Afrique : le lac Tchad se tarit


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À l’approche du bassin du lac Tchad depuis Maiduguri, dans le nord-est du Nigeria, un spectacle de désolation s’offre à la vue. L’air est poussiéreux, un vent violent souffle en permanence, les plantes dépérissent et la terre se transforme en dunes de sable. De temps à autre, des arbres et des buissons flétris interrompent une végétation clairsemée. La subsistance des éleveurs, pêcheurs et agriculteurs est directement menacée alors même que le lac s’assèche sous leurs yeux.

L’eau et la végétation, éléments de subsistance traditionnels pour les habitants des communautés du lac Tchad, disparaissent. Pendant que les vautours se régalent de cadavres de vaches, la sécheresse et la désertification font des ravages. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a qualifié la situation de « catastrophe écologique » et pense que ce siècle pourrait voir le lac disparaître.

Selon le Directeur de la Division des terres et des eaux de la FAO, Parviz Koohafkan, le bassin du lac Tchad est l’un des plus importants sites du patrimoine agricole mondial, qui assure la survie de quelque 30 millions de personnes réparties dans quatre pays : le Nigeria, le Cameroun, le Tchad et le Niger.

Le lac Tchad se situe à l’extrémité ouest du Tchad et dans le nord-est du Nigeria et s’étend également au Niger et au Cameroun. Il est principalement alimenté par le fleuve Chari et son affluent le Logone, qui autrefois représentait 90 % de son apport en eau. C’était auparavant en Afrique la plus grande réserve d’eau de la région du Sahel, qui occupait environ 26 000 kilomètres carrés, soit à peu près la taille de l’État américain du Maryland et une superficie plus grande que l’État d’Israël ou du Koweït.

En 2001, le lac couvrait moins d’un cinquième de cette surface. « C’est peut-être pire encore aujourd’hui », déclare Abbas Mohammed, climatologue à l’Université de Maiduguri (Nigeria).

Barrages et irrigation

Le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et la Commission du bassin du lac Tchad (CBLT), une structure régionale qui régule l’utilisation des eaux du bassin et d’autres ressources naturelles, estiment que les méthodes de retenue d’eau et d’irrigation inopérantes des pays riverains du lac sont en partie responsables de son assèchement. Emmanuel Asuquo-Obot du Fonds mondial pour la nature (WWF), une organisation qui se consacre à la conservation de la faune et de la flore, dénonce le détournement des eaux du fleuve Chari pour les projets d’irrigation et de barrages le long des fleuves Hama’are et Hadeja dans le nord-est du Nigeria.

À la suite de l’assèchement partiel du lac, la plupart des agriculteurs et des éleveurs se sont déplacés vers des zones moins arides, où ils se disputent les ressources foncières avec les communautés hôtes.

D’autres sont allés vivre à Kano, Abuja, Lagos ou dans d’autres grandes villes et y occupent des emplois de subsistance ou mendient dans les rues. Ceux qui résident encore à proximité du lac Tchad observent avec effroi la rapidité avec laquelle le lac se meurt. Par exemple, le village de Doran Baga, autrefois situé sur la rive, se trouve actuellement à 20 kilomètres du lac.

Alhaji Baba Garba, un pêcheur de 78 ans ayant passé sa vie sur les rives, explique qu’auparavant une grande partie du village était en bordure du lac. Puis, en désignant du doigt l’un de ses enfants âgé d’une trentaine d’années, il ajoute, « avant même la naissance de ce garçon, Suleiman ». Un autre villageois, Salisu Zuru, déplore la mort du bétail.

Le marché de Maiduguri, autrefois très animé, où l’on traitait les cargaisons de poissons en provenance du lac avant de les expédier vers d’autres régions du pays, est désormais très calme. Les villageois sont dorénavant obligés de voyager en pirogue ou à pied des jours durant pour se rendre de Doran Baga à Dabban Masara, puis à Darak en quête de nourriture. Darak est une communauté de pêcheurs aisés, située à l’est de la frontière camerouno-nigériane.

Les tensions s’accentuent

L’assèchement du lac Tchad est à l’origine de tensions au sein des communautés riveraines. Des habitants des différents pays se disputent le contrôle de l’eau restante. Par exemple, les Camerounais et les Nigérians du village de Darak se querellent constamment. Les Nigérians affirment être les premiers colons du village, alors que les Camerounais invoquent le sentiment d’appartenance nationale, étant donné que le village se trouve sur le territoire camerounais. Les pêcheurs exigent en outre des agriculteurs et des éleveurs qu’ils cessent de détourner les eaux du lac pour leurs terres et leur bétail.
La CBLT, fondée en 1964 par les dirigeants du Tchad, du Nigeria, du Cameroun et du Niger, auxquels s’est jointe la République centrafricaine en 1994, et ses partenaires continuent leurs efforts pour sauver le lac ou tout au moins pour atténuer les effets de son assèchement sur la vie des populations. Dans son livre Une vérité qui dérange, l’ancien Vice-Président des États-Unis, Al Gore, a montré plusieurs images du lac, passant de 25 000 kilomètres carrés en 1963 à seulement 1 500 kilomètres carrés en 2001. Une image satellite de 2007 fait cependant apparaître une amélioration par rapport aux années précédentes.

La récente sécheresse pourrait avoir une nouvelle fois aggravé la situation, déclare M. Mohammed de l’Université de Maiduguri. Il exhorte la CBLT et ses partenaires à étudier l’impact du changement climatique, ainsi qu’à contrôler les barrages et systèmes d’irrigation des pays membres de la CBLT.

Plans de remise en eau

Les pays membres de la commission ont élaboré des plans de remise en eau du lac au moyen d’un barrage et d’une centaine de kilomètres de canaux qui permettront de pomper l’eau en amont du fleuve Congo pour l’acheminer vers le fleuve Chari, puis vers le lac Tchad. Le plan de remise en eau « sera le premier de cette nature en Afrique », déclare Martin Gbafolo, Directeur des ressources en eaux et de l’environnement de la CBLT. La commission a réuni plus de 3,7 millions d’euros pour une étude de faisabilité. Même si le coût total du plan ne sera pas connu avant la fin de l’étude, les experts, parmi lesquels M. Mohammed, estiment qu’une injection de fonds considérable sera nécessaire pour sauver le lac.

La Banque mondiale a déjà alloué 8 millions d’euros à un projet destiné à enrayer la dégradation des terres et des eaux dans certaines parties du lac. En outre, la CBLT explique aux éleveurs comment accéder aux pâturages et aux points d’eau. On enseigne aux usagers des méthodes d’utilisation plus efficaces de l’eau et aux pêcheurs des techniques de pêche mieux adaptées.

En octobre 2011, lors de l’ouverture de la session Afrique du Forum mondial du développement durable à N’Djamena (Tchad), le Président nigérian Goodluck Jonathan a souligné la détermination collective des dirigeants des pays membres de la CBLT à sauver le lac. Mais parmi les 30 millions de personnes qui en dépendent, beaucoup se demandent combien de temps encore le lac sera là et quand ils pourront enfin pousser un soupir de soulagement.

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