65 ans d’indépendance, Dr Dieudonné Awo : le Bénin « a connu trois espèces de gouvernants »


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Dieudonné Awo, Maître de Conférences en Hitoire économique et sociale à l'Université d'Abomey-Calavi
Dieudonné Awo, Maître de Conférences en Hitoire économique et sociale à l'Université d'Abomey-Calavi (@ Friedrich Ebert Stiftung)

Le 1er août 1960, le Dahomey, une colonie française de l’Afrique occidentale, accédait à l’indépendance. Ce 1er août 2025, ce pays devenu depuis 1975 le Bénin, célèbre le 65e anniversaire de cette accession à la souveraineté nationale et internationale. Un moment de fête, certes, mais surtout un moment de réflexion, de bilan dans la marche de l’histoire de cet État. Pour faire cet exercice, Afrik.com s’est rapproché du Dr Dieudonné Awo, Maître de Conférences en Histoire économique et sociale, enseignant au Département d’Histoire et d’Archéologie de l’Université d’Abomey-Calavi, et par ailleurs observateur attentif de la scène politique béninoise dont il est l’un des acteurs.   

Afrik.com : Le Bénin s’apprête à célébrer le 65e anniversaire de son accession à la souveraineté nationale et internationale. Rappelez-nous, Dr Dieudonné Awo, en quelques mots le contexte qui prévalait dans le pays au moment de la proclamation du 1er août 1960.

Dr Dieudonné Awo : C’est exact que le Bénin célèbre, ce 1er août le 65e anniversaire de son accession à la souveraineté internationale. Et pour répondre à la question, je voudrais que nous nous remémorions un peu les choses pour dire qu’en septembre 1958 déjà, la colonie du Dahomey, qui avait voté oui au référendum gaulliste, était devenue membre à part entière de la Communauté française. Et donc la colonie du Dahomey, en ce moment, a évolué sous la Constitution de l’Union française. Mais, le succès de Monsieur Hubert Maga du Rassemblement démocratique dahoméen (un des partis politiques de l’époque, ndlr) aux élections législatives de 1959 lui avait permis de constituer le gouvernement provisoire de la future République du Dahomey.

L’atmosphère, l’ambiance dans laquelle les Dahoméens se trouvaient en ce moment était une ambiance de joie mêlée de rivalités politiques parce que, figurez-vous, les trois principaux leaders politiques charismatiques de l’époque, je veux nommer Marcellin Sourou Migan Apithy, Hubert Koutoukou Maga et Justin Tomètin Ahomadégbé qui étaient des rivaux politiques animaient la vie politique à travers leurs militants. Donc, c’était une ambiance politique très mouvementée qui a conduit la colonie vers l’indépendance. La victoire de Maga en 1959 a permis à ce dernier d’accroître un peu plus sa cote de popularité par rapport à celle de ses protagonistes, de ses adversaires politiques et de se mettre au-devant de la scène pour conduire la colonie à l’indépendance.

C’était une atmosphère de rivalités politiques, de tensions sociales latentes parce que les militants se talonnaient les uns les autres. C’est pourquoi on peut également noter que ce climat était un peu délétère. Mais, il faut dire qu’au-delà de ces tensions politiques, il y avait la joie d’accéder à l’indépendance qui était partagée par tous les Dahoméens. Ces derniers étaient pressés d’aller à l’indépendance, pressés surtout de prendre en charge leur propre destinée et de pouvoir prendre la place de l’administrateur colonial français afin de gérer le jeune État en fonction de leur vision et de leurs orientations politiques.

Pour vous, que représentent 65 années dans la vie d’un État ?

Je vous dirai tout simplement que dans la vie de l’État en tant qu’institution, ma foi, 65 ans, ça ne veut pas dire grand-chose ; c’est peu de choses pour espérer la métamorphose qu’il faut pour un bon vivre sociétal acceptable. 65 ans, c’est peu de chose ; mais, dans la vie des individus, c’est beaucoup. Vous aurez constaté avec moi que de 1960 à aujourd’hui, notre pays a, dans son évolution institutionnelle, connu trois espèces de gouvernants – vous excuserez le qualificatif –. La première espèce a dirigé le pays de 1960 à 1972. Et cette espèce est caractérisée par la volonté d’aller vite, le désir de rattraper le gap économique et social accusé après plus de six décennies de colonisation. Donc le désir de combler ce retard accusé a amené les premiers gouvernants à chercher à aller vite, et c’est aussi cela qui explique cette valse d’instabilité institutionnelle que nous avons connue au cours de cette période.

De 1960 à 1972, si notre pays a été qualifié d’ « enfant malade de l’Afrique », ce n’était pas forcément que les Dahoméens, que les cadres, que l’élite nationale avaient juste voulu prendre le pouvoir pour le pouvoir. Mais, il faut y voir aussi le désir, la volonté de chacun de pouvoir contribuer à la construction de l’édifice national, quand bien même il y a eu des tares, des ratés sur lesquels je ne voudrais pas revenir ici en termes de malversations, de mauvaise gouvernance, etc.. Il y a fondamentalement eu le désir d’aller vite, de rattraper ce déséquilibre, ce retard économique, social et politique. Le véritable problème avec cette espèce de gouvernants, c’est qu’ils n’ont pas pris le temps de se projeter dans le futur et le futur lointain pour planifier le développement, la construction du pays comme cela se devait.

La seconde espèce de gouvernants, c’est celle-là qui a caractérisé la période 1972-1989/1990 marquée par l’expérience du régime militaro-marxiste avec le Président Mathieu Kérékou qui a dirigé le pays au cours de cette période. Toujours dans la volonté, le désir de combler le gap, de tourner le dos à l’ancien colonisateur, l’ancienne métropole, les dirigeants ont opté pour le marxisme-léninisme. Mais, cette expérience n’a pas prospéré parce que la politique de l’État-gendarme a montré également ses limites, l’État qui devrait tout faire, construire les infrastructures, animer les différentes structures économiques, apporter le bien-être social aux citoyens, etc.. Cette seconde espèce de dirigeants s’est butée également contre des difficultés, notamment : crise économique, malversations, entre autres.

Donc, en 1990, la troisième espèce de dirigeants s’est installée au pouvoir. Ainsi, de 1990 à nos jours, vous constaterez avec moi que cette nouvelle espèce de dirigeants est une espèce prévoyante, une espèce qui se projette dans l’avenir, qui élabore des plans de développement perspective à long terme, parce que chemin faisant, la maturité a commencé à s’acquérir dans la gestion du pouvoir public, dans la gestion de l’État. Cette troisième génération de gouvernants que nous avons aujourd’hui a pris conscience qu’on ne pourra pas construire un pays de façon définitive dans l’intervalle d’un ou de deux mandats présidentiels. Ils ont compris qu’il faut un plan de construction perspective à long terme et de façon à ce qu’à la faveur de l’alternance politique, l’alternance démocratique au pouvoir, au sommet de l’État, chaque équipe puisse venir et qu’elle puisse s’inscrire dans la dynamique consensuellement mise en place sur le long terme, et pouvoir agir, apporter sa pierre à l’édifice pour que le développement du pays se fasse de façon plus rassurante.

C’est dans cette logique que nous sommes aujourd’hui, et vous aurez constaté bien sûr qu’il y a de cela quelques semaines, un autre plan de développement perspective 2060 a été élaboré, ce qui est une très bonne chose. Et c’est également un gage de ce que le développement du pays préoccupe au plus haut niveau les dirigeants aujourd’hui et avec la conscience que c’est en se relayant à la tête du pays qu’on pourra aller au développement social, au développement économique, au développement politique escompté pour le bien-être de tous les Béninois. Voilà ce que je peux dire dans ce sens-là pour montrer que 65 ans, ce n’est rien du tout dans la vie d’un État, parce qu’il y a des États qui ont déjà fait deux siècles, des États qui ont déjà fait trois siècles ; quand vous voyez le développement de ces États-là, on y voit la maturité, on y voit l’expérience et puis on y voit le savoir-faire. Le Bénin ne fait pas exception sur ce chemin-là. L’indépendance est acquise, le Dahomey aujourd’hui Bénin fait son petit bonhomme de chemin avec ses difficultés, avec ses peines et avec ses joies. Mais, il avance de façon rassurante sur le chemin du développement national.

Les douze premières années qui ont suivi l’indépendance du Dahomey étaient marquées par une forte instabilité politique, vous l’avez rapidement rappelé. Selon vous, qu’est-ce qui expliquait cette grande fébrilité politique ?

Comme vous l’avez remarqué, ma réponse à votre deuxième question aborde déjà brièvement cette préoccupation-là. D’abord, à mon entendement, tel que je l’ai dit, ces premiers dirigeants, que je qualifie de la première génération, avaient été mus presque unanimement par le désir de rattraper un retard économique et social accusé au cours de la période coloniale. Et donc cette volonté d’aller vite avait amené chacun à vouloir participer, à vouloir apporter sa pierre à la construction de l’édifice national. Ces dirigeants s’étaient mis dans une vision à court terme et avaient pensé que la construction d’un pays était semblable à la réalisation d’un édifice qui pourrait s’inscrire dans un mandat, dans un quinquennat. Et c’est par la suite que chacun d’eux s’est désillusionné puisqu’ils ont fini par comprendre qu’on ne saurait atteindre le bon niveau de développement économique d’un pays en un ou deux mandats.

Deuxième raison, il faut dire que nous étions sortis de la période coloniale, et ces premiers dirigeants avaient encore en eux le legs colonial, donc la politique de diviser pour régner puisque la métropole étant partie le 1er août 1960, elle s’est retirée, mais continuait à agir sur les néo-colonies, les jeunes États indépendants par gouvernants interposés. Dans ce sens-là, il y a que les agitations politiques de la période étaient également téléguidées par l’ancien colonisateur, donc la France, qui ne voulait pas de la quiétude de ces jeunes États pour leur permettre d’amorcer le processus du développement économique, comme cela se devait. Et nos dirigeants de cette période ont, selon moi, péché en ce sens que la fibre patriotique, la fibre nationaliste a cédé au profit de ce relent néo-colonialiste qui les a dominés et qui les a empêchés de donner plus priorité à la sécurité, à la protection de l’héritage national que de continuer par servir l’ancien maître.

Voilà la lecture que je fais de cette période de grandes turbulences qui pouvaient s’expliquer par des raisons aussi bien internes que par des causes exogènes. En termes de raisons internes, c’est ce que j’ai dit à savoir que chacun brûlait d’envie de contribuer très rapidement au relèvement de ce retard économique et social accusé. Mais, du point de vue des causes exogènes, c’est l’ancienne métropole qui est partie, mais qui est restée dans l’ombre tout près et qui a agi pendant toute cette période. Elle continue aujourd’hui d’agir, bien sûr, mais pendant la période dont nous parlons, elle a agi par dirigeants interposés, donc la politique de diviser pour régner dont les jeunes États anciennement colonisés surtout par la France ont hérité. Cette politique-là s’est poursuivie au cours de ces douze premières années de l’indépendance.

En revanche, avec l’avènement de Mathieu Kérékou après le coup d’État du 26 octobre 1972, le pays est entré dans une longue période de stabilité politique. Comment Mathieu Kérékou a-t-il réussi à asseoir son pouvoir dans ce pays réputé ingouvernable depuis la période coloniale ?

Vous constatez avec moi qu’après le coup d’État du 26 octobre 1972, le pays a connu une stabilité sous le règne du Président Mathieu Kérékou qui a dirigé le régime du PRPB (Parti de la révolution populaire du Bénin, ndlr) jusqu’en 1989. Et pour répondre à votre question, je dirai que la raison est toute simple. Elle est simple en ce sens qu’il y a la conjoncture nationale qui était déjà favorable, les Dahoméens étant fatigués des coups d’État, surtout que ces coups d’État amenaient à la tête du pays des dirigeants qui se trouvaient presque dans l’incapacité de résoudre les problèmes sociaux, les problèmes économiques du pays. Donc les Dahoméens en avaient vraiment assez des coups d’État, et l’avènement du Président Mathieu Kérékou après le putsch du 26 octobre 1972 était accueilli avec un grand soulagement. Ça, c’est la première chose.

La deuxième, c’est qu’il faut dire que les discours, les pratiques politiques du Gouvernement militaire révolutionnaire de 1972 à 1975, d’abord les trois premières années du déclenchement de cette révolution, avaient rassuré les Dahoméens devenus Béninois en 1975 de ce que l’avenir augurait d’un mieux-être. Quand vous voyez le discours-programme du 30 novembre 1972, c’était la première fois qu’un gouvernement dahoméen avait pris le courage de poser un diagnostic clair des maux qui minaient le pays et d’indexer l’ancien colonisateur donc la France comme étant le plus grand responsable des maux qui minaient le pays. C’était un discours fracassant, un discours poignant, un discours plein d’espoir. Et ce discours n’était pas resté à cette étape de diagnostic, il a également proposé les remèdes à apporter comme solution pour les différents maux qui ont été identifiés.

Ainsi, de 1972 à 1975, la période qu’on appelle les trois glorieuses avait suscité beaucoup d’espoir chez les Dahoméens devenus Béninois. Le Président Kérékou avait réussi à asseoir sa gouvernance sur une base de confiance démontrée à travers les discours et à travers les faits, parce que le chef de l’État et les autres membres du GMR se sont posés comme étant les nouveaux messies des Béninois. Cela a été bien accueilli et les Béninois ont décidé de leur faire confiance. Par la suite, la France à laquelle le Dahomey a tourné dos pour faire une option de développement socialiste en 1974, ne s’est pas laissé faire. Elle a suscité des rébellions, elle a monté des cadres militaires comme des cadres civils, des gens qui avaient eu pour mission de paralyser la révolution paysanne qui s’est déclenchée sous le leadership du Président Mathieu Kérékou. Il faut dire que cette période a également été caractérisée par le développement de la formation patriotique, la formation civique qui avait eu une grande influence sur la masse, et les stratégies d’organisation de la masse qui ont été mises en place et qui ont permis d’embrigader véritablement la jeunesse, en tout cas les groupes socio-professionnels dans des étaux idéologico-politiques qui ont permis de les conduire sans grande réaction jusqu’en 1989.

Troisième raison, il faut dire que la prospérité que la première décennie de l’expérience révolutionnaire avait apportée aux Béninois, aux populations à la faveur de la conjoncture économique sous-régionale et internationale, avait ravivé la confiance que les Béninois avaient placée en leur Président, Mathieu Kérékou. Jusqu’en 1982, la prospérité économique a permis aux Béninois de mieux vivre, de vivre à leur aise et de se réaliser socialement. Et cela a permis également aux fonctionnaires qui ont été régulièrement payés à juste valeur, avancés en grades, en indices et autres de se calmer ; les mouvements syndicaux ont mis la balle à terre, et la fusion de ces différents mouvements syndicaux en cette grande organisation, l’UNSTB (Union nationale des syndicats des travailleurs du Bénin, ndlr) a permis d’étouffer les velléités de révoltes. Alors, il a fallu attendre les années 1983, 1985 jusqu’en 1986 pour que la crise économique aidant, les difficultés de gestion aidant, nous assistions à un retournement de la situation en défaveur du régime du PRPB. Et donc les difficultés économiques ont contribué aux levées de boucliers auxquelles on a assisté par la suite.

De façon subsidiaire, on pourrait également citer parmi les différentes armes que le Président Mathieu Kérékou a su utiliser pour maintenir la cohésion, la paix et la stabilité politique au cours de cette période, la peur, c’est-à-dire l’instauration d’un régime de peur, la distillation de la peur au sein de la population à travers ce qu’on a appelé l’embrigadement des masses populaires. La peur d’être emprisonné, la peur du gendarme et tout le système de contrôle qui a été mis en place ont permis de maintenir les Béninois dans un carcan d’étouffement qui les a empêchés de s’agiter comme ce fut le cas au cours de la première décennie ayant suivi l’indépendance. Mais, il faut dire que l’un dans l’autre, cette période a quand même permis de maintenir une stabilité politique qui a été profitable pour le pays, et n’eurent été l’avènement de la crise économique internationale et la stratégie de sabotage des structures économiques qui a été mise en place et entretenue par ceux que les partisans du PRPB ont appelé les « valets locaux », les « ennemis de la révolution » à la solde de la France, on pourrait dire que cette période a été une période de grande accalmie. Cependant, il y a eu des velléités, mais des velléités qui ont été étouffées. Au cours de cette période, le Président Mathieu Kérékou a réussi à travers le système mis en place à désamorcer près de cinq coups d’État dont le plus célèbre était celui du 16 janvier 1977.

Depuis 1990, le pays fait l’expérience du pluralisme politique et du libéralisme économique. Quel regard portez-vous sur les performances économiques du Bénin en 35 années de mise en œuvre du libéralisme économique ? Les Béninois vivent-ils bien aujourd’hui ?

Je suis tenté de répondre par l’affirmative parce que le processus démocratique qui a été enclenché depuis 1990 fait son petit bonhomme de chemin. Comme je le dis, 35 ans d’expérience démocratique, ce n’est rien du tout dans la vie politique d’un État. C’est peu de chose. On ne peut pas en 35 ans d’expérience démocratique penser que tout devrait déjà être rose puisqu’au cours de cette période, la démocratie – qui est importée vers l’Afrique en tout cas sous sa forme actuelle qu’on lui connaît, elle est importée et même exigée par les institutions de Bretton Woods – a connu des hauts et des bas. C’est vrai que la constance qu’on pourrait y observer, c’est l’alternance régulière au pouvoir, le changement d’équipes à la tête du pays, la mise en place des différentes institutions de contre-pouvoir et puis le bon fonctionnement des autres institutions politiques régaliennes et tout ça, c’est une bonne chose.

En matière de croissance économique, j’avoue que l’évolution n’est pas rectiligne ; elle est sujette à des hauts et des bas comme dans toute économie dans le monde. Vous savez, l’économie n’évolue pas de façon linéaire. Donc, de 1990 à nos jours, on a connu des hauts et des bas, on a connu des croissances économiques soutenues, on a connu des périodes d’effondrement. La croissance a évolué à un rythme moyen de 3 à 4 % avec des pics de 6 %, de 8 % et puis avec des creux de vase de 2 %. Mais globalement, on a tout espoir aujourd’hui que le Bénin avance et que son économie se consolide parce que c’est une question de mise en place des structures économiques. Et la mise en place de ces structures est une donnée de longue haleine ; il faut mettre du temps pour bâtir des fondements économiques solides. Et je crois que depuis 2016, ma foi, c’est à cela que nous assistons véritablement ; nous assistons à la mise en place de ces structures, de ces fondements économiques solides. Le Président Patrice Talon et son équipe travaillent au quotidien pour poser les bases économiques qui vont porter le pays et porter sa croissance économique à un niveau enviable pour l’avenir. La preuve en est que malgré la crise du Covid-19, le Bénin est resté dans la catégorie des pays à performance exceptionnelle de la sous-région.

Alors, les Béninois vivent-ils bien aujourd’hui ? Je suis tenté de répondre oui et non. Oui, les Béninois vivent mieux aujourd’hui. Même si les gens trouvent que le panier de la ménagère n’est pas reluisant, n’est pas consistant, ce qu’il sied de noter, c’est que le niveau de confort social que le Béninois lambda a atteint aujourd’hui en se déplaçant dans les rues de Cotonou, en se déplaçant à l’intérieur du pays, et en termes d’infrastructures, en termes de réalisation de routes bitumées, en termes d’extension du réseau électrique et du réseau d’eau, en termes de construction d’infrastructures marchandes, en termes de construction d’infrastructures sociales, les stades omnisports et autres, je crois que le niveau social du Béninois commun aujourd’hui s’améliore et de façon rassurante. C’est donc normal que le Béninois d’aujourd’hui ne se sente pas bien vivre parce que… rire… quand on nous demande de serrer la ceinture, quand vous êtes à l’œuvre de la construction, il y a le prix à payer. Et ce prix, c’est la mortification de la chair, ce sont les privations, c’est le renoncement à certaines libertés d’action. C’est tout cet ensemble qui fait croire au Béninois lambda aujourd’hui qu’il ne vit pas bien.

Et si nous réduisons la construction nationale à la vie d’un couple, à la vie d’un ménage, lorsque le père de famille se met dans un chantier de construction, lorsque vous décidez de réaménager votre cadre de vie, si vous viviez dans une maison en banco, et que vous décidez de construire une maison en béton ou en briques dures, dallée, ce qu’on appelle rez-de-chaussée, pour changer de confort, mais il y a bien sûr le prix à payer. C’est par exemple que vous ne changez plus régulièrement de vêtements, vous n’achetez plus des chaussures à tout bout de champ, vous ne mangez plus les repas les plus copieux de façon régulière, etc.. Il y a des privations que tous les membres de la famille se donnent pour atteindre un objectif commun clairement défini. Et c’est la même chose quand vous reportez cet exemple à l’échelle nationale. Nous ne pouvons pas être en train de construire le pays, de changer de physionomie à notre pays, nous ne pouvons pas être en train de chercher à changer de cadre de vie et continuer à vivre comme si de rien n’était. Après l’effort, le réconfort, dit-on souvent.

Donc, nous devons tous maintenir la ceinture serrée, nous devons tous maintenir la conscience à la tâche, au travail pour que dans quelques années, on puisse soupirer, on puisse bien respirer. La belle preuve est qu’aujourd’hui, il y a des rues à l’intérieur du pays et vous êtes fiers de les emprunter. Il y a des régions dans lesquelles quand vous allez aujourd’hui, vous êtes fiers d’être Béninois. Quand vous circulez à Cotonou, il y a des quartiers qui, il y a quinze ou vingt ans de cela, étaient invivables. Aujourd’hui, l’éclairage public est passé partout, les voies sont asphaltées dans tous les quartiers pratiquement et puis on sent que le Bénin est en train de revivre. En un mot, il y a tout espoir aujourd’hui pour le Béninois lambda que l’avenir est prometteur.

Pensez-vous que tout le monde serre la ceinture de la même façon dans le pays ?

À cette question, je réponds d’office oui. Oui, parce que si vous avez des relents d’économiste, vous observerez simplement que tous les Béninois achètent sur le même marché. Alors, les prix des denrées de première nécessité évoluent à la hausse. Ça, c’est un fait, mais l’article qui est vendu à 1 000 F CFA au couturier, à l’artisan ou au conducteur de véhicule administratif est vendu au même prix au cadre de l’administration publique, au ministre, à l’opérateur économique. C’est donc tous les Béninois qui subissent cette cherté de la vie. Alors, le resserrement de la ceinture s’observe également dans le paiement des taxes et des impôts qui frappe tous les Béninois, et ceci au prorata ou en fonction des ressources financières qui sont les leurs, qu’ils obtiennent à la fin de chaque mois dans leurs différentes activités. Donc les impôts et les taxes qui sont payés, c’est à travers ces redevances-là que les Béninois sont appelés à serrer la ceinture.

Pour adoucir un tout petit peu la teneur de ce resserrement de la ceinture, vous avez constaté que depuis le 1er janvier 2023, le SMIG béninois, c’est-à-dire le salaire minimum interprofessionnel garanti est passé de 40 000 à 52 000 F CFA. Cette évolution du SMIG a, un tant soit peu, allégé la souffrance, élargi l’assiette salariale des gagne-petits, de ceux-là qui étaient au bas de l’échelle quant à l’évolution des salaires. Ce relèvement du SMIG a eu une répercussion positive plus marquée sur les fonctionnaires moyens que sur les cadres de l’administration centrale, ceux-là qu’on appelle les fonctionnaires de la catégorie A. Voyez-vous un peu ? C’est cela. Quand vous voulez passer par exemple un poste de péage, on ne vous taxe pas en fonction de votre situation sociale. C’est tout le monde qui paie le même montant. Donc le resserrement de la ceinture s’observe de la même façon sur toutes les couches socio-professionnelles béninoises. Quand vous êtes dans un centre de santé, quand vous allez dans une officine pour acheter des produits pharmaceutiques, les prix ne varient pas à la tête du client. C’est tout le monde qui ressent les difficultés financières de la même façon. Et tout cela participe de l’effort commun que les Béninois consentent pour la construction d’une économie stable et prospère.

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Par Serge Ouitona, historien, journaliste et spécialiste des questions socio-politiques et économiques en Afrique subsaharienne.
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