Afrique : le fléau des faux diplômes


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Diplôme
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La falsification des documents universitaires est, en Afrique, un problème systémique et largement alimenté par une corruption toujours galopante. Pour s’en prémunir, l’Éthiopie a décidé de confier la certification de ses diplômes à la société suisse SICPA, qui a développé une technologie associant blockchain et QR-Code.

Un fléau en croissance

On connaissait les « fermes à trolls » russes ou chinoises, voici les « usines à faux diplômes » pakistanaises. En 2018, la télévision britannique BBC a révélé l’existence, à Karachi, d’une société spécialisée dans la génération de faux documents universitaires : baptisée Axact, la société aurait écoulé des centaines de milliers de faux diplômes dans le monde, dont plusieurs milliers au bénéfice de clients anglais – dont certains exerçaient, abusivement et sans les qualifications nécessaires, des fonctions médicales au sein du service de santé britannique (NHS). Réalisant un chiffre d’affaires d’une cinquantaine de millions de dollars par an, la société ne se contentait pas de faire payer au prix fort ses faux documents ; elle exerçait parfois un chantage sur ses propres clients, leur extorquant des sommes faramineuses contre la promesse de garder le silence.

Véritable sésame ouvrant la porte à de prestigieuses carrières, un diplôme vaut de l’or – et recalés des concours, opportunistes et faussaires en tout genre l’ont bien compris. Largement sous les radars médiatiques, ce trafic – car c’en est un – est un phénomène mondial, qui a encore pris de l’ampleur depuis la crise sanitaire et grâce aux nouvelles technologies. Selon certaines sources citées par la plateforme ETICO de l’Unesco, le poids de l’industrie mondiale de la fraude académique serait ainsi passé de 1 milliard de dollars en 2015 à… 22 milliards de dollars en 2022 – des chiffres qu’il convient de prendre avec précaution, mais qui donnent une idée de la progression exponentielle d’un phénomène face auquel établissements universitaires, « vrais » diplômés et recruteurs publics comme privés sont peu ou mal préparés, quand ils n’ignorent pas tout de son existence.

L’Éthiopie se paye la solution du groupe SICPA pour faire face au phénomène

Se jouant des frontières, la problématique des faux diplômes est particulièrement saillante en Afrique, où le fort taux de chômage des jeunes, la corruption et les moindres moyens des universités locales pavent la voie aux fraudeurs. Au Congo par exemple, le phénomène serait, selon la presse nationale, « endémique », affectant « la quasi-totalité des administrations ». En Tunisie, « des milliers de fonctionnaires » auraient été recrutés sur la foi de faux documents ; le phénomène serait répandu tant dans l’éducation nationale qu’au sein de compagnies aériennes. Et, au Cameroun, plus de mille élèves gendarmes ont été radiés en 2022 pour avoir utilisé de faux diplômes afin d’intégrer leur formation de gardiens de la paix. L’Éthiopie n’est pas épargnée : en début d’année, l’Autorité de l’éducation et de la formation a ainsi identifié près d’un millier de certificats contrefaits sur un total de 18 000 diplômes passés au crible.

Si le pourcentage (un peu plus de 5%) de faux diplômes repérés peut sembler relativement faible, il a suffi au gouvernement éthiopien pour se décider à prendre, enfin, le problème à bras-le-corps. Les autorités d’Addis-Abeba se sont alors attaché les services de la société suisse SICPA, le leader mondial des solutions de traçabilité. Depuis le mois d’août, l’entreprise déploie en Éthiopie une solution numérique intitulée CERTUS, présentée comme une méthode rapide et sécurisée pour protéger et identifier les documents imprimés et certificats numériques. Quelque 4 000 codes de sécurité ont d’ores et déjà été livrés, pour une période d’essai, à plusieurs établissements d’enseignement supérieur éthiopiens, et 24 000 nouveaux codes devraient être fournis d’ici peu à l’Autorité de l’éducation.

Concrètement, CERTUS combine un sceau de sécurité numérique innovant, protégé par la technologie blockchain, avec un QR-Code sécurisé directement appliqué sur les documents en question. Un moyen, pour les universités comme les recruteurs, de savoir immédiatement si le diplôme présenté est valide ou non, tout en protégeant la réputation des autorités émettrices ainsi que la confiance dans les qualifications acquises par les « vrais » diplômés. Preuve de son succès, la technologie de SICPA a déjà été déployée au Mexique, où elle équipe désormais plusieurs universités dans un pays où la fraude académique s’est imposée comme un triste sport national. Mais cette véritable pandémie de faux diplômes ne se cantonne pas aux seuls pays en développement : mondialisé, le phénomène n’épargne pas les pays les plus développés, comme la France.

La France aussi touchée

Car dans l’Hexagone aussi, le trafic de faux diplômes prend des proportions inquiétantes. D’après les chiffres recueillis par la société spécialisée Verifdiploma, 6 % des documents vérifiés en 2020 seraient des faux. « Dans 50 % des cas de fraude, les candidats n’avaient jamais mis les pieds dans l’école ou l’université mentionnée, et 50 % avaient bien suivi la formation, mais n’avaient pas obtenu le diplôme », d’après le directeur général de l’entreprise, selon qui un quart à un tiers des CV comprendraient des informations erronées. Plusieurs grandes écoles, plus susceptibles que d’autres établissements moins prestigieux de faire l’objet d’une fraude de la part d’anciens élèves, sont touchées par le phénomène et certaines, à l’image de l’EM Lyon, ont aussi décidé d’apposer un système de sécurité sur leurs diplômes. Le début, en France comme en Afrique, d’une salutaire prise de conscience ?

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