3 MA, trois poètes à cordes


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Ballaké Sissoko à la kora
Ballaké Sissoko à la kora

3 MA. Un trio exceptionnel d’instrumentistes qui ont choisi de magnifier la culture africaine dans ses sonorités les plus diverses. Le Malien Ballaké Sissoko, le Marocain Driss el Maloumi et le Malgache Rajery présentent leur aventure musicale matérialisée par un album, ce mercredi soir à Paris, à l’Européen. Rencontre à Angoulême avec une joyeuse bande.

Driss el Maloumi, 38 ans, à l’oud (luth arabe), Ballaké Sissoko, 42 ans à la kora (harpe luth mandingue), Rajery, 43 ans, à la valiha (cithare tubulaire en bambou). Voici le trio magique de 3 MA pour Madagascar, Mali et Maroc, mais surtout pour l’Afrique. Leurs instruments enchantent les sens, comme ils l’ont encore fait récemment au festival Musiques métisses d’Angoulême.

Afrik.com : Comment décririez-vous l’aventure musicale 3 MA ?

Driss el Maloumi : C’est la rencontre de trois musiciens qui relisent le répertoire de leurs trois cultures, qui essaient de trouver des points, de trouver des façons de les aboder tout en l’ouvrant à d’autres horizons et à d’autres possibilités de rencontres. La carrière individuelle de chacun s’inscrit déjà dans cette logique. Chacun de nous est assez gourmand en matière de rencontres. Notre première rencontre a eu lieu en 2006, au festival Timbar à Agadez, au Maroc. Elle s’est faite d’abord entre Rajery (se prononce prononcez « Rajer ») et moi. La même année, j’ai été invité à un festival à Tana (Antananarivo, ndlr) où nous avons échangé quelques petites notes et on s’est dit que ça pouvait marcher. Les instruments ne disent finalement que ce que les musiciens souhaitent. On a ensuite fait appel à Ballaké (Sissoko) avec qui nous avions chacun déjà joué. Nous nous connaissions plus ou moins à travers notre musique aussi. C’est ainsi que 3 MA est né, en relevant le défi de dépasser les égos de chacun des artistes que nous sommes. La création a connu des moments de tension, juste ce qu’il faut pour qu’un projet soit musicalement mature.

Afrik.com : Comment avez-vous réussi à vous accorder ?

Driss el Maloumi : Au départ, nous nous étions fixés sur le principe que nous serions trois, avec la possibilité d’inviter une percussion. Finalement, la profondeur et la poésie de notre trio nous a fait renoncer à cette idée parce que la logique de la percussion aurait pu nuire à la rythmique de nos trois instruments réunis. Sur le plan technique, nous avons développé une certaine complémentarité entre la kora de Ballaké qui est en fa, la vali (valiha se prononce « vali ») de Rajery qui est en sol et mon oud qui est chromatique. Nous savions que nous allions vers de tels défis. C’est la première fois historiquement qu’une telle expérience est tentée. La richesse de chacun de nos instruments nous a poussés à nous intéresser à ce qu’ils pouvaient faire à trois sans faire de compromis. Notre premier ennemi a été l’habitude, l’habitude de jouer de notre instrument, que nous avons vite abandonnée pour nous inscrire dans cette rencontre musicale.

Afrik.com : Qu’est-ce qui vous touche chacun chez l’autre ?

Rajery : Chez Ballaké, c’est sa façon si particulière de jouer de la kora. Tout comme Driss qui a sa personnalité. En dehors de la sonorité distinctive de leur instrument, leur jeu me fascine.

Ballaké Sissoko : C’est la couleur musicale qu’ils apportent que j’aime bien. J’aime beaucoup le travail que je suis en train de faire avec eux.

Afrik.com : Les morceaux de votre premier album sont-ils des compositions que vous avez écrits ensemble ?

Driss el Maloumi : A part une une composition traditionnelle de Madagascar, nous les avons écrites ensemble en partant, en général d’une proposition faite par l’un de nous. Il nous est aussi arrivé, parfois et c’est plus difficile, d’écrire sur le vif des phrases. Les solos, eux, sont des compositions individuelles.

Rajery : La musique de 3 MA, ce n’est ni vraiment de la musique malienne, ni marocaine, encore moins malgache. C’est une musique nouvelle. Nous ne pensions pas nous-mêmes que certains morceaux pouvaient être possibles. Ils sont arrivés tout seuls.

Ballaké Sissoko : On discute et tout devient possible. Nous nous nourrissons mutuellement et nous nous comprenons entre musiciens.

Rajery : Il n’y a pas que nous qui discutons, les instruments aussi s’y mettent. (Les 3 musiciens rient)

Afrik.com : Comment vivez-vous ce succès, le fait d’être aussi sollicités ?

Driss el Maloumi : « Succès » est un mot qui me fait peur. Nous sommes très chanceux d’être aussi sollicités. Nos calendriers 2009 et 2010 commencent même déjà à se remplir. C’est un succès, mais c’est avant tout un défi et une responsabilité. Le public nous pousse encore et encore à donner le meilleur de nous-mêmes. A ma connaissance, je me répète, c’est la première fois qu’un oud fait un aussi long trajet pour aller à Madagascar, qu’une vali va au Mali et qu’une kora au Maroc…C’est un peu fou tout ça. Mais c’est la preuve que trois musiciens africains peuvent travailler ensemble. On a eu jusqu’ici l’habitude de voir plus des projets musicaux entre le Nord et le Sud qu’entre nous les Africains. Nous sommes dans un projet qui a une véritable logique esthétique et qui s’est construit sur des principes. Aujourd’hui, il y a 3 MA, et demain il y aura d’autres possibilités entre artistes africains. Nous sommes fiers de contribuer à une telle démarche. Il y a une espèce d’ignorance entre nous les Africains. J’ai honte de le dire, mais je le dis tout de même : j’ai découvert tout récemment, lors de notre tournée en Afrique australe, qu’il y avait un pays africain qui s’appelait le Lesotho. La réalité politique n’a pas permis d’établir plus de contact entre nos différentes cultures. Chez moi au Maroc, je m’entends parfois dire quand je vais au Mali que je vais en Afrique, comme si le Maroc n’était pas en Afrique, mais simplement dans le Maghreb. 3 MA témoigne de ce qu’on peut faire en tant qu’Africains. Gnawa diffusion est un exemple de ce qu’on peut faire ensemble, de cette possible fusion. C’est une musique qui vient d’Afrique subsaharienne tout en étant marocain. Nos amis du Sud sont touchés par cette musique tout en percevant la différence avec ce qu’ils font.

Rajery : L’Afrique a tout ce qu’il faut pour s’épanouir culturellement mais il y a de nombreux facteurs de blocage. A Madagascar par exemple, certains se considèrent plus de l’Océan indien que d’Afrique. Je rigole souvent en disant que l’Afrique nous a donnés des coups de pied, mais ce n’est pas vrai (Driss éclate de rire, en souvenir d’une « private joke » ). On a beaucoup de points communs. (Son hilarité se transmet aux autres membres du groupe). 3 MA, c’est aussi un bon aperçu de la culture musicale : trois pays, trois musiciens, trois instruments, trois manières d’appréhender la musique. 3 MA semble déclencher beaucoup de choses. D’ici deux ou trois ans, d’autres formations musicales naîtront peut-être, inspirées par notre démarche. On a commencé la tournée en Afrique pour voir justement les réactions des gens et c’est très positif partout. Je sens que d’ici quelques années, nous allons être suivis et ce n’est pas impossible que d’autres musiciens ou chanteurs rejoignent l’aventure 3 MA. Nous avons amorcé une réflexion dans ce sens.

Afrik.com : La vali est un instrument mythique de votre île que vous avez toujours promu. 3 MA est une nouvelle étape pour faire connaître cet instrument qui vous est cher et qui n’est pas très connu dans le monde, contrairement à ceux qui l’accompagnent ?

Rajery : La vali est resté incognito même s’il a été joué par d’autres musiciens malgaches. Pour moi, c’est une grande opportunité pour la vali qui est instrument très ancien de la culture malgache. Mais il reste néanmoins méconnu en dehors de son pays qu’il permet également de faire connaître. Même ici en France, très peu de personnes connaissent Madagascar.

Afrik.com : Quelle suite allez-vous donner au projet musical 3 MA ?

Driss el Maloumi : Chacun de nous a ses propres dates et on a la chance d’être sollicités aussi au niveau individuel. Le premier défi pour nous est par conséquent de trouver des périodes pour faire les tournées 3 MA. Pour ce qui est de l’avenir, nous avons des idées et l’opportunité de faire un nouvel album, et là on va essayer de faire des rencontres entre 3 MA et des artistes africains.

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