une esthétique hybride 2D/3D qui refuse tout pathos.
Du 8 au 14 juin 2025, les rives du lac d’Annecy se sont transformées en capitale mondiale de l’animation. Dans les oeuvres présentées, Allah n’est pas obligé, première adaptation du roman d’Ahmadou Kourouma qui avait bouleversé le paysage littéraire en 2000. Couronné par les prix Renaudot et Goncourt des lycéens, ce récit d’un enfant soldat guinéen n’avait jamais trouvé preneur au cinéma. Il fallait attendre l’animation pour que Birahima, dix ans, trouve enfin sa voix à l’écran.
Une œuvre fondatrice enfin adaptée
Le roman de Kourouma occupait une place à part dans la littérature africaine contemporaine. Premier à donner la parole à un enfant soldat avec un réalisme cru mais non dénué d’humour, l’écrivain ivoirien avait créé un narrateur inoubliable : Birahima et ses « quatre dictionnaires » pour décrypter l’absurdité de la guerre. L’œuvre résonnait alors avec les conflits qui ravageaient la Sierra Leone et le Liberia dans les années 1990, offrant un témoignage littéraire sur une tragédie contemporaine.
« On vise un public adolescent et adulte« , explique le réalisateur Zaven Najjar. « En développant le film, c’est devenu évident. Le sujet et le livre sont trop durs pour que le film soit destiné au jeune public. Sinon, on serait passés à côté de quelque chose. Finalement, on est restés fidèles au public du roman. »
L’innovation technique au service du récit
Face à la violence du propos, Najjar a fait le choix d’une esthétique hybride audacieuse. Les décors peints en 2D contrastent avec des personnages et accessoires clés animés en 3D, volontairement moins fluide. Cette rugosité organique évite l’écueil du spectaculaire pour mieux servir le récit.
« L’ironie est l’essence de l’œuvre« , confie le réalisateur. Cette animation neutre fait écho à la violence brute du sujet, créant des ruptures de style assumées qui permettent de passer de la gouaille enfantine à la noirceur du champ de bataille. Le résultat : 77 minutes de cinéma qui ne cèdent ni à la complaisance ni à l’édulcoration.
Huit ans de gestation européenne
Le projet illustre les nouvelles dynamiques de coproduction du cinéma d’animation européen. Initié il y a près d’une décennie, Allah n’est pas obligé Le projet avait décroché un prix Ciclic dès le Mifa Pitch 2017. La production réunit Need Productions (Belgique), Paul Thiltges Distribution (Luxembourg), Les Films d’Ici (France), Lunanime (Belgique) et des partenaires canadiens.
L’odyssée du film reflète celle de son héros, le projet a mûri au sein des résidences du Festival d’Annecy et du CEE Animation Forum. Sa sélection en compétition officielle 2025 boucle un cycle de développement exemplaire, prouvant qu’Annecy joue aussi le rôle d’incubateur sur le long terme.
Un geste politique et mémoriel
En transposant la prose inventive de Kourouma dans une grammaire visuelle contemporaine, Najjar propose un geste politique. Rappeler que la guerre des enfants n’appartient pas au passé, que les conflits actuels perpétuent ces tragédies. Le format animé ouvre un espace de distance critique qui rend le sujet accessible aux jeunes adultes tout en questionnant les spectateurs aguerris.
Les premières réactions confirment cette ambition. Cineuropa salue « une adaptation percutante qui refuse tout pathos« , tandis que France 24 met en avant « l’itinéraire d’un enfant pris dans la tourmente, restitué sans occulter l’humour noir du roman« . Ce cocktail d’ironie et de lucidité rappelle que l’animation peut aborder des thèmes adultes sans perdre en force ni en poésie.
Vingt-cinq ans après sa naissance littéraire, Allah n’est pas obligé garde intacte sa capacité à désarçonner et à émouvoir.