
L’Audiencia Nacional passe à la vitesse supérieure. Devant l’absence de collaboration de Paris et de Tel-Aviv, le juge espagnol José Luis Calama sollicite l’intervention de l’Union européenne. L’objectif : forcer l’accès aux preuves techniques détenues par la France qui confirment l’implication des services marocains dans l’espionnage des gouvernements espagnol et français.
L’étau judiciaire se resserre, menaçant de fragiliser l’équilibre diplomatique entre Madrid, Paris et Rabat. L’Audiencia Nacional espagnole a décidé de solliciter officiellement l’aide d’Eurojust (l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire) pour débloquer l’enquête sur l’espionnage via le logiciel Pegasus.
Selon des sources juridiques révélées par les médias espagnoles, cette démarche fait suite à un constat d’échec de la coopération bilatérale : huit mois après avoir demandé l’accès aux informations transmises par la société israélienne NSO Group aux autorités françaises, le juge José Luis Calama n’a toujours reçu aucune réponse de Paris.
Une coopération judiciaire au point mort
En février 2025, le magistrat espagnol avait émis une nouvelle ordonnance d’enquête européenne (OEE). Son constat était sans appel : les données partagées jusqu’alors n’apportaient « aucune nouveauté » permettant d’identifier formellement les auteurs de l’intrusion dans les téléphones du Premier ministre Pedro Sánchez et de ses ministres.
Face à ce blocage et au silence persistant d’Israël qui a ignoré quatre commissions rogatoires depuis 2022, le juge Calama juge désormais indispensable l’intervention d’Eurojust pour obtenir l’audition du PDG de NSO Group et, surtout, accéder aux dossiers complets détenus par la justice française.
L’empreinte numérique : la preuve qui accable Rabat
Ce qui motive l’insistance espagnole, c’est une découverte technique majeure réalisée par le Centre cryptologique national (CCN) espagnol. Les experts ont accrédité l’existence d’une infrastructure informatique unique utilisée pour cibler à la fois les victimes espagnoles et françaises. La clé de voûte de cette accusation repose sur un élément précis : le compte email linakeller2203@gmail.com.
- Côté espagnol : Ce compte a servi à infecter les terminaux de Margarita Robles (Défense) et Fernando Grande-Marlaska (Intérieur).
- Côté français : La même adresse a été utilisée pour cibler Claude Mangin (activiste pro-saharaouie), un diplomate du Front Polisario, ainsi que le journaliste marocain exilé Hicham Mansouri.
Cette convergence technique confirme l’hypothèse d’un opérateur unique. De plus, les exfiltrations massives de données des téléphones espagnols coïncident parfaitement avec la crise migratoire de Ceuta en mai 2021, moment de tension extrême entre Madrid et Rabat.
Ces avancées judiciaires placent le gouvernement de Pedro Sánchez dans une position délicate. Si la responsabilité du Maroc venait à être judiciairement actée, cela risquerait de mettre à mal le réchauffement des relations entre les deux pays frontaliers, pilier de la politique étrangère espagnole.
La France : entre enquête « enterrée » et prudence d’État
D’un côté, le directeur de cabinet de Pedro Sánchez, Óscar López, qualifiait encore en avril dernier la piste marocaine de « théorie conspirationniste« . De l’autre, le ministre de l’Intérieur a récemment décoré Abdellatif Hammouchi, patron du renseignement marocain (DGST), pourtant soupçonné d’avoir supervisé l’espionnage massif via Pegasus.
Si l’Espagne s’active, la France semble jouer la montre. Malgré une liste de victimes vertigineuse révélée dès juillet 2021, incluant le président Emmanuel Macron, 14 ministres (dont Gérald Darmanin, Edouard Philippe et Bruno Le Maire), et des journalistes comme Edwy Plenel, fondateur de Mediapart, l’enquête avance dans le plus grand secret.
Selon France Info, les services français ont depuis des années, la « certitude » de l’implication marocaine. Pourtant aucune accusation publique n’a été formulée. Pour Reporters Sans Frontières (RSF), l’instruction française risque même d’être « enterrée » pour des raisons de Realpolitik.
Je suis sans soutien public, témoigne Claude Mangin sur France Info « Moi qui n’ai pas de casier judiciaire, qui suis chevalier dans l’Ordre national du Mérite, qui travaille dans des domaines sociaux… Là, je suis complètement abandonnée.. ».
L’initiative espagnole via Eurojust pourrait bien forcer la main de Paris, obligeant la France à choisir entre la protection de ses secrets diplomatiques avec le Maroc et ses obligations de coopération judiciaire européenne.




